Dans le cadre du droit de tirage du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, nous avons demandé la mise en place d’une commission d’enquête sur la rénovation énergétique. Alors que la rénovation des bâtiments est unanimement reconnue comme une priorité, tant pour la préservation de l’environnement que la baisse des dépenses contraintes et pour la souveraineté énergétique de la France, les travaux avancent encore trop peu. Le dispositif phare de rénovation énergétique, Ma Prime Rénov, compte de plus en plus de bénéficiaires, mais finance bien plus des changements de chaudière ou de fenêtres que des rénovations globales. Par ailleurs, les professionnels du bâtiment peinent de plus en plus à suivre la demande.

Ainsi, il nous semble indispensable de mettre à plat les différentes politiques publiques autour de la rénovation énergétique. A partir du mois de janvier, je conduirai donc des auditions en tant que rapporteur de cette commission d’enquête, avant ensuite de formuler des propositions concrètes d’adaptation de la législation et des moyens mis en oeuvre, afin d’accélérer enfin ce grand chantier indispensable pour notre pays.

Vous trouverez ci-dessous une vidéo de présentation rapide de cette commission d’enquête, ainsi que l’exposé des motifs de la résolution déposée pour demander officiellement sa mise en place.

Mesdames, Messieurs,

Depuis le Grenelle de l’Environnement, la France affiche une forte ambition en matière de rénovation énergétique. Ainsi, en 2008, les pouvoirs publics ambitionnaient de diminuer de 38 % les émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment d’ici 2020. Cet objectif n’a pas été tenu.

Depuis 2013, les gouvernements successifs ont réitéré cette ambition déterminant même un objectif de 500 000 logements rénovés chaque année.

La loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 déterminait un objectif d’éradication, d’ici 2025, des passoires thermiques (logements dont le diagnostic de performance énergétique est de classe G ou F) dans lesquels habitent encore aujourd’hui 12 millions de nos compatriotes. Cet objectif a été reculé à 2028 par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Il apparait aujourd’hui hautement improbable de tenir cet objectif dont l’efficacité normative, et notamment règlementaire, interroge.

Pourtant des moyens significatifs ont été déployés loi de finances après la loi de finances : taux de TVA réduit à 5 (puis 5,5) % sur les travaux de rénovation, éco-prêt à taux 0 %, Crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), Ma Prime Renov, etc. Lors des dernières lois de finances, c’est chaque année 4 à 5 milliards d’euros de crédits qui sont débloqués.

Sans poser la question légitime de la suffisance de ces budgets, l’on constate qu’entre 2008 et 2018 seuls 200 000 logements ont été rénovés, loin, très loin des objectifs affichés. Un rapport de la Cour des Comptes de mars 2022 indique que depuis le lancement de Ma Prime Renov, le 1er janvier 2020 seuls 2 500 logements sortent de la catégorie « passoire thermique » chaque année.

Pire, le dispositif ne semble pas du tout opérationnel : retards de paiement, bugs en tous genres, primes inférieures à l’estimation réalisée avant les travaux. Les particuliers – ou les artisans qui acceptent de faire l’avance – se retrouvent souvent en grande difficulté financière.

En octobre dernier, la Défenseure des droits a dressé un bilan sévère du dispositif, sur la base de près de 500 réclamations reçues en deux ans. Elle critique notamment la procédure d’attribution, entièrement dématérialisée et en partie automatisée, qui prive 13 millions de nos compatriotes de l’accès à cette aide et laisse les autres seuls, en cas de problème, face à une plateforme en ligne kafkaïenne.

La sous-traitance de la plateforme par l’Agence nationale de l’habitat interroge, tout comme le projet de recourir, à compter de 2023, à des acteurs privés pour muscler le dispositif, avec un risque de conflit d’intérêt.

On constate que, depuis 2020, 86 % des opérations de rénovation ne concernent que des travaux simples (changement de fenêtres, de chaudières), loin de la rénovation globale nécessaire pour éradiquer une passoire thermique. Pire, l’effet d’aubaine engendré par le dispositif a entrainé un nombre important de fraudes et d’arnaques, que la DGCCRF, qui voit ses moyens se réduire à mesure que ses missions s’élargissent, a bien du mal à juguler.

Interrogent également le bilan carbone de ces opérations, qu’il s’agisse du remplacement fréquent de chaudières fioul par des chaudières gaz où l’utilisation, à plus de 90 %, des matériaux d’isolation issus de la pétrochimie plutôt que de la biomasse.

Il en résulte que, malgré une ambition politique sans cesse réaffirmée et des moyens financiers conséquents, les politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments déployées depuis 15 ans, font montre de limites criantes – quand il ne s’agit pas d’effets pervers -, et rendent tout à fait hypothétique le respect des objectifs fixés par le législateur. Ceci est d’autant plus dommageable que les contextes géopolitique, économique, social et climatique exigent un effort de sobriété énergétique considérable, particulièrement dans le secteur du bâtiment.

Il convient dès lors de s’interroger et d’enquêter sur l’efficacité de ces politiques et particulièrement sur :

– le cadre normatif, notamment règlementaire, en vigueur,

– l’efficacité des dispositifs d’aides existants et l’accès à l’emprunt des ménages pour la réalisation des travaux,

– leur adéquation avec les objectifs de rénovation globale fixés par le législateur,

– leur adéquation avec la mobilisation de l’État pour rénover son propre parc immobilier

– leur adéquation avec les besoins de nos compatriotes, notamment les plus précaires ou ceux non connectés au réseau internet, ainsi que leur caractère réellement incitatif pour les classes moyennes,

– la capacité de filière, notamment des architectes, des producteurs de matériaux et des artisans, à faire face à l’explosion de la demande,

– la capacité des pouvoirs publics à juguler les effets d’aubaine et les fraudes,

– l’empreinte environnementale des rénovations énergétiques effectuées, qu’ils s’agissent des matériaux utilisés ou des dispositifs de production d’énergie installés,

– les coûts réels des travaux engagés, notamment en matière d’isolation, et la bonne répartition du partage de la valeur sur toute la chaine : du producteur au maître d’oeuvre,

– l’efficacité de la formation des acteurs de la filière (architectes, artisans), son orientation vers des rénovations performantes, notamment en termes de diagnostic global et d’utilisation de matériaux biosourcés,

– l’adaptation des rénovations énergétiques effectuées avec le réchauffement constaté lors des périodes estivales,

– l’efficacité, les moyens financiers et la lisibilité des dispositifs d’ingénierie publique, des agences de l’État au premier rang desquelles l’ANAH et l’ADEME, tout comme de l’ingénierie territoriale, notamment des agences locales de l’énergie et du climat (ALEC),

– le rôle et les moyens des collectivités locales pour accompagner cet effort national.

En répondant à toutes ces interrogations et en posant un constat lucide et partagé, cette commission d’enquête aura également pour objet de formuler au Gouvernement des recommandations pour permettre une massification effective de l’indispensable effort national de rénovation énergétique des bâtiments. Nous avons collectivement assez perdu de temps.