Le 15 janvier au Sénat, j’ai répondu à la déclaration de politique générale de François Bayrou, en tant que Président du groupe écologiste du Sénat. Malgré la censure et le volontarisme des écologistes, des socialistes et des communistes pour trouver des compromis, Emmanuel Macron et François Bayrou continuent de ne rien céder sur leur politique anti-sociale, climaticide et autoritaire. La moitié des ministres sortants sont reconduits, et le gouvernement intègre même les deux Premiers ministres récents ayant le plus recouru au 49.3 : Manuel Valls et Elisabeth Borne. Enfin, la présence de Bruno Retailleau et de Gérald Darmanin constitue un motif de censure à part entière. J’ai très vivement dénoncé ce gouvernement sans cap et sans avenir.

Vous pouvez retrouver mon intervention ci-dessous en format texte et en vidéo :

Monsieur le Premier ministre,

Le 2 octobre dernier à cette tribune, je concluais ma réponse à votre prédécesseur en lui signifiant que son Gouvernement « n’avait pas d’avenir ». C’est avec gravité que je vais prononcer d’emblée les exacts mêmes termes. 

Après une motion de censure historique, vous et le président de la République n’avez pas modifié un seul des paramètres qui ont entraîné la chute de Michel Barnier. « La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent. » disait Einstein. Le diagnostic ne me semble pas réfutable. 

Pourtant, avant et après le nouvel affront démocratique qu’a représenté votre nomination, nous écologistes, socialistes et communistes avons accepté d’échanger avec le président de la République, avec vous et avec vos ministres. Face à un président et une minorité présidentielle qui n’ont eu de cesse de plonger le pays dans la crise politique et constitutionnelle, il nous fallait être responsables pour deux.

Cela est d’autant plus essentiel que la voix de la France est attendue dans un monde en déliquescence : 

  • où Donald Trump revient aux affaires et oblige l’Europe à se lever ou à disparaître, 
  • où il faut renforcer le soutien européen à l’Ukraine,
  • où il faut stopper le génocide à Gaza, obtenir la libération des otages et empêcher la disparition de l’UNRWA

La censure du Gouvernement et l’incapacité à adopter un budget sont des actes dont nous mesurons la gravité, comme nous mesurons l’inquiétude de nombre de nos compatriotes. La situation a indéniablement changé depuis l’automne et malgré le nouveau coup de force présidentiel nous n’avons pas compté nos heures pour trouver d’introuvables compromis.  

A quoi bon ? 

Après une motion de censure historique, le président nous avait fait part de son souhait de ne plus donner au Rassemblement national le pouvoir de déterminer le sort du Gouvernement de la France. Nous avions osé croire un instant qu’il avait entendu le seul message incontestable des élections législatives : le barrage à l’extrême droite, à ses idées nauséabondes et à son incompétence crasse. 

Cette illusion n’a pas survécu à la nouvelle année. Vous reconduisez le pacte faustien de votre prédécesseur avec les héritiers de Pétain et des tortionnaires d’Algérie. J’en veux pour preuve votre infâme tweet d’hommage à Jean-Marie Le Pen où vous qualifiez « de combattant » un ennemi de la République et de l’humanité, et de « polémique » le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme. 

J’en veux également pour preuve le maintien place Beauvau du ministre d’extrême droite Bruno Retailleau, encore encensé hier à l’Assemblée par l’orateur du Rassemblement national, et la nomination d’un second ministre de l’Intérieur avec Gérald Darmanin à la chancellerie. Il fallait oser nommer Garde des Sceaux, un populiste qui, il y a quelques semaines, tordait le cou à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance de la justice en jugeant “choquante” les réquisitions du parquet contre Marine Le Pen ; réquisitions prises sur le fondement d’une loi de moralisation de la vie publique dont vous étiez pourtant l’un des principaux instigateurs… Toutes ces années à combattre la dérive droitière de Nicolas Sarkozy et François Fillon pour vous lier pieds et poings avec leurs pires rejetons, quel reniement !

Reniement encore : après des décennies de bataille pour la moralisation de la vie publique vous accueillez dans votre Gouvernement des ministres accusés de corruption, de détournements de fonds et de faux témoignage sous serment. 

Reniement toujours avec un revirement complet sur le cumul des mandats, proposition rétrograde rejetée par les deux tiers des Français. 

Après une motion de censure historique, vous rebattez les cartes du jeu des sept familles de la droite, pour nous représenter toujours les mêmes ministres. Plus de la moitié du Gouvernement Barnier est reconduit dont 14 au même poste… Et je ne compte pas les revenants des précédents gouvernements désavoués par les urnes.

Monsieur le Premier ministre, il fallait oser parler de  nouvelle méthode démocratique, vous lamenter sur la totale ignorance des doléances des gilets jaunes après avoir recyclé dans votre Gouvernement, les 2 Premiers ministres les plus brutaux du XXIe siècle, 29 utilisations du 49-3 cumulées. 143 gilets jaunes ont été mutilés ou gravement blessés par la police applicant une irresponsable doctrine de maintien de l’ordre dont l’évolution doit beaucoup à Manuel Valls ministre de l’Intérieur, puis Premier ministre. Ces méthodes se sont appliquées avec la même brutalité durant toute la présidence Macron avec en point culminant la contestation de la réforme des retraites d’Elisabeth Borne. 

Après atermoiements, vous refusez de suspendre cette réforme inique et convoquez une conférence sociale où les syndicats de travailleurs viendront négocier dans un calendrier intenable avec un revolver sur la tempe, sachant qu’ils auront le choix entre un accord au rabais ou le maintien des 64 ans. 

Après une motion de censure historique, vous venez, comme tous vos prédécesseurs, nous formuler un discours de politique générale, vide, sans aucune vision, enfermée dans le dogmatisme macroniste de la politique de l’offre, qui a ruiné nos finances publiques. Non, tous les partis politiques ne sont pas responsables du dérapage des finances publiques. Les deux derniers quinquennats de gauche, plurielle puis socialiste, ont réduit les déficits publics, et même la dette pour le Gouvernement Jospin, au prix parfois de désaccords profonds au sein de notre famille politique. Seules les droites sont responsables de ce dévissage total de nos finances publiques. Sortez de votre déni, assumez votre bilan !

Après une motion de censure historique, vous intimez au Parlement de reprendre l’examen du budget exactement là où il s’était stoppé en novembre. Comme si rien ne s’était passé. Vous enjambez la censure comme le président à enjambé sa défaite aux élections législatives. 

En refusant d’améliorer la justice fiscale pour accroître les recettes de l’Etat, vous nous proposez à nouveau le rabot généralisé : 

– qui va encore aggraver les situations déjà intenables de notre école publique, de nos universités, de nos hôpitaux, de nos collectivités locales, etc

– qui va encore fragiliser notre industrie, nos travailleurs victimes de l’inflation et exposés aux plans sociaux,

– qui va encore sacrifier la transition écologique, 

– qui va encore laisser sur le carreau nos compatriotes ultramarins à commencer par les Mahoraises et les Mahorais qui attendent bien plus de la République.

Nous vous demandions 7 milliards d’euros pour les différents postes de la transition écologique, pour tenter de retrouver la très relative ambition du budget 2024, vous nous proposez 200 millions… Nous avons bien compris après 148 mots sur l’écologie, consacrés au nucléaire et au techno-solutionnisme, que vous aviez encore moins d’ambition écologique que vos prédécesseurs. Sacrée prouesse. Vous avez passé plus de temps à mépriser l’action essentielle des agents de l’Office français de la biodiversité, sous votre responsabilité, qui tentent comme ils peuvent de limiter l’impact, dans notre pays, de la 6e extinction de masse du vivant. 

Monsieur le Premier ministre, tel Phil Connors incarné par Bill Murray dans « Un jour sans fin », nous voilà condamnés à revivre sempiternellement le même jour politique et à voir se succéder infiniment des Gouvernements de droite, désavoués par les électeurs et proposant la même politique injuste, austéritaire, climaticide et empiétant sur les plates-bandes de l’extrême droite. 

Monsieur le Premier ministre je vous l’ai déjà dit. On ne gravit pas l’Himalaya en espadrilles, c’est irresponsable et suicidaire. On s’équipe, on partage, on écoute, on accepte de revoir et de modifier l’itinéraire,  sinon on sombre dans la première crevasse.

Avec les écologistes nous continuerons à être responsable pour deux, nous continuerons à tirer sur la corde, crampons aux pieds, piolet à la main, nous ne pouvons nous résoudre à cette mortelle randonnée.

Monsieur le Premier ministre, il est encore temps de changer de chaussure, encore temps de vous éloigner du précipice, encore le temps d’être responsable.