A la fin de la session parlementaire de 2023, du 19 au 22 décembre, je me suis rendu en Israël et en Palestine, dans le cadre d’une délégation présidée par Gérard Larcher et l’ensemble des président.es de groupe du Sénat. Cette visite était hautement importante au vu des enjeux soulevés par le conflit actuel et de l’impasse du déchaînement de violence.

En deux jours, les rencontres se sont succédé avec les autorités israéliennes et palestiniennes, ainsi qu’avec plusieurs représentants de la société civile et religieuse. Nous nous sommes également rendus sur un kibboutz ciblé par les attaques terroristes du Hamas et avons rencontré les familles des otages. J’ai cependant regretté que nous n’ayons pas pu auditionner plusieurs ONG humanitaires présentes à Gaza, ainsi que des journalistes palestiniens durement touchés par ce conflit. J’en avais fait la proposition par courrier au président Larcher.

La situation est particulièrement inquiétante ; les exactions du 07 octobre ont profondément traumatisé la société israélienne. Difficile, dans ce contexte, de prendre la hauteur nécessaire et de trouver les réponses qui permettront réellement d’esquisser un chemin vers la paix.

Les mots très durs du président de la Knesset et du président d’Israël, Isaac Herzog, ne détaillant qu’une solution militaire jusqu’au-boutiste et sans perspectives claires pour l’après, laissent peu de place à la raison. Continuer à penser que le Hamas et le terrorisme pourront être éradiqués uniquement par les armes est une erreur. Cette guerre contre la terreur prépare au contraire des générations de haine, de rancœur et de vengeance.

Les pistes de solutions ne pourront être que politiques, et pourtant Israël semble se diriger vers une guerre sans fin, avec un risque réel d’embrasement de toute la région. Le président Isaac Herzog le dit clairement, en voulant imposer la paix par la force, et le président de la Knesset, Amir Ohana (Likoud), évoque comme solution possible la guerre contre le Hezbollah au Liban.

Lors de ces rencontres, il a été fait peu de cas de la situation apocalyptique à Gaza et des dizaines de milliers de civils tués et blessés, de l’absence d’aide humanitaire, du pilonnage continu en infraction avec toutes les règles internationales. Le président Herzog a même parlé d’une « guerre avec beaucoup de morale ».

Sur l’aide humanitaire, Israël rejette la faute sur la mauvaise organisation de l’ONU, alors même que l’État israëlien contrôle les entrées et sorties sur Gaza. Pour mémoire, on dénombre à l’heure actuelle 20 000 morts (8000 enfants et 6200 femmes), dont une immense majorité de civils, et 570 000 personnes meurent de faim à Gaza selon l’ONU.

Le passage par Ramallah et la rencontre avec Mahmoud Abbas, président de l’État de Palestine, ont également été riches d’enseignements. Ses mots ont été clairs : « ce qui a lieu à Gaza, c’est l’extermination d’un peuple ». Après une condamnation sans équivoque des exactions du Hamas, le Président a appelé à un strict respect des règles internationales, que ce soit sur Gaza mais également en Cisjordanie, où la colonisation illégale et les humiliations s’intensifient. 

Il a également alerté sur le déplacement de population et la volonté d’Israël de chasser les Gazaouis hors de chez eux. Mahmoud Abbas a également plaidé pour l’organisation d’élections sous l’égide internationale en Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est. Une perspective démocratique complexe mais indispensable, comme nous l’avions souligné dans un rapport de la Commission des Affaires étrangères du Sénat en 2022. Ce retour à un processus politique pour une solution à deux Etats ne pourra se faire sans la  reconnaissance par la France de l’État Palestinien (reconnaissance votée à l’Assemblée nationale et au Sénat en 2014) et sans un arrêt et retrait de la colonisation.

Il est nécessaire de penser à l’après-Abbas, comme ce dernier nous l’a d’ailleurs lui-même signifié. Le nom de Marwan Barghouti raisonne forcément, et sa libération serait un acte important pour redonner légitimité et force politique à l’autorité palestinienne.

Notre passage à la Maison d’Abraham, Jérusalem-Est, tenue par le Secours Catholique Caritas France, a permis plusieurs rencontres, notamment avec le père Francesco Patton, curé à Gaza. Il est en contact permanent avec sa communauté restée sur place et a particulièrement insisté sur la situation dramatique, notamment au Nord de Gaza, où aucune aide médicale ou humanitaire n’arrive. La population prise au piège est affamée. D’autres témoignages sur le quotidien, par exemple à Bethlehem, illustrent le durcissement des contrôles, accompagnés d’humiliations et de discriminations quotidiennes. Les autorisations de sorties, même pour Noël, n’ont été données qu’aux chrétiens et pour quelques heures, la mention de l’appartenance religieuse étant inscrite sur les papiers d’identité.

Les morts aux abords des checkpoints sont nombreux, souvent des mineurs. Avant de nous rendre sur un kibboutz à la limite de la bande de Gaza, nous avons échangé à Tel-Aviv avec des familles d’otages. Ce fut à la fois un moment difficile, tant la détresse de ces familles est émouvante, mais aussi intéressant sur le plan de l’analyse politique : les témoignages étaient très critiques de la gestion de la situation par les autorités israéliennes, tandis que l’action de la diplomatie française et des équipes sur place a au contraire été unanimement saluée.

Yaïr Lapid, chef de l’opposition israélienne et ancien Premier ministre, nous a ensuite rejoints avec un discours très dur et peu différent de celui tenu par la majorité d’extrême-droite en place : l’éradication coûte que coûte du Hamas par les armes. Même s’il plaide toujours pour une solution à deux États. La discussion s’est terminée dans la cage d’escalier de l’immeuble, conçu comme abri, à la suite à des tirs de rockets interceptés par le Dôme de Fer. C’est aussi ce que vivent les Israéliens au quotidien.

Ce fameux Dôme de Fer, en complément des murs, miradors et barbelés, est efficace, mais son efficacité a fait oublier qu’il n’y avait pas de solution durable et vivable à long terme sans solutions politiques et diplomatiques. Nous l’avions constaté l’année dernière avec une délégation sénatoriale en nous rendant à Gaza et dans des kibboutz voisins. Je me souviens des paroles très pessimistes des deux côtés, sans perspective, sans avenir avec un sentiment d’abandon. Les Israéliens comptant sur le fameux Dôme de Fer et les abris de survie accolés aux maisons, et les Gazaouis ne comptant plus sur rien. Ce désespoir est le ferment du pire.

Ce pire, nous l’avons vu dans le kibboutz de Kfar Aza, cible des attaques du 7 octobre. L’innommable, l’impensable, l’impardonnable, pourtant commis par des humains. Le pire de l’humanité. Le pire était aussi derrière ce bruit incessant des bombes, ce pilonnage continu de Gaza, au loin encerclé de son mur. Penser avec effroi que derrière chaque détonation, chaque impact, un enfant, une femme, un homme, très souvent innocents, va perdre la vie ou être traumatisé à vie.

Le pire, c’est aussi cette guerre de l’information dont les journalistes palestiniens sont les premières victimes. Depuis le 7 octobre, selon le décompte de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), 66 journalistes et professionnels des médias palestiniens, techniciens, chauffeurs, ont été tués à Gaza. Ce trou noir de l’information, comme le qualifiait Libération, ne doit pas nous laisser sans réaction.

Face à ce constat, que ce soit vis-à-vis des massacres du 07 octobre sur le sol israélien ou des forts soupçons de crimes de guerre à Gaza, la présence de la Cour Pénale Internationale devient indispensable. Notre groupe, à l’initiative de ma collègue Raymonde Poncet, a déposé une résolution dans ce sens au Sénat.

Il n’y aura aucune esquisse de perspective de paix sans justice, aucune perspective et espoir sans un arrêt de cette vengeance aveugle qui, en pensant exterminer le mal, renforce un ennemi qui n’attend que ça.

Le cessez-le-feu immédiat est non seulement nécessaire mais indispensable, pour des raisons humanitaires évidentes mais aussi parce que c’est la condition pour ébaucher un autre avenir que la terreur et le néant, tant pour le peuple palestinien qu’israélien. J’ai plaidé sans relâche en ce sens au Sénat et continuerai de le faire.

Cet avenir ne pourra se construire qu’avec les autres pays de la région et la parole de la France sans équivoque doit permettre d’unir l’Europe, d’influencer les USA – incontournables dans ce conflit – et de fédérer un arc de la paix. En contemplant Jérusalem depuis le mont des Oliviers, livre d’histoire à ciel ouvert, où malgré des cheminements différents tout devrait plaider pour le vivre-ensemble, on ose espérer un avenir partagé.