Le 2 octobre 2024, j’ai réagi à la déclaration de politique générale du Premier Ministre Michel Barnier au Sénat. J’ai notamment rappelé l’absurdité de sa nomination au vu des résultats des élections, la dangerosité des annonces réactionnaires du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau ou encore abordé les coupes brutales dans le budget de l’écologie.

Vous trouverez ma réaction en vidéo et sous format texte ci-dessous :

Monsieur le Premier ministre,

Vous avez insisté pour mettre le respect au cœur de votre méthode. Nous y souscrivons et considérons que le respect premier revenait au choix des urnes, qui aurait dû vous conduire à refuser le poste de Premier ministre. Votre présence devant nous cet après-midi est une anomalie, pour ne pas dire un affront, démocratique. Dans une démocratie parlementaire digne de ce nom, Emmanuel Macron aurait dû confier la charge de réussir ou d’échouer à former un Gouvernement au Nouveau Front Populaire, formation arrivée en tête du scrutin législatif. Au lieu de cela, le prince-président, faisant sien un principe christique cher au ministre de l’Intérieur, a fait des derniers, les premiers en confiant cette tâche aux Républicains, 6,5 % des voix…

Confier cette responsabilité à un homme et à une formation politique, qui ont refusé d’appeler au Front républicain, est une insulte au choix indiscutable du peuple souverain de faire barrage à l’extrême droite. Choix sans appel exprimé avec une participation historique. Ce Front républicain a permis au parti présidentiel d’éviter la débâcle. L’ignorer et se maintenir au pouvoir constitue un déni de démocratie sans précédent. Plus que jamais, la proportionnelle s’impose et nous mettons sur la table la proposition de loi de Mélanie Vogel.

Pire, former un Gouvernement qui n’existe que grâce à la bienveillance du Rassemblement national est un nouveau coup de canif à notre pacte républicain. Monsieur le Premier ministre, vous témoignez donc votre respect à l’héritière d’un parti d’anciens Waffen SS, dont le fondateur chantait encore des chants nazis le week-end dernier à Montretout, plutôt que de se présenter devant la justice. 

Vos actes confirment vos mots avec la nomination de Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur, dont le compagnonnage d’extrême droite au côté de Philippe de Villiers n’est un secret pour personne. Or, si l’on peut reconnaître quelque chose à Monsieur Retailleau c’est, selon ses propres termes, de ne « jamais se renier ». Ainsi, singeant le chancelier Palpatine proclamant l’empire sur les ruines de la République galactique, il plastronne que sa seule mission « est de rétablir l’ordre ». Avant votre déclaration de politique générale, vous le laissez exprimer « sans tabou » le fonds de sa pensée pas franchement républicaine. Morceaux choisis :

– « on ne doit protéger les libertés individuelles que si elles ne menacent pas la protection des citoyens »

– « la source de l’Etat de droit reste le peuple souverain »

– « l’immigration n’est pas une chance ».

Auparavant, il s’était déjà distingué en glorifiant notre passé colonial ou par différentes sorties racistes comme celle sur les « Français de papier ». L’objectif est rempli : votre ministre de l’Intérieur est adoubé par l’extrême droite, qui ne lui reproche que son entrisme au sein de la droite dite républicaine ces 15 dernières années. Vous échapperez ainsi à la censure immédiate.

Mais demeureront ces propos scandaleux sur l’État de droit, qui renient les efforts des bâtisseurs de la République d’après-guerre, instaurant tous les gardes-fous nécessaires pour éviter l’effondrement de la démocratie sur elle-même, comme en Allemagne en 1933. 

Face aux velléités réactionnaires de votre encombrant ministre, vous vous sentez obligé de nous rassurer sur le fait que vous ne reviendrez pas sur la loi Veil, le mariage pour tous et la PMA pour toutes, ne faisant que nous inquiéter davantage. 

Alors, Monsieur le Premier ministre, pourquoi ce pacte faustien avec les admirateurs de la Hongrie d’Orban, qui rêvent de défaire l’Europe humaniste si chère à vos yeux comme aux nôtres ? Comme dans un passé pas si lointain, la réponse est tragiquement évidente : pour préserver les intérêts des classes dominantes, et prolonger les cadeaux fiscaux des 7 dernières années, qui ont permis aux 500 plus grandes fortunes du pays de doubler leur patrimoine. 

Nous vous reconnaissons un peu moins de dogmatisme que vos prédécesseurs, puisque l’état calamiteux de nos finances publiques vous oblige à mettre à contribution temporaire les plus aisés. Mais vous prévoyez surtout 20 milliards d’euros de baisse de la dépense publique en 2025 et 60 milliards en 4 ans. Naturellement, vous n’évoquez aucune piste concrète à même de dégager ces sommes. 

Seule proposition la réforme de l’Etat mais c’est un marronnier. Ubu n’a jamais gouverné la France, aucune de nos dépenses publiques n’est une aberrante gabegie. J’en veux pour preuve la RGPP et la Modernisation de l’action publique qui n’ont permis, en une décennie, qu’une quinzaine de milliards d’euros d’économies. La sobriété administrative ne peut pas suffire et le rabot généralisé va, loin de vos beaux discours, venir taillader nos services publics et nos politiques sociales et écologiques.

Votre discours écologique est mieux écrit que celui de vos quatre prédécesseurs, mais il sonne faux alors que vous voulez revenir sur le ZAN, limiter l’installation d’éoliennes et que les lettre plafonds budgétaires prévoient :

– 1,7 milliards en moins pour la rénovation thermique, 

– 1,5 milliards en moins pour le Fonds verts pour le climat, 

– un demi-milliard en moins pour l’ADEME, 

– 25 % en moins pour la biodiversité, qui n’a même plus de secrétariat d’Etat, pas plus que la politique de la ville d’ailleurs mais on l’a bien compris que pour les quartiers populaires, le seul enjeu est de « rétablir l’ordre ». 

Monsieur le Premier ministre, la trajectoire que vous ambitionnez pour nos finances publiques est incompatible avec l’économie de guerre dans laquelle notre pays est engagé pour soutenir l’Ukraine et celle qui s’impose pour lutter contre le dérèglement climatique et investir dans son avenir. 

Votre discours d’amour aux collectivités locales, à qui vous promettez des trésors de concertations pour négocier la pénurie, sonne tout aussi faux. Vous êtes tellement à court de solutions pour nos services publics que vous nous proposez, de manière totalement incongrue, de rappeler médecins et enseignants à la retraite. Nos collectivités ont besoin de moyens bien plus que de votre respect. Les maisons France service qui font votre admiration sont financées à 80 % par nos collectivités. Soutenez-les.  

Face à la colère agricole, vos propositions sur les marges de la grande distribution et les clauses miroirs des traités de libre-échange nous semblent largement insuffisantes. Nous vous demandons : 

  • l’instauration de prix planchers pour les agriculteurs, comme promis par le président, 
  • de stopper les accords de libre-échange (CETA, Mercosur). 
  • et de soutenir sans tarder l’agriculture biologique, seul modèle agricole qui « n’emprunte pas la terre à nos enfants » et qui souffre gravement de notre régime de subvention inéquitable. 

Pour donner corps à votre attachement à la consultation citoyenne, commencez donc par publier les milliers de cahiers de doléances du grand débat national qui dorment depuis 5 ans dans les préfectures, comme le demande notamment notre collègue Marie Pochon.

Le temps me manque pour répondre à votre 1h30 de discours. 

Nous saluons néanmoins votre reprise en main du dossier calédonien que nous appelions de nos vœux et espérons qu’elle permettra de retrouver l’esprit des accords de Nouméa pour réparer les dégâts du coup de force présidentiel. 

Pour conclure, alors que Gaza est rasée, alors que le Liban est au bord de l’effondrement, alors qu’Israël est sous les bombes, alors que les victimes se comptent par dizaine de milliers, alors que la situation au Proche-Orient nous rapproche chaque jour d’une guerre régionale ou pire, alors que vos appels aux cessez le feu sont aussi louables que vains, nous vous implorons d’agir avec force pour stopper l’engrenage de violence : 

  • décrétez l’embargo sur toutes nos licences d’exportation d’armes et de biens à double usage vers Israël et tout autre belligérant
  • et reconnaissez l’Etat de Palestine.

Monsieur le Premier ministre, votre Gouvernement n’a pas d’avenir, mais sur ce sujet vous pouvez immédiatement jouer un rôle décisif.

Je vous remercie 

Crédit photo : CC-BY-4.0: © European Union 2019 – Source: EP