Le Sénat a adopté mardi à une courte majorité de 153 voix contre 143 (et 45 abstentions) le projet de loi relatif à la bioéthique dont la mesure phare était l’ouverture de la Procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes. Cette mesure aurait sans doute mérité un projet de loi spécifique (comme cela était initialement prévu) plutôt que d’être mêlée à la révision de nos normes de bioéthique, une petite décennie après la dernière loi de 2011. Ainsi, au menu du débat parlementaire, nombre de sujets complexes comme ceux relatifs l’assouplissement des règles encadrant la recherche scientifique sur le vivant et notamment sur les embryons, sur les cellules souches ou sur le génome.
Cette variété des sujets aurait mérité des examens séparés.
Toujours est-il que ces deux semaines d’examen ont été d’une très grande qualité. Malgré leur grande technicité, ces débats font néanmoins appel à des sentiments et des convictions profondes, sentiments et convictions qui façonnent le rapport de chacun d’entre-nous à sa propre vie et au vivant dans son ensemble.
Ces débats très riches ont très largement dépassé les clivages politiques habituels de notre assemblée et, fait rare, on a pu observer les positions des uns et des autres évoluer à mesure que s’échangeaient les arguments et les tirades des orateurs.
La qualité de nos échanges a souligné l’importance cruciale du Parlement, du débat contradictoire, de la recherche du compromis. Nous avons vécu un très beau moment de démocratie.
La PMA votée par le Sénat avec des restrictions :
Parmi les bonnes nouvelles, le Sénat a validé l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Considérant la position majoritairement conservatrice de la droite sénatoriale, c’était loin d’être une évidence. Ce vote, permis par la mobilisation de la gauche, est une avancée importante des droits des femmes. Cela dit, la version du Sénat est nettement plus restrictive que celle de l’Assemblée interdisant la PMA post-mortem (après la mort du mari), en interdisant l’autoconservation des ovocytes en dehors de raison médicale ou inventant un système bancal de filiation par adoption plutôt que par reconnaissance (pour la mère ne portant pas l’enfant).
Plus problématique, le Sénat a interdit le remboursement de la PMA par la sécurité sociale hors cas d’infertilité cliniquement prouvé, une disposition encore plus restrictive que la loi actuelle. Ce faisant, il créé une profonde rupture d’égalité entre les femmes et limite grandement la portée du texte. J’espère vivement que l’Assemblée nationale reviendra sur ce choix.
A l’issue d’un débat très complexe sur la levée de l’anonymat du don de gamète (voulue par le Gouvernement), le Sénat a adopté un compromis qui me semble très insatisfaisant en laissant le choix au donneur de donner son identité ou pas, ce qui créera une disparité problématique entre les enfants nés de PMA qui souhaiteraient connaitre leurs origines.
Malgré toute ses réserves, l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, votée par le Sénat majoritairement conservateur, constitue une indéniable victoire politique.
Le Sénat pose des garde-fous à la recherche sur les embryons et le génome :
Le reste du projet de loi prévoyait de nombreuses évolutions législatives pour assouplir, parfois de manière problématique, les possibilités de recherche sur les embryons, les cellules souches et le génome.
Ceci notamment afin de lutter contre l’infertilité, problème de plus en plus prégnant dans nos sociétés modernes, et qui concerne près d’un couple sur 8 dans notre pays.
J’ai regretté, en revanche, que rien ou presque dans ce texte ne concernait la recherche sur les causes de l’infertilité ou de certaines malformations fœtales !
Pourtant, si les causes environnementales de l’infertilité, sont identifiées, elles ne sont pas parfaitement comprises. Je pense tout particulièrement aux perturbateurs endocriniens, aux ondes électromagnétiques et aux pesticides et aux effets qu’on leur connait ou qu’on leur suspecte : fertilité du sperme, endométriose, bébés sans bras…
Alors, que nous dépensons un temps et un argent considérable à la recherche pour soigner l’infertilité, il faudrait orienter une partie de cet effort vers la recherche sur ces causes.
Comme souvent, nous refusons de corriger les causes de nos problèmes quand elles impliquent un changement profond de nos modes de vie, et préférons la fuite en avant en cherchant des solutions techniques pour corriger les conséquences…
Nos débats ont beaucoup structuré une opposition entre les médecins du Sénat souhaitant largement libéraliser les possibilités de recherches sur tous les sujets en expliquant que l’on pouvait faire toute confiance aux médecins et les sénateurs de tout bord politique auquel j’appartenais, convaincus que le rôle du législateur était de poser des limites claires de bioéthique.
Parmi les sujets, celui qui a le plus fait débat était la possibilité de créer des exceptions à un principe absolu de notre droit en matière de bioéthique : l’interdiction de totale de créer des embryons transgéniques ou chimériques, c’est à dire des embryons génétiquement modifiés ou d’embryons issus de croisements entre des cellules humaines et des cellules animales.
Avec mon groupe nous avons porté et fait adopter un amendement supprimant ces dispositions afin d’en rester au droit existant.
Il me paraissait important de préserver cette limite bioéthique, d’autant plus que les perspectives de recherche dessinées par un éventuel assouplissement de cette interdiction ne me semblent s’orienter que vers des travaux pouvant conduire, à terme (et après de nouveaux assouplissements de la loi) à la possibilité de créer des êtres humains génétiquement modifiés, comme de fût le cas en Chine en début d’année, provoquant un scandale planétaire.
Devant les potentielles dérives eugénistes de cette proposition, j’assume cette opposition ferme. Au regard des disparités sur le continent et au regard du très problématique exemple chinois, je crois également que ce sujet nécessite une réglementation européenne et internationale.
Finalement, satisfait que le Sénat ait ouvert la PMA à toutes les femmes malgré de nombreuses restrictions et globalement satisfait de la rédaction sénatoriale du texte sur les questions bioéthiques, j’ai voté en faveur de ce projet de loi. Il s’agissait d’une première lecture, pour un texte qui ne fait pas l’objet d’une procédure accéléré et qui sera de nouveau examiné dans chacune des chambres.