Aux côtés de nombreux parlementaires, de responsables associatifs, de syndicalistes et de divers personnalités, j’ai signé la tribune suivante pour m’opposer à l’usage de l’épargne des Français détenue sur le livret A pour financer l’industrie d’armement. Vous pouvez retrouver tous les signataires sur le site d’Attac.

Monsieur le Ministre de l’Économie et des Finances,

Des parlementaires ont multiplié, ces derniers mois, les propositions de loi visant à amener les banques commerciales à financer des activités d’armement à partir de l’épargne populaire (Livret A et Livret de développement durable et solidaire, LDDS). Deux propositions de loi seront débattues, l’une au Sénat le 5 mars prochain et l’autre à l’Assemblée nationale le 14 mars.

Nous refusons catégoriquement que l’épargne populaire de près de 60 millions de nos concitoyens, soit détournée de ses missions prioritaires : le financement du logement social et de la transition écologique.

Vous avez déclaré le 23 novembre dernier sur Franceinfo :“Ce n’est pas mon choix. On peut trouver d’autres façons de financer l’effort de défense, qui est indispensable. Le Livret A, pour moi, c’est le logement social”. Pour nous aussi !

Notre pays traverse une crise du logement qui s’aggrave année après année et est marquée par un nombre croissant de mal-logés et de sans-abris. Cette criseappelle dans l’urgence des mesures énergiques en faveur de la réhabilitation et de la construction massive de logements sociaux pour toutes les catégories de population : salariés et retraités aux revenus modestes, chômeurs et précaires, familles nombreuses et monoparentales, étudiants et jeunes travailleurs… Ces mesuressont à l’opposé de la politique suggérée par le premier ministre en matière de logement social.

Orienter une partie de l’épargne populaire vers le financement des activités d’armement n’aura pour effet que de fragiliser le lien séculaire de confiance entre les citoyens et le livret A. Car ce lien tient autant à la sécurisation de cette épargne qu’à son emploi transparent dans des investissements d’intérêt général : logement social, transition écologique …

Puiser dans les ressources du livret A ne servira à rien. En effet, selon Maya Altig, directrice générale de la Fédération bancaire française, le financement des entreprises d’armement « ne fait pas l’objet d’une stigmatisation particulière de la part des banques » mais les difficultés rencontrées tiennent à « la nature même des normes imposées au financement des activités de ces entreprises ». Il s’agit des normes anti-corruption, des normes d’interdiction de certaines armes et de celles liées au devoir de vigilance. Elles sont indispensables pour réduire les atteintes graves aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement.

Ces questions éthiques sont totalement ignorées par les auteurs des propositions de loi qui seront débattues les 5 et le 14 mars. Ils préfèrent organiserle détournement d’une partie de l’épargne populaire au profit « des entreprises, notamment petites et moyennes, de l’industrie de défense française ».

Nous attendons de vous une opposition résolue et déterminée à ces initiatives parlementaires manifestement inappropriées.

Nous attendons également l’exercice d’un contrôle réel sur l’utilisation des 225 milliards d’euros, soit 40 % des encours du Livret A et du LDDS, dont les banques disposent librement. En 2009, la Commission européenne a uniquement exigé que toutes les banques puissent distribuer des Livrets A à leurs clientèles.Elle n’a jamais demandé que 40 % des fonds de l’épargne populaire soient mis à disposition des banques au détriment de la Caisse des dépôts et consignations, premier financeur du logement social.

Cette « faveur » à 225 milliards d’euros, faite au secteur de loin le plus rentable de notre économie, devrait appeler nécessairement de très sérieuses contreparties en terme d’intérêt général, notamment sous l’angle du financement de la transition écologique.

Il y a nécessité que le Parlement contrôle soigneusement, chaque année, l’usage fait par les banques de ces 225 milliards d’euros. A défaut, il faudra nécessairement envisager une recentralisation complète des fonds auprès de la Caisse des dépôts et consignations placée « de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie de l’autorité législative » depuis la loi de 1816 qui la créa.

C’est pourquoi nous appelons à ouvrir un large débat au Parlement sur l’épargne réglementée, son rôle et ses finalités au service de l’intérêt général. Nous voulons que ce débat parlementaire soit précédé d’un vaste débat public associant toutes les parties prenantes : les associations de locataires et de défense des mal-logés, les associations de lutte contre l’exclusion, les acteurs du mouvement HLM, les collectivités locales, les syndicats, les ONG, les représentants de l’économie sociale et solidaire…