Après 4 jours d’examen rythmés par l’urgence de la situation, le Parlement a définitivement adopté hier le projet de loi d’urgence pour faire face au Covid 19. Nous avions également adopté vendredi un projet de loi de finance rectificative contenant les premières mesures de relances (à hauteur de 45 milliards d’euros) mises en place par le Gouvernement pour faire face à la crise économique que prépare le ralentissement brutal de l’activité.

Outre l’entrée en vigueur de mesures essentielles pour les élus locaux, notamment sur la gouvernance des collectivités territoriales et de leurs groupements en raison du report du second tour des élections municipales, elle prévoit l’adoption de plusieurs ordonnances pour faire face à la situation sanitaire exceptionnelle que nous connaissons. 25 ordonnances ont été adoptées par le Conseil des ministres du 25 mars 2020.

Retrouvez la note du ministère de la Cohésion des territoires qui présente le contenu pour les collectivités territoriales et leurs groupements.

Ce texte certes indispensable est toutefois porteur de graves atteintes au droit du travail et d’inquiétudes quant au respect des libertés fondamentales, j’ai donc choisi de m’abstenir.

Ce projet de loi comporte 3 volets.

Un volet électoral qui prévoit :

– La sanctuarisation du premier tour dans les communes où il a été décisif. Mais les équipes sortantes restent en place jusqu’à nouvel ordre. Un décret fixera au plus tard au mois de juin les conditions de passation de pouvoir entre les équipes actuelles et les équipes élues le 15 mars.

– Le report du 2e tour au mois de juin. Un rapport remis au Parlement le 23 mai fera état de la situation sanitaire. Le Parlement décidera ou non de l’organisation du scrutin en juin (A priori le 21, avec dépôt des listes le 2 juin et début de la campagne officielle le 8 juin). Ce 2e tour se fera sur la base des résultats du 1er.

– Il y a eu un très large consensus politique pour considérer, comme le préconisait le Conseil d’Etat, que si le 2ème tour ne pouvait pas être organisé avant l’été, il faudrait réorganiser 1er et 2ème tour à l’automne dans les 5000 communes où l’élection est encore en suspens.

– Tout une série de mesures sont prises pour faciliter l’administration des collectivités locales en période de crise sanitaire (report de du vote du budget au 31 juillet, délibération à distance…).

J’ai envoyé le détail à tous les maires de l’Isère, il est disponible ici :

Un 2e volet créant un « état d’urgence sanitaire » :

Cet « état d’urgence sanitaire », qui vient donner, a posteriori, un cadre légal aux mesures de confinement prises par le Gouvernement sous forme de décret. Cet état d’urgence sanitaire est décrété par le Conseil des Ministres sur proposition du ministre de la Santé. Les données scientifiques à l’appui de cette demande sont rendues publiques. Au-delà d’un mois, l’état d’urgence sanitaire doit être prolongé par un vote du Parlement.

Dans le cas présent, considérant que le Parlement s’est réuni longuement, l’état d’urgence sanitaire est en vigueur pour deux mois à compter de la promulgation de la présente loi.

L’état d’urgence sanitaire confère des pouvoirs d’exceptions au Gouvernement d’une portée considérable. Il peut contraire ou interdire la liberté de circulation, la liberté de réunion, la liberté d’entreprendre. Il peut fermer les lieux publics ou privés accueillant du public. Il peut réguler les prix et réquisitionner tout bien et service nécessaire à la lutte contre la pandémie.

Toute violation des interdictions ou obligations est punie d’une amende de 135 euros. En cas de récidive, les peines peuvent monter jusqu’à six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Les mesures prises en application de l’état d’urgence sanitaire peuvent faire l’objet de recours devant le juge administratif.

Mais le contrôle parlementaire est très faible. Le premier mois il est presque nul et après un mois il est très limité. Le Gouvernement s’est opposé aux demandes du Sénat en ce sens, je le regrette vivement. Ce nouvel arsenal juridique est potentiellement porteur d’atteintes profondes aux libertés individuelles et il me semble indispensable qu’il fasse l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel avant son entrée en vigueur comme l’a demandé le groupe socialiste.

Le Sénat a demandé une « clause sunset » pour que ces mesures fassent l’objet d’un nouvel examen parlementaire complet dans un an avant d’être pérennisé dans notre droit, mais l’expérience de ces dispositions n’est pas des plus concluantes et donc des plus rassurantes. ▪️

Le 3e volet économique et social de ce texte est également problématique :

Il s’agit d’un paquet d’habilitations autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnance (un quasi-chèque en blanc législatif) pour mettre en œuvre toute une série de mesures économiques et sociales pour faire face à la crise économique en gestation.

Parmi ces mesures, certaines sont bienvenues voire indispensables : la création d’un fonds de solidarité pour les indépendants et les TPE, la suspension du jour de carence dans le public comme dans le privé, la possibilité pour l’Etat de soulager la trésorerie des entreprises, des mesures dérogatoires pour assurer la continuité des droits sociaux de tous les assurés et surtout la possibilité de recourir au chômage partiel et à l’activité partielle.

D’autres en revanche constituent des entorses extrêmement graves au droit du travail et sont potentiellement applicables par la quasi-totalité des entreprises du pays :

– la possibilité unilatérale pour l’employeur d’imposer la prise des RTT et des jours de repos,

– la possibilité après négociation sociale d’imposer ou de modifier les prises de congés payés (dans une limite de 6 jours),

– la possibilité de déroger aux règles de temps de travail hebdomadaire et de repos dominical.

La ministre du Travail a juré que ces mesures étaient par nature provisoires, mais a refusé de les borner dans le temps… En gros on suspend le Code du Travail jusqu’à nouvel ordre ! Quand dans le même temps, le Gouvernement refuse de renforcer les moyens financiers de l’hôpital public et a refusé toutes nos propositions de mettre en place une contribution fiscale exceptionnelle sur les hauts revenus, il y’a de quoi l’avoir mauvaise !

Le sens de priorités de ce Gouvernement n’a pas changé…

Il y a beaucoup à dire sur la méthode également. Autant le volet électoral et le volet légal du texte devaient être votés le plus rapidement possible, autant il y’avait moins d’urgence pour ce volet économique et social qui aurait pu faire l’objet d’un texte séparé examiné cette semaine ou la semaine prochaine. En couplant les trois volets, le Gouvernement a mis le Parlement face à la plus grande urgence et a fait adopter ces mesures économiques et sociale sans concertation aucune avec les partenaires sociaux.

Ce faisant le Gouvernement a mis à bas la fragile unité nationale et les parlementaires de gauche ont refusé de voter ce texte. Certains ont voté contre et le reste s’est abstenu. J’ai pour ma part choisi l’abstention. C’est très frustrant de se dessaisir ainsi de mon choix. Mais je ne pouvais pas voter en faveur de ce texte qui porte en lui tant d’atteintes au droit du travail et tant d’inquiétudes pour le respect des libertés fondamentales. Je ne pouvais pas non plus voter contre un texte juridiquement, politiquement et économiquement indispensable pour permettre au pays de faire face dans cette situation inédite et périlleuse.

Dans les semaines et les mois qui viennent, je serai particulièrement vigilant à la situation de toutes celles et tous ceux qui sont mobilisés dans des conditions financières et sanitaires précaires pour faire tourner le pays et que le Gouvernement semble bien trop souvent oublier. Je serai également vigilant de la situation de tous les laissés pour compte, celles et ceux qui sont confinés dans des situations intenables, qui sont isolés ou pire encore qui n’ont pas de toit. C’est à elles, c’est à eux qu’il faut penser en premier lieu avant de s’inquiéter du décrochage de la croissance.