Durant six mois, à la demande du groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires, le Sénat a organisé une commission d’enquête sur la rénovation énergétique des logements, dont j’ai été le rapporteur. Les différentes politiques publiques en la matière devaient en effet être mises à plat et leur efficacité évaluée, car la France est encore loin d’atteindre ses objectifs en la matière. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, mais aussi pour réduire nos importations de combustibles fossiles, créer des emplois, alléger les factures des ménages et améliorer le confort de vie, nous devons en effet rénover 370.000 logements par an d’ici 2030 et 700.000/an au-delà. Or, nous en sommes à moins de 100.000 rénovations globales actuellement. La plupart des travaux entrepris concerne un changement mineur (mode de chauffage, fenêtres, isolation parcellaire…), sans grand effet sur la performance globale du logement.

Le travail de la commission d’enquête a été conséquent : nous avons entendu 174 personnes au cours de 21 réunions plénières et cumulé plus de 66 heures d’auditions. Ont notamment été entendus les anciens et actuels ministres du logement et de la transition écologique, des professionnels du BTP, des architectes, des structures spécialisées ou des spécialistes de la question. Nous avons également réalisé trois déplacements : en Isère, dans les Alpes Maritimes et auprès des institutions européennes à Bruxelles. Ceux-ci ont permis de visiter plusieurs chantiers de rénovation et de dialoguer avec les acteurs locaux qui accompagnent la rénovation énergétique (comme l’ALEC et l’AGEDEN en Isère). Toutes les auditions et les informations sur ces déplacements sont disponibles sur la page dédiée à la commission d’enquête sur le site du Sénat.

Au terme de ces six mois, nous avons publié un rapport de près de 250 pages, qui comprend trois parties : les enjeux de la rénovation énergétique, l’évaluation des dispositifs existants et des propositions pour accélérer fortement le rythme des rénovations. Celui-ci peut-être consulté en version complète ici ou en version synthétisée ici.

Un immense chantier, de multiples enjeux

Les enjeux de la rénovation énergétique sont désormais bien connus : Selon l’Observatoire national de la rénovation
énergétique (ONRE), 5,2 millions de résidences principales (17 %) sont classées F et G. Au-delà de ces passoires thermiques, les deux tiers du parc résidentiel doivent faire l’objet d’une rénovation énergétique, afin de ne plus avoir que des logements classés A, B ou C en 2050.

Le premier objectif est évidemment écologique, puisque le bâtiment représente 48 % de la consommation nationale d’énergie et 28 % des émissions de gaz à effet de serre, le logement représentant deux tiers de ces chiffres. Le second enjeu est social et sanitaire : L’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) estime qu’environ 5,6 millions de ménages souffrent de précarité énergétique, un chiffre en croissance régulière avec la hausse des prix de l’énergie. En outre, le risque de développer des maladies est 50% plus élevé dans un logement mal isolé, selon une étude de l’OFCE.

Le troisième enjeu est celui de la préservation de nos paysages et de la biodiversité, en rénovant plutôt qu’en continuant d’artificialiser pour construire de nouveaux logements. Enfin, le dernier enjeu est celui de la souveraineté industrielle : de vastes filières (matériaux, isolants, chauffage…) doivent être relocalisées en France, pour sortir de notre dépendance à l’étranger. Par exemple, 2 pompes à chaleur sur 3 sont aujourd’hui importées de Chine.

Une politique publique illisible et trop complexe

Si la nécessité d’accélérer la rénovation énergétique fait désormais consensus, les politiques publiques mises en place pour y parvenir sont loin d’être à la hauteur. Plusieurs obstacles majeurs ont été identifiés :

Le risque de découragement des propriétaires est réel. D’abord, les dispositifs d’aide changent beaucoup trop fréquemment et deviennent incompréhensibles. Par exemple, le service d’accompagnement des particuliers à la rénovation a changé cinq fois de nom et deux fois de mode de financement dans les années récentes ! Tous les acteurs auditionnés nous ont évoqué ce problème et réclamé une organisation stable et pluri-annuelle. La complexité des démarches est encore renforcée par le caractère dématérialisé des demandes Ma Prime Rénov, sur laquelle j’ai déjà eu l’occasion d’interpeller le gouvernement. Enfin, la multiplication des fraudes et arnaques découragent fortement à lancer les travaux.

Un second enjeu fondamental est celui du reste à charge, c’est-à-dire du coût des travaux non couvert par les aides. Or, les dépenses sont importantes, généralement plusieurs dizaines de milliers d’euros. Pour les ménages modestes, ce reste à charge peut être supérieur à 30 % et représenter une demi-année voire une année entière de revenu, ce qui n’est pas supportable.

Ensuite, si les gestes de rénovation se multiplient, les rénovations globales, bien plus performantes et moins chères au total qu’une succession de petits gestes, sont bien moins nombreuses. Ainsi, dans 72 % des cas, Ma Prime Rénov finance un changement de mode de chauffage au profit d’une pompe à chaleur. Le cas des chaudières à gaz a également été abordé : étant donné que 40% des Français et 60% des locataires de logements sociaux utilisent ce mode de chauffage, une interdiction à court terme ne paraît pas envisageable. Il est préférable de réduire d’abord la facture énergétique des logements avant de changer de type de chauffage.

Par ailleurs, le thermomètre de la performance énergétique, le DPE, qui constitue un critère de plus en plus important dans l’achat d’un bien, ne fonctionne pas bien. Il peut donner des résultats assez différents suivant la façon dont les critères sont remplis et plusieurs effets de seuil doivent être corrigés. Je pense par exemple à la question de l’altitude, importante pour nos communes de montagne, dont l’effet est pris en compte de manière brutale et non progressive.

Le label Reconnu garant de l’environnement (RGE), censé désigner les entreprises compétentes pour procéder aux opérations de rénovation qui bénéficient d’une aide publique, est également contesté. Les entreprises le jugent trop contraignants et les ménages trop peu protecteur. Au final, beaucoup d’entreprises finissent par l’abandonner.

Le rôle essentiel de l’accompagnement aux travaux a également été étudié. Les accompagnateurs Rénov’ sont en cours de déploiement, mais leur articulation avec les plateformes locales d’aide n’est pas encore clair. Là encore, il faut bâtir un service public unique et cohérent, avec des relais de proximité sur les territoires.

Enfin, deux types de logements particuliers doivent être pris en compte. Les copropriétés d’une part : dans un même immeuble, chaque appartement peut avoir un DPE différent. Or, certains propriétaires souhaitent faire des travaux, tandis que d’autres ne le souhaitent pas ou n’en ont pas les moyens. Il est donc nécessaire de prévoir des dispositifs dédiés. Le bâti ancien (avant 1948) d’autre part : il représente plus d’un tiers des logements, dont beaucoup sont des passoires thermiques, mais aussi un patrimoine architectural à préserver. Les réglementations doivent tenir compte de ces spécificités.

Comment accélérer enfin la rénovation ?

Les grands objectifs de la politique de rénovation ont déjà été fixés. Il n’y a pas lieu de chercher à les modifier. Pour les atteindre, nous devons inclure de nouveaux types d’énergie quand cela est possible (géothermie, réseaux de chaleur, biomasse), favoriser systématiquement les rénovations efficaces, dans un parcours accompagné et cohérent, pour conduire à une rénovation globale, viser un reste à charge minimal et garantir une stabilité des budgets et de la stratégie de rénovation thermique via une programmation pluri-annuelle et un pilotage interministériel.

Pour rétablir la confiance, nous souhaitons réformer le DPE, délivrer une carte professionnelle (moyennant des contrôles) aux artisans réalisant les travaux et rendre le DPE obligatoire pour obtenir des aides. Pour simplifier la vie des artisans et ne pas retarder davantage les travaux, nous souhaitons qu’ils puissent faire valider un chantier à posteriori moyennant un contrôle. Nous voulons aussi durcir la lutte contre la fraude avec le renforcement des sanctions financières et de nouvelles obligations d’information. Enfin, les collectivités locales doivent être le point d’entrée de l’information et de l’accompagnement, et le lieu où pourront se formaliser un parcours et s’agréger les demandes d’aides. Cela afin d’éviter que les dossiers soient gérés uniquement en ligne depuis Paris.

Une fois ces réformes menées, il est nécessaire d’augmenter fortement le budget alloué à la rénovation énergétique. Nous proposons donc de porter les crédits de MaPrimeRénov’ à 4,5 milliards d’euros dès 2024 (+ 1,6 milliard), de tripler les aides à la rénovation globale pour les ménages les plus modestes en portant le plafond d’aide à 45 000 euros et de rendre l’audit
énergétique et l’accompagnement gratuits pour ces ménages. Pour réduire le reste à charge, parfois à 0€ pour les plus modestes, nous souhaitons développer l’éco-prêt à taux zéro et le prêt avance rénovation, qui permet de financer les travaux via une avance remboursable à la revente du logement. De plus, les critères des aides doivent être harmonisés et la TVA à 5,5% envisagée. Enfin, nous demandons des moyens supplémentaires pour la géothermie et les réseaux de chaleur.

Pour les copropriétés, nous proposons de rendre les copropriétaires solidaires face à la rénovation énergétique en s’appuyant sur le DPE collectif qui doit devenir opposable et d’abaisser le seuil de décision à la majorité simple, pour lever les blocages. Les bailleurs sociaux sont eux très volontaires pour mener ces travaux, mais n’en ont pas les moyens : l’Etat doit leur accorder immédiatement 1,5 milliards d’euros supplémentaires. Pour le bâti ancien, un cadre spécifique doit être créé, notamment grâce à la Fondation du Patrimoine.

Enfin, l’offre de rénovation doit être structurées : 200.000 personnes, de l’ouvrier à l’architecte, doivent être formées, y compris à l’usage des matériaux bio-sourcés et aux techniques propres aux bâti ancien et patrimonial. Pour relocaliser la production des matériaux et des équipements, nous proposons d’appliquer un « score carbone » dans les aides, afin de rendre moins attractifs les produits low cost fabriqués à l’étranger. Les matériaux bio-sourcés doivent être de plus en plus utilisés, grâce à des certifications, une bonification des aides et leur ajout aux critères de la commande publique.

Quelle suite ?

L’enjeu de la rénovation énergétique me tient particulièrement à cœur depuis des années. Avant même mon mandat de sénateur, en tant qu’architecte et maire du Percy, j’ai travaillé sur des chantiers de ce type et observé toutes les difficultés décrites plus haut. Le travail mené dans le cadre de cette commission d’enquête est donc une fierté, car il permet enfin une évaluation et des propositions sérieuses pour réussir cet immense défi environnemental, économique et sanitaire.

Après la présentation de nos propositions à la presse, qui s’en est largement fait l’écho, nous avons transmis nos conclusions au gouvernement pour qu’il s’en empare. S’il échoue à le faire, nous utiliserons la loi de programmation énergie climat ou le projet de loi de finances 2024 pour déposer des amendements sur le sujet. Si cela ne suffit pas, nous préparerons une proposition de loi spécifique sur ce sujet. Cette commission d’enquête marque donc une étape importante, mais le chantier ne fait encore que commencer !