Le succès historique de la pétition contre la loi Duplomb (2,1 millions de signatures cet été) a montré la vive préoccupation des Françaises et Français face aux conséquences sanitaires et environnementales de l’usage des produits phytosanitaires en agriculture.

J’ai donc, avec mes collègues écologistes déposé une proposition de loi pour tenter d’y répondre, afin de mieux concerter, informer et protéger les riverains de parcelles agricoles exposées aux pesticides de synthèse. Notre objectif est double.

Dans son 1er article la proposition de loi vise à concerter avec l’ensemble des acteurs par le renforcement des chartes départementales des bonnes pratiques en matière d’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de protection des riverains. L’idée est de renforcer le processus de consultation prévue par ces chartes (qui en l’état de respecte pas la Constitution) pour associer les riverains, les agriculteurs et surtout les élus locaux aujourd’hui absents. Nous voulons associer les maires directement au processus de concertation.

Nous voulons leur permettre, par concertation communale de définir les zones sensibles sur leur territoire (lieux accueillant des public fragiles, espace de biodiversité particulière, captage d’eau, etc) et de faire valoir ce zonage dans la concertation départementale.

Nous voulons instaurer un comité de suivi, sous l’autorité du préfet, de l’application des chartes qui fasse office de mécanisme de contrôle de leur bonne application.

Nous demandons que ces chartes incluent des mécanismes efficaces d’information des riverains sur les périodes et moment d’épandages comme cela existe déjà dans certaines communes viticoles.

Nous voulons rendre les chartes compatibles avec les plans régionaux de l’agriculture durable, les éventuels projets alimentaires territoriaux et les schémas de cohérence territoriaux.

Dans son second article adapte français au droit européen exigeant la transmission systématique des registres d’épandage à l’autorité administrative et leur mise à disposition du public sur demande. Il crée également le registre national demandé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) et géré par elle qui est une indispensable mesure de santé publique tant pour faciliter les travaux de recherche que pour favoriser le traitement médical des empoisonnements aux pesticides. Il s’agit de garantir le droit d’accès à l’information relative à l’environnement et d’assurer l’accès à ces registres pendant 10 ans.

La majorité sénatoriale a malheureusement rejeté ce texte de bon sens.

Merci Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

Madame la Ministre,

Mes chers collègues,

Depuis plusieurs années notre modèle agricole est en crise. Une crise économique et sociale induite notamment par concurrence déloyale du libre-échange. Le traité Union européenne-Mercosur en est le dernier avatar, provoquant l’effondrement des prix, la chute des revenus des exploitants et forçant à l’agrandissement des surfaces et la disparition des fermes, à la mécanisation accrue provoquant un endettement des exploitations souvent insurmontable.

Une crise écologique produite par le réchauffement climatique entrainant la multiplication des sécheresses, des catastrophes naturelles (gel tardif, grêle, intempéries), des épizooties, une crise écologique également amplifiée par notre modèle agricole intensif entrainant un appauvrissement des sols, une dépendance aux engrais de synthèse russes, mais surtout l’effondrement de la biodiversité notamment des pollinisateurs.

Chacune et chacun sur ses bancs a le cœur noué et les larmes aux yeux devant la détresse, la souffrance et la colère des éleveurs dont les cheptels sont frappés par la dermatose nodulaire et soumis à l’abattage souvent indispensable mais un peu trop systématique de leurs troupeaux. Au nom de mon groupe, nous souhaitons leur témoigner tout notre soutien et appelons le Gouvernement au dialogue, à l’accompagnement et à la multiplication des efforts pour généraliser la vaccination et indemniser convenablement l’ensemble des pertes.

La crise des dernières semaines après celle de l’hiver 2023 – 2024 témoigne du mal-être d’une profession qui présente un risque de suicide de 46 % supérieur à celui des autres catégories socio-professionnelles. Un mal-être face auquel nous sommes tous consternés mais qui appelle de notre part des réponses différentes.

Le Gouvernement et la majorité sénatoriale ont choisi la verticalité :

  •  D’abord avec une loi d’orientation agricole, qui a soigneusement oublié la promesse présidentielle d’ « un prix plancher » pour les denrées agricoles et n’a fait qu’effleurer la problématique centrale de la transmission/installation.
  • Ensuite avec la désormais tristement célèbre loi Duplomb, un tract politique, une fuite en avant dans un modèle qui ne fonctionne plus et qui a suscité un vif émoi dans le pays récoltant contre elle deux millions d’oppositions.

Ces deux lois n’apportent aucune réponse aux crises économiques et écologiques de l’agriculture. Pire encore elles ont renforcé l’incompréhension entre nos agriculteurs et la population.

Ces deux lois clivantes oublient aussi que la crise agricole est également une crise de sens, une crise globale, une crise de modèle. Nous ne pouvons pas nier l’impact de l’agriculture conventionnelle :

  • sur le réchauffement climatique – près de 20 % de nos gaz à effet de serre,
  • sur l’environnement, disparition du quart des oiseaux et de 25 à 80 % des populations d’insecte,
  • sur la qualité de l’eau, 17 millions de nos compatriotes exposés à de l’eau non-conforme,
  • sur l’alimentation et sur la santé humaine, lymphomes, cancer, leucémie, etc

Dire cela ce n’est pas s’opposer aux agriculteurs, au contraire, c’est admettre collectivement une réalité pour la faire évoluer.

Malgré des données insuffisantes, la multiplication des études faisant état de l’impact des pesticides sur la santé publique, ne laisse plus aucun doute. La plus récente, Pestiriv conduite par l’ANSES et Santé publique France portant sur plus de 250 zones viticoles a mesuré la présence de 56 substances dans l’urine et les cheveux de 1 946 adultes et 742 enfants, ainsi que dans l’air extérieur et intérieur.

Abandonner progressivement les pesticides est pour notre agriculture, un horizon sanitaire, écologique et économique indépassable.

La plupart des agriculteurs sont bien conscients de cette problématique font beaucoup d’efforts pour diminuer l’usage des intrants. Les conventionnels cherchent des solutions, parfois s’inspirent des bio et attendent beaucoup de la recherche notamment de l’INRAE. Ce partage d’expérience est essentiel.

Alors, pour avancer et tenter de répondre à ces incompréhensions grandissantes, à ces frictions qui déchirent parfois des voisinages, des amitiés et même des familles, la proposition de loi que vous nous soumettons aujourd’hui propose modestement de repartir de la base, de favoriser l’échange, la concertation, la conciliation, de remettre tout le monde autour de la table à l’échelon local : l’échelon de vie.

Nous aurions pu proposer une loi nationale pour élargir les zones de non-traitement, protéger les captages d’eau et les zones naturelles exceptionnelles. Nous n’avons pas fait ce choix. Nous faisons le pari de l’intelligence collective, nous voulons rapprocher les points de vue, lever les incompréhensions et les fantasmes, apaiser le débat public. Nous voulons que chacune et chacun fasse un pas vers l’autre, comprenne les contraintes et les craintes et construise des compromis. Sur ce sujet comme sur tous les autres c’est le défi que doit surmonter notre démocratie pour perdurer dans un monde instable.

Pour ce faire, nous pensons pouvoir nous appuyer sur les élus locaux, notamment communaux qui le souhaitent, comme ces 60 maires de toute tendance qui, en 2019, ont voulu réguler l’usage des pesticides sur leur territoire communal. Nous savons que les maires sont les plus à même pour identifier les zones les plus vulnérables, qu’ils s’agissent de la protection de publics fragiles, de ressources naturelles notamment l’eau ou d’une biodiversité particulière. Nous savons que les maires sont les plus-à-même de proposer des espaces de concertations et de rapprocher les points de vue. Ils font cela chaque jour du lever au coucher.

Par exemple, comment protéger nos écoles alors que 1,7 millions de d’élèves sont soumis à une forte pression pesticide comme le révèle Le Monde ce jour ? Dans la foulée de la publication de l’étude Pestiriv sur sa commune, le maire de Villenave-d’Ornon a annoncé », « organiser une rencontre avec les propriétaires viticoles (…) pour évoquer les solutions à mettre en œuvre et visant à rassurer les habitants sur les produits employés ».

C’est exactement la méthode que préconise cette proposition de loi.

En bon isérois qui se respecte, j’ai en exemple la réussite qu’avait représenté la “charte de bon voisinage” élaborée et signée en 2019 entre les professionnels de la « Noix de Grenoble » et les riverains. Partenariat, dialogue ouvert, information par SMS avant les épandages, médiation par la chambre d’agriculture, diminution notable des conflits de voisinages, cette charte fut une réussite.

Malheureusement, elle a été remplacée en 2021 par la charte d’engagement départementale sur l’utilisation des produits phytosanitaires, moins-disante et peu ou pas appliquée.

Ces chartes au statut juridique bancal, contestées en justice ont été finalement jugées en 2021 contraires à la Constitution sans que cela n’entraine, à date, de modification de la loi. Le conseil constitutionnel relève « l’absence de riverains au processus de concertation » et le conseil d’Etat estiment que « les chartes n’assurent pas une protection suffisante », un comble !

Le renforcement de ces chartes par la loi, pour en faire de véritables outils de concertation, de suivi, de protection et d’information est donc indispensable.

Ainsi, nous proposons que les maires puissent s’ils le souhaitent, engager la concertation à l’échelle de leur commune, via le conseil municipal pour ensuite apporter leurs propositions lors de la négociation départementale. Je précise qu’il s’agit d’une possibilité, voulue par de nombreux élus et en aucune façon d’une obligation. Les maires agiront alors comme des facilitateurs pour permettre à ces négociations d’aboutir.

Pour assurer la solidité juridique des chartes, nous avons intégré les préconisations du Conseil constitutionnel sur les mécanismes de participation du public prévus par le code de l’Environnement. Nous avons également inclus la nécessité pour ces chartes de s’inscrire en cohérence avec les autres documents structurants du territoire, quand ils existent, que sont :

  • le plan régional de l’agriculture durable,
  • les projets alimentaires territoriaux,
  • et les schémas de cohérence territoriaux.

Pour veiller à la bonne application et à l’efficacité des chartes nous proposons également la constitution d’un comité de suivi sous l’autorité du préfet se réunissant au moins une fois par an et un mécanisme de mise-à-jour quinquennal des dispositions de la charte.

Enfin l’article 1er de la proposition comporte un dernier élément qui me permet de faire le pont avec l’article 2 sur une exigence renforcée d’information et de transparence. Je pense comme notre rapporteur que nos agriculteurs n’ont rien à cacher. Aussi, nous demandons que ces chartes incluent, comme le faisait la “charte de bon voisinage” de la noix de Grenoble, comme le font de nombreux viticulteurs du bordelais notamment, des mécanismes, que nos téléphones portables permettent désormais sans effort, d’informations des riverains au moment des périodes d’épandage.

Nous sommes convaincus que ces informations sont de nature à apaiser les relations de voisinage et à combattre les idées reçues. Comme le disait Arnaud Rivière, alors président du Comité interprofessionnel de la noix de Grenoble : « la charte a remis certaines vérités en place :  quand un agriculteur sort son atomiseur, ce n’est pas forcément pour déverser du produit chimique ».

Nos concitoyens sont bien conscients des défis auxquels doit faire face le monde agricole, ils n’ont pas des demandes déraisonnables, mais ils veulent savoir ce qui est pulvérisé près de leur lieux de vie, quand et les conséquences sur leur santé.

C’est le sens de l’article 2, qui instaure le registre national des épandages demandé par l’ANSES. Un dispositif indispensable pour faciliter les travaux de recherche et pour favoriser le traitement médical des empoisonnements aux pesticides. Il s’agit par cette mesure de garantir le droit d’accès à l’information sur une temporalité suffisamment longue pour les besoins de la recherche.

Ce faisant, nous adaptons le droit national aux exigences du droit communautaire pour éviter de nouvelles condamnations de l’Etat après celle du 1er juillet dernier relative à la transmission des registres d’épandage de pesticides agricoles de la commune de La Sauve.

Voilà mes chers collègues le contenu d’une proposition de loi que je crois de bon sens et consensuelle afin d’avancer tous ensemble pour accompagner les agriculteurs et agricultrices dans une indispensable transition, pacifier nos campagnes et renforcer notre démocratie.

Je vous remercie