Ces dernières semaines, les agriculteurs de toute la France ont exprimé leur colère et leur détresse à travers des manifestations et des blocages un peu partout dans le pays. J’ai eu l’occasion de me rendre sur le barrage de l’A480 à Grenoble, ainsi que sur celui du péage de Saint-Quentin Fallavier (Isère), la plus grande zone logistique de France, à proximité de Lyon. J’y ai échangé avec des agriculteurs très différents mais réunis par de nombreux combats communs, notamment autour de l’incapacité à vivre de leur travail et leur incompréhension face à la concurrence déloyale organisée par le libre-échange.

Ces problèmes sont particulièrement profonds et ne datent pas d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas ici d’un mouvement de protestation ponctuel face à une taxe ou une norme spécifique, mais bien d’un cri du cœur face à l’asphyxie économique dont l’agriculture familiale fait l’objet. Ce mouvement s’est d’ailleurs organisé en grande partie en dehors des syndicats agricoles, en particulier du syndicat majoritaire, qui co-gère de fait le système agricole en France depuis des décennies et porte une part importante de responsabilité dans la situation actuelle.

Face à cette crise généralisée, le gouvernement et le syndicat majoritaire se sont contentés de répondre par des aides d’urgences et la suspension de certaines normes. Le but est évidemment de faire perdurer tant bien que mal un système qui ne fonctionne pourtant plus depuis longtemps pour la majorité des agriculteurs, et surtout d’éteindre l’incendie. Lassés, en difficulté financière ou par peur de la répression qui s’abat sur leurs collègues qui continuent à se mobiliser, la plupart des agriculteurs ont levé les blocages et rejoint leur ferme. Aucune des raisons de leur mobilisation n’a pourtant eu de réponse.

Le cap n’a pas changé, il s’agit toujours de promouvoir une agriculture toujours plus productiviste et mondialisée. Il s’agit pourtant d’une impasse :

-sur le plan économique pour les petites exploitations, qui ne peuvent lutter contre la concurrence étrangère et sont souvent condamnées à disparaître.

-sur le plan de la souveraineté alimentaire, car notre déficit commercial alimentaire ne cesse d’augmenter sur certaines productions, comme la viande et les fruits et les légumes.

-sur le plan environnemental, car elle conduit à importer des produits de l’autre bout du monde, souvent très loin de nos standards écologiques et sanitaires.

-pour la vie dans nos campagnes enfin, car les agriculteurs sont souvent au cœur de la vie locale. Économiquement, ils font vivre de nombreuses autres activités autour d’eux, politiquement ils sont souvent très impliqués dans les mairies, culturellement, ils ont un rôle symbolique extrêmement fort. Ainsi, la disparition d’une exploitation agricole est souvent aussi dramatique pour une commune rurale que celle d’une école, d’une maternité ou d’un autre service public.

Toutes ces catastrophes sont le résultat direct de politiques dénoncées par les écologistes depuis longtemps : 

-une Politique Agricole Commune (PAC) qui ne bénéficie qu’aux plus gros agriculteurs.

-une course au gigantisme des exploitations, encouragée par les emprunts bancaires à rembourser, qui détruit de l’emploi et de la biodiversité.

-la multiplication des traités de libre-échange.

-une idéalisation du progrès technique (nouvelles machines, robots, drones, OGM…), perçu comme unique solution aux problèmes du monde agricole et qui piège les agriculteurs dans une spirale d’endettement.

Alors que ce diagnostic est connu depuis longtemps et partagé par beaucoup, le gouvernement et le syndicat majoritaire ont préféré résumer les problèmes de l’agriculture française à un excès de normes et de taxes. S’il faut sans doute simplifier certaines procédures, l’existence de normes est aussi la garantie d’un respect des terres, de nos ressources en eau, de la santé des agriculteurs et des consommateurs. Ces normes doivent être respectées, faute de quoi, la fuite en avant ou le retour en arrière accélèrera l’épuisement et l’empoisonnement des sols, le manque d’eau et la catastrophe climatique. 

Les dernières annonces de Gabriel Attal vont dans le sens souhaité par le syndicat majoritaire, avec diverses procédures simplifiées, quelques aides d’urgence, la suspension temporaire du plan Ecophyto et l’abandon de la hausse des taxes sur le gazole non-routier (GNR), qui avait pourtant été négociée en sous-main par le syndicat majoritaire en échanges de facilités sur les biocarburants. En s’attaquant aux normes, le gouvernement cherche surtout à éviter d’aborder la rapacité de la grande distribution et de l’industrie agro-alimentaire, cause principale de la ruine des petites exploitations. La première a recours à des centrales d’achat étrangères pour contourner les lois Egalim, tandis que la seconde a profité de la vague inflationniste pour gonfler ses marges à 48% de son chiffre d’affaires ! 

Une telle distorsion de pouvoir au détriment des agriculteurs suppose une action forte de la part de l’Etat pour répartir plus équitablement la valeur ajoutée. Les lois Egalim étaient déjà insuffisantes, mais leur application a à peine été contrôlée. Il a fallu que les agriculteurs bloquent le pays pour que le gouvernement daigne envoyer 100 inspecteurs de la DGCCRF sur le terrain ! Alerté par les syndicats de cette administration sur un cruel manque de moyens, qui ne leur permet pas de remplir toutes leurs missions de lutte contre la fraude, j’avais déjà plaidé pour un renforcement des effectifs de la DGCCRF il y a plusieurs mois.

Au-delà des contrôles, il nous faut surtout aller beaucoup plus loin et réformer en profondeur le système agricole. Pour dépasser Egalim, il faut que les agriculteurs, rarement fournisseurs directs de la grande distribution, soient également inclus dans des accords tripartites de répartition de la valeur. Lorsque j’ai porté cette demande au gouvernement, la ministre n’a même pas répondu à ma question ! Plus largement, il faut recréer des prix planchers pour les produits agricoles, au-dessus des coûts de production, afin d’instaurer enfin un vrai revenu paysan, comme le défend la Confédération Paysanne.

Mais ces mesures ne fonctionneront qu’à une seule condition : arrêter la folie du libre-échange généralisé. Les taxes douanières, les quotas d’importations et les standards à respecter ont continuellement été détruits depuis des décennies. On voit le résultat aujourd’hui : la viande de mouton de Nouvelle-Zélande est moins chère que celle produite en France ! En sera-t-il de même pour le soja et le bœuf, bientôt importés en masse depuis le Brésil ou l’Argentine, géants agricoles du Mercosur ? Cette mondialisation débridée est une catastrophe pour la rémunération des agriculteurs, pour l’environnement et pour la santé des consommateurs, de nombreux produits importés contenant des molécules interdites en France. 

Sur cet enjeu, les écologistes ont toujours été cohérents : stop aux accords de libre-échange, oui au protectionnisme et à la régulation des échanges commerciaux. Dès mon élection en 2017, je me suis fermement battu contre le CETA (accord de libre-échange UE-Canada), qui s’applique alors que le Sénat ne l’a même pas ratifié ! J’ai continué de porter ces positions depuis, contre les accords européens avec la Nouvelle-Zélande et maintenant le Mercosur.

Il faut également revoir en profondeur le système d’aide aux agriculteurs, qui ne bénéficie aujourd’hui qu’à une minorité de grosses exploitations et encourage une fuite en avant productiviste. Depuis des années, les écologistes se battent aux côtés de syndicats agricoles et d’ONG, regroupées dans la coalition “Pour une autre PAC”, pour transformer le système d’aides européennes. Il est au contraire indispensable de les distribuer plus équitablement et de renforcer le soutien à la transition agro-écologique. Les aides à la conversion et au maintien en bio sont bien trop faibles pour que les agriculteurs conventionnels décident de changer de mode de production. J’ai interpellé le gouvernement à de multiples reprises à ce sujet, pour lancer un grand plan de soutien à la filière bio, en fort déclin ces deux dernières années.

Au-delà des aides, il faut une vraie politique publique pour orienter la production alimentaire vers davantage de produits bio et locaux. La commande publique est un levier important pour y parvenir. L’action des maires écologistes sur la question est d’ailleurs exemplaire : à Grenoble par exemple, la part de produits bio et locaux dans les cantines scolaires atteignait en 2022 les 60% et même 95% dans les crèches ! 

La ville de Grenoble va également expérimenter, comme d’autres territoires, la Sécurité Sociale de l’Alimentation. Envisagée depuis des années par des chercheurs, des syndicats, des économistes et des militants associatifs, il s’agit là d’un vrai projet de société, qui vise à permettre aux cotisants de conventionner ou non différents produits alimentaires que les bénéficiaires pourront acheter via un équivalent de la carte vitale. Ce projet comporte un double objectif : lutter contre la faim et la malnutrition en permettant à chacun de manger des produits de qualité et transformer la production alimentaire en conventionnant des produits locaux et plus respectueux de l’environnement. Voilà un horizon souhaitable pour notre société et nos agriculteurs, qui permettra de sortir de la folie d’un marché alimentaire débridé qui ne bénéficie qu’à quelques grandes entreprises.