Le 6 juin 2023, j’ai eu l’opportunité d’intervenir lors d’un débat sur la politique française en Afrique, organisé par le Gouvernement.
J’ai tout d’abord tenu à rappeler que le Parlement est très rarement convié à donner son avis sur la politique étrangère de la France. En 10 ans d’opération Barkhane il n’a voté qu’une fois, en 2013.
L’opération Barkhane est loin d’être une réussite : la situation politique chaotique des pays membres de l’opération barkhane, l’influence croissante de la Russie sur le continent africain et la montée du sentiment anti-français montrent de manière claire les limites d’une intervention militaire sans aucune vision de sortie de crise. J’ai adressé mes pensées aux 59 militaires décédés au Sahel depuis 2013 et à leurs familles.
Notre relation avec l’Afrique s’est largement détériorée : nos opérations militaires doivent être plus transparentes, nous devons reconnaître nos erreurs et bâtir des accords de défense dans l’intérêt des peuples africains.
Enfin, l’orientation de notre politique d’aide au développement doit être revue : il nous faut prioriser les dons plutôt que les prêts, et ces dons doivent être bien plus ciblés et localisés pour garantir la sécurité et la subsistance à travers des réseaux locaux, de manière à lutter contre le terrorisme. Les aides versées doivent respecter les droits humains, démocratiques, sociaux et écologiques notamment les droits des femmes et ceux des peuples autochtones.
La politique française en Afrique est à un tournant. Notre pays doit adopter une nouvelle attitude vis-à-vis des pays africains, autour de valeurs telles que le respect, la coopération et le développement social et environnemental du continent africain.
Débat 50-1 sur la politique française en Afrique – 01.06
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Le 9 novembre 2022, le président de la République a annoncé la fin de l’opération Barkhane, près de dix ans après le déploiement de l’armée française au Mali. 10 ans de présence au Sahel et un seul vote du Parlement, en 2013… Depuis, malgré les évolutions militaires considérables qu’ont connu les différentes opérations au Sahel, pas une seule fois le Parlement n’a pu exprimer son avis. Toutes les décisions ont été prises de manière unilatérale, au sommet de l’Etat. Même si nous avez fait la grâce d’un débat sur la possibilité d’un retrait français du Mali en février 2022 et que vous nous faites la grâce de celui-ci, la politique africaine de la France, demeure une chasse gardée du pouvoir exécutif. Cela n’est pas gage d’efficacité puisqu’il est délicat de trouver une quelconque satisfaction au bilan de la décennie écoulée. Qu’on s’en réjouisse ou que l’on déplore, force est de constater que jamais la position de la France en Afrique n’a paru si précaire.
En préambule, quel bilan pouvons-nous tirer de l’opération Barkhane ? Je voudrais tout d’abord, au nom du groupe écologiste, renouveler mes pensées pour les 59 militaires morts au Sahel depuis 2013, leur famille et leurs proches. La reconnaissance de la Nation est éternelle.
Nos forces armées se sont déployées au Mali en 2013 avec pour objectif d’empêcher une progression de la menace djihadiste. Si pour Emmanuel Macron l’opération Barkhane n’est pas un échec, nous pouvons tous ici convenir du fait que la menace djihadiste est loin d’être éradiquée. Alors que les djihadistes avaient reculé en 2014, ils sont aujourd’hui bien présents dans le nord et le centre du Mali, mais aussi au Burkina Faso, au Niger, ou encore en Côte d’Ivoire.
Les situations politiques des pays concernés par l’opération Barkhane sont aussi préoccupantes. Après plusieurs coups d’Etats récents, le Mali et le Burkina Faso sont aujourd’hui sous l’emprise de juntes militaires. Nous le craignions, sans solution politique pérenne, les opérations militaires ont peu de chances d’aboutir à une situation stable. Depuis notre retrait du Mali en 2022 et du Burkina Faso en 2023, les djihadistes s’engouffrent dans le vide laissé par nos forces armées. L’opération Barkhane montre clairement les limites d’une intervention extérieure purement militaire, sans aucune vision de sortie de crise.
La situation chaotique de ces pays et de bien d’autres en Afrique, couplée avec un sentiment anti-français de plus en plus prégnant, ouvre la voie à l’influence russe et en particulier à la milice Wagner, aujourd’hui présente dans 17 pays africains. Alors que depuis le début des années 2000 la Russie cherche à gagner de l’influence dans le continent, la présence croissante de la milice Wagner liée au retrait des forces armées françaises leur offre une ouverture parfaite.
La relation étroite de la France avec le continent africain s’est abîmée. Le sentiment anti-français a progressé à grande vitesse ces dernières décennies. Mais pourquoi ? La présence croissante de puissances étrangères cherchant à instrumentaliser le rejet de la France l’explique, mais seulement en partie.
C’est le notamment le manque important de transparence de opérations militaires françaises qui est mis en cause. Comment les peuples et gouvernements africains peuvent-ils nous faire confiance quand nous prenons des décisions sur l’avenir de leur pays sans leur consentement ? Ce modèle d’intervention militaire paternaliste, qui n’associe pas ou peu à la décision les gouvernements des pays théâtres d’opération à fait montre de toutes ses limites. Une nouvelle fois, il parait impensable à l’avenir d’envoyer nos troupes dans des pays sans débouchés politiques tangibles ou sans association étroite, sur la durée, et avec les pouvoirs politiques en place.
Nous devons absolument être plus transparents sur nos actions, et sur les erreurs que nous avons commises.
Les peuples africains reprochent également à la France une indignation à géométrie variable concernant leurs dirigeants selon leur degré de coopération avec Paris. Et à raison ! Pourquoi dénoncer à juste titre la dictature militaire au Mali mais soutenir Idriss Deby, président du Tchad pendant 30 ans, puis son fils, placé au pouvoir après sa mort ? Le respect de la volonté des peuples et des droits humains doivent être notre boussole.
Alors que les effectifs de l’armée françaises sont réorientés au Niger et au Tchad, – là où demeurent certains intérêts stratégiques vitaux comme la fourniture d’uranium de nos centrales nucléaires -, il est plus que clair que nous devons bâtir un nouveau type de coopération avec le continent africain. Les accords de défense, comme les partenariats économiques doivent être conclus dans l’intérêt des peuples, tout en prenant garde à ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures des pays.
En parallèle, il nous faut continuer à soutenir le développement du continent et renforcer notre solidarité avec les pays les plus pauvres, notamment via notre aide publique au développement. Si des efforts notables ont été effectués depuis le vote de la loi de programmation il y’a deux ans. Nous rappelons avec force la nécessité de contribuer au développement par des dons directs et non des prêts. Ces derniers conduisent à prioriser les pays à revenu intermédiaire plutôt que les pays pauvres. L’aide apportée par notre pays doit être beaucoup plus ciblée et localisée. Garantir la sécurité et la subsistance à travers des réseaux locaux est une autre manière de lutter contre le terrorisme.
Nous devons ce juste retour car notre dette envers le continent africain est immense, mais nous devons aussi accompagner l’Afrique dans un développement qui se doit immédiatement d’être durable.
Il faut davantage conditionner les aides versées via au respect des droits humains, démocratiques, sociaux et écologiques notamment les droits des femmes et ceux des peuples autochtones. Nous demandons enfin que l’aide si opportunément accordée aux réfugiés ukrainiens sur notre sol intègre nos comptes sociaux et ne soit plus comptabilisée comme un effort d’aide publique au développement.
En plus de l’APD, il est nécessaire d’annuler les dettes de certains pays africains, notamment les dettes contractées par des dictatures dans le seul but d’enrichir le clan au pouvoir, ou d’engager des actions qui vont à l’encontre de l’intérêt général.
Tout cela est indispensable pour anticiper les futures décennies. Nous le savons, les pays les plus au sud, les pays les plus pauvres, vont subir et subissent déjà les conséquences les plus graves du réchauffement climatique.
Sommes-nous prêts à accueillir les futurs réfugiés climatiques qui arriveront par millions en Europe ? Nous peinons déjà à accueillir dignement les réfugiés qui entrent sur notre sol. Durcir les politiques migratoires déjà en vigueur ne sera d’aucun secours face à de tels mouvements de population.
Allons-nous continuer à laisser des entreprises françaises mener des projets climaticides ? Comme par exemple le nouvel oléoduc de Total en Ouganda et en Tanzanie qui, émettra 379 millions de tonnes équivalent CO2 en 25 ans (soit 216,5 millions liaisons aériennes Paris – New York). Les scientifiques sont pourtant clairs : si l’on veut atteindre zéro émission nette en 2050, plus aucun projet fossile n’est possible.
En plus du risque climatique avéré, les ONG dénoncent déjà plusieurs cas de violation des droits humains de Total en Ouganda et en Tanzanie. Cela me fait dire qu’il est plus que temps de renforcer l’application loi sur le devoir de vigilance des entreprises de 2017 opérations voire de la muscler en transformant le devoir de vigilance en obligation de vigilance avec une responsabilité accrue des entreprises et des opérateurs publics intervenants à l’étranger.
Monsieur le Ministre, mes chers collègues, nous sommes tous d’accord sur le constat, la politique africaine de la France est un tournant. L’occasion d’adopter une toutes autre attitude vis-à-vis des peuples africains et de faire primer le respect mutuel, la coopération pour accompagner un développement social et écologique du continent africain.