Le Sénat adopté jeudi 29 juin la Loi de programmation militaire pour la période 2024 – 2030 qui prévoit une hausse cumulée de nos dépenses de Défense de 118 milliards d’euros et un accroissement du budget des armées de près de 50 % d’ici à 2030. Malgré quelques progrès les écologistes se sont abstenus sur ce texte.


Avec l’invasion russe en Ukraine, le gouvernement a accéléré et anticipé d’un an le processus d’élaboration de la Loi de programmation militaire (LPM) afin d’adapter nos armées aux nouveaux enjeux technologiques contemporains. Mais cette LPM s’inscrit dans la lignée des précédentes et ne présente aucune rupture avec celles-ci hormis un déficit de concertation parlementaire. Cette augmentation drastique du budget militaire ne met aucunement les plus aisés à contribution et, dans le cadre de la restriction dogmatique des 3% de déficits publics, risque d’amputer les autres budgets ministériels tels que la transition écologique, la santé ou l’éducation de leur budget.

Cette LPM témoigne une certaine illusion du Gouvernement qui considère la France comme puissance « d’équilibre mondial ». En réalité, ce que montre le conflit ukrainien c’est que les Européens, trop fragmentés, sont dépendants des États-Unis pour assurer la sécurité du continent. La France n’a pas tous les moyens de ses ambitions actuelles, notamment pour renouveler sa dissuasion nucléaire, conserver un modèle d’armée complet et investir de « nouveaux champs de conflictualité » (espace, fonds marins, cyber, etc).

Les écologistes considèrent que la seule échelle de puissance réaliste est l’Europe et que notre effort militaire ne peut être soutenable pour la Nation que par la mutualisation des efforts avec nos partenaires européens.

Faute de quoi, la LPM présentée par le Gouvernement n’aboutit qu’à un saupoudrage d’investissements insuffisants, notamment pour les besoins des forces conventionnelles, en particulier l’armée de terre. Cette LPM ignore trop largement la nécessité d’un renforcement historique de la coopération européenne en matière de politique étrangère et de défense. Par ailleurs, le Parlement n’a pas les moyens de contrôler efficacement la politique de défense de la France, notamment en matière d’exportations d’armes, du fait du manque de transparence du gouvernement en la matière. Enfin, les efforts écologiques du ministère des armées restent quasiment absents du projet de loi alors même qu’il est le premier consommateur d’énergies fossiles de l’État.

Sur ce dernier point comme sur d’autres le Sénat a fait progresser le texte, notamment à notre initiative et je vous laisse poursuivre la lecture dans de détail ci-dessous.

Le risque d’empiéter sur le budget des autres services publics

 Bien que les écologistes soient profondément pacifistes, le contexte actuel de l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui remet en cause la démocratie en Europe justifie à nos yeux l’effort militaire déployé par la France. Toutefois, le Parlement a déjà adopté quatre lois de programmations des dépenses publiques et l’ajout de la LPM alors que le gouvernement tient à revenir sous les 3% de déficit public risque de réduire le budget alloué aux autres services publics tels que la transition écologique, l’éducation et la santé. Pour éviter que la LPM soit financée par de tels transferts de crédits et affaiblisse davantage nos services publics nous avons déposé un amendement visant à garantir son financement par le recours à de nouvelles recettes.

Un investissement massif dans la dissuasion nucléaire sans perspective de réduction des arsenaux

Partant du constat qu’à aucun endroit de la LPM ne figure la part du budget alloué à la dissuasion nucléaire, nous avons voulu nous assurer que celui-ci n’empiète pas sur le budget alloué aux autres postes de l’armée, en premier lieu l’armée de terre. Celle-ci voit déjà ses capacités réduites de 28% alors même que le budget militaire s’accroît d’environ 30% ! Le ministre de la Défense, M. Lecornu avait laissé entendre que la dissuasion nucléaire représenterait environ 13% du budget de la LPM. Nous avons donc déposé un amendement afin que ce montant soit explicitement signifié dans la loi.

La dissuasion nucléaire coûte très cher alors qu’elle n’évite aucunement un conflit militaire indirect avec une puissance nucléaire et entraîne même des risques de course à l’armement nucléaire. Alors que le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires signé en 1968 par la France reste largement incantatoire, le Traité d’interdiction des armes nucléaires adopté par l’Assemblée générale de l’ONU en 2017 constitue pour l’instant la seule voie vers le désarmement nucléaire multilatéral. Nous pensons que, bien qu’un désarmement unilatéral de la France soit impossible, rejoindre ce traité en tant que membre observateur est une nécessité afin de suivre les évolutions en matière d’interdiction des armes nucléaires, d’échanger sur notre position et de renforcer nos liens diplomatiques avec les autres États participants. C’est donc l’objet de l’amendement présenté ci-dessous.

Nous avons enfin proposé qu’un débat parlementaire, engageant les acteurs de la société civile compétents concernant la dissuasion nucléaire soit tenu avant la fin de cette LPM. C’est en effet un sujet de souveraineté national complexe de première importance. D’autant que le montant du budget de cette LPM alloué à la dissuasion est particulièrement élevé (13%). A l’heure où le contexte géopolitique est au regain de tension et où le risque d’escalade nucléaire redevient particulièrement d’actualité, il est nécessaire de débattre souverainement de la position de la France confronté à un enjeu de sécurité nationale d’une part et à la nécessité d’un désarmement multilatéral d’autre part.

La dimension européenne trop absente de cette programmation militaire

Alors que le Gouvernement cherche à entretenir l’illusion que la France est une puissance militaire mondiale, nous pensons que seule une Europe de la défense permettrait de faire face au regain des tensions géopolitiques de ces dernières années. Nous considérons que l’Europe est l’échelle adéquate pour produire notre effort militaire, pour le mutualiser en coopération avec nos alliés afin de bâtir une défense européenne cohérente, suffisante à un coût raisonnable. Face à la puissance de la Chine et des Etats-Unis, nous ne pouvons nous faire entendre sur la scène internationale qu’en parlant d’une voix européenne. Promouvoir ainsi les valeurs européennes de résolution pacifique des conflits, de démocratie et de respect des droits de l’homme à l’international passe nécessairement par une politique étrangère européenne dont il est peu question dans cette LPM. Nous avons fait adopter un amendement afin que la France encourage activement cette solution.

Nous avons également fait adopter un amendement pour demander que la France agisse pour renforcer la coopération en matière de prévention et de résolution non-violente des conflits, et pour prévenir l’insécurité et les conflits liés au changement climatique.

Une lutte contre les discriminations et la propagation d’idéologies dangereuses

La part des femmes militaires dans les armées ne s’élève aujourd’hui qu’à 16,5% et elles sont largement sous-représentées sur le terrain tandis qu’elles sont surreprésentées dans les services de santé par exemple. Malgré les efforts de l’ancienne ministre Florence Parly cette proportion s’avère insuffisant C’est pourquoi nous avons fait adopter un amendement en commission parlementaire pour que l’armée atteigne 20% de femmes parmi les militaires d’active. L’égale chance d’accès et d’évolutions des femmes et des hommes au sein de l’armée est indispensable.

Mais cela est valable pour toutes et tous car l’armée est une institution qui se doit de refléter la société qu’elle sert et dont elle doit embrasser les valeurs. Toute forme de discrimination en son sein nous est insupportable et celle-ci ne concerne pas que le genre. Elle s’étend au racisme, et surtout aux idéologies nauséabondes des néonazis et fascistes dont on a pu observer la diffusion grâce à l’enquête de Médiapart du 16 mars 2021 qui identifie une cinquantaine de néonazis au sein de l’armée. Ce phénomène est alarmant et met en péril notre République, nous devons veiller par tous les moyens à l’exemplarité des militaires qui doivent servir notre Nation et ses valeurs. Nous avons donc défendu deux amendements visant une tolérance zéro à l’égard des potentielles nouvelles recrues ou des militaires en exercice.

Nous avons enfin fait adopter plusieurs amendement de Mélanie Vogel. Un amendement pour interdire la mention de son orientation sexuelle dans le dossier individuel du militaire. Deux amendements pour aligner les définitions du harcèlement sexuel et du harcèlement moral dans le code de la Défense, avec celles inscrites dans le code du Travail et le code Pénal.

Des efforts en matière de décarbonation largement insuffisants que nous avons renforcés

 Alors que l’impact écologique détaillé de l’armée reste largement opaque, on estime aujourd’hui que l’émission des armées dans le monde atteint 7% des émissions totales de gaz à effet de serre soit environ 85% des émissions carbonées de l’ensemble des voitures. Par ailleurs comme l’a souligné Mme Parly, le ministère de la défense est le ministère à l’impact environnemental le plus néfaste. Il consomme 850 000m3 annuels de produits pétroliers, notamment pour faire voler ses avions. La transition énergétique est le principal défi écologique de notre époque et c’est également une question d’indépendance stratégique majeure vis-à-vis des pays nous fournissant en énergies fossiles. Nous avons fait adopter un amendement afin que l’armée contribue activement à atteindre les objectifs de diminuer les GES de notre pays de 40% par rapport à 1990 d’ici à 2030, conformément à la Stratégie Nationale Bas Carbone.

Pour permettre de tenir cet objectif, nous avons défendu une série d’amendement. Tout d’abord pour éradiquer les passoires thermiques parmi les logements militaires. De nombreux logements sont en effet très mal isolés et constituent une grande perte d’énergie, facture payée par les militaires qui y habitent et qui eux-mêmes souffrent du froid l’hiver et de la chaleur l’été. Nous ne pouvons tolérer que les femmes et les hommes qui défendent notre Nation ainsi que leur famille soient logés dans l’insalubrité et l’inconfort. La rénovation thermique des bâtis militaires est pour nous une priorité.

 Dans la lignée de l’amendement précédent, nous demandions un audit énergétique global des infrastructures et bâtiments militaires qui représentent plus du quart de la consommation énergétique militaire. En plus d’être une avancée écologique majeure, cela permettrait de réduire drastiquement les dépenses liées à l’inefficacité énergétique de ces infrastructures à long terme. De plus, cette question concerne encore une fois notre indépendance stratégique vis-à-vis des zones de tension dans lesquelles sont produites les énergies fossiles. Cet enjeu a été vivement ressenti avec la guerre russo-ukrainienne. Nous avons enfin fait adopter un amendement qui invite l’armée à se conformer autant que possible aux règles de construction écologique fixées par la Réglementation environnementales 2020 (RE2020).

Pour réaliser la transition énergétique de l’armée et atteindre les objectifs mentionnés ci-dessus, il est nécessaire, en plus de limiter nos dépenses énergétiques inutiles, d’investir dans les énergies renouvelables qui généreront à long terme des économies. Il s’agit également de respecter la directive européenne sur les énergies renouvelables adoptée le 16 juin dernier qui fixe un objectif de 42,5% de renouvelable dans la consommation totale d’énergie d’ici à 2030. C’est donc l’objet de nos deux amendements défendus dans les vidéos suivantes sur le déploiement de panneaux solaires et d’éoliennes.

Renforcer le contrôle parlementaire pour corriger le déficit de transparence et de concertation démocratique

Le contrôle parlementaire de la politique de Défense française est lacunaire, cette loi de programmation militaire marquant même un recul par rapport au deux précédentes. Le Sénat a ajouté des outils des contrôle parlementaire bienvenue dans le texte pour s’assurer que la réactualisation de la programmation en 2027 passe nécessairement par un vote du Parlement et pour que le Parlement soit plus étroitement associé à la préparation de la prochaine LPM par la rédaction d’un livre blanc.

Dans cette logique, nous avons également fait adopter un amendement pour que le Parlement soit mieux informé du détail du soutien indispensable apporté à l’Ukraine. L’enjeu de cette guerre réside dans la capacité des démocraties occidentales à maintenir dans le temps long leur soutien à l’Ukraine. Pour tenir dans la durée, il faut pouvoir s’appuyer sur l’opinion publique et celle-ci doit nécessairement être informé, à minima via la représentation nationale, pour comprendre l’importance de l’enjeu et la nécessité de l’effort.

Autre problème structurel de notre politique de Défense, dénoncé à de nombreuses reprises par l’Union européenne est l’impossibilité pour le Parlement d’exercer un contrôle efficace sur les exportations d’armements français, qui font malheureusement souvent scandale. Nous demandons que le Parlement puisse contrôler les exportations d’armes et de biens à double usages français et nous assurer que la France respecte ses engagements internationaux en matière de droit humanitaire. Le Gouvernement reste en effet très opaque en la matière et le seul rapport annuel sommaire qui est transmis au Parlement à cet égard contient de moins en moins de détails au fil du temps. Pour pallier cela, nous avons proposé l’instauration d’une délégation parlementaire permettant d’exercer un contrôle parlementaire a posteriori sur les exportations d’armements de la France tout en respectant le secret-défense. Nous nous sommes finalement ralliés à la proposition du rapporteur, que nous formulions également en repli de la nôtre, d’élargir les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement au contrôle des licences d’exportations d’armements.

Renforcer le lien entre l’Armée et les collectivités locales

Nous avons enfin défendu des amendements pour renforcer le lien entre l’armée et les territoires où sont implantés ses emprises et ses garnisons. Tout d’abord, nous avons fait adopter un amendement pour généraliser autant que possible, la possibilité pour les civiles d’utiliser certains équipements militaires (gymnases, piscines, etc) sans gêner l’activité des forces.

Ensuite, nous avons plaidé sans succès pour que l’Etat compense pour les collectivités concernées, l’impossibilité de percevoir la taxe foncière sur le bâti militaire. Alors que la pression financière sur les communes est de plus en plus forte et que leurs leviers fiscaux se raréfient, il nous paraissait important que l’Etat puisse les aider et les aider notamment a entretenir un cadre de vie agréable et des services publics efficaces dont profitent également nos militaires et leurs familles.

Nous avons enfin fait adopter un amendement demandant au Gouvernement d’engager une réflexion sur les possibilités, pour les communes accueillant des garnisons, d’articuler les exigences de 25 % de logements sociaux (SRU) et de la fin de l’artificialisation des sols (ZAN), notamment via la réflexion au sujet de l’opportunité de comptabiliser les logements militaires hébergeant un public éligible au logement social le calcul du nombre de logements sociaux.