Je suis intervenu le 23 février au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires lors du débat 50-1 organisé par le Gouvernement sur l’engagement de la France au Sahel.

J’ai déploré que ce débat se tienne après que les décisions ont déjà été prises par le président de la République ; ce qui n’est guère étonnant puisque le Parlement n’a voté qu’une seule fois pour 9 années d’intervention militaire française.

Si nous ne pouvons que souscrire à un retrait des forces armées françaises du Mali en raison de conditions insoutenables, j’ai rappelé la vision des écologistes sur la présence de la France au Sahel : aucune solution militaire n’adviendra sans solution politique. De même, l’aide au développement et l’aide humanitaire dans la région restent insuffisantes au regard des besoins des populations locales.

Monsieur le Président,

Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

À quoi bon débattre ? Quelles conséquences notre discussion aura sur la politique du Gouvernement ? Un débat parlementaire c’est bien, mais un débat avant l’annonce des décisions c’est mieux et un débat avec vote avant l’annonce des décisions c’est une démocratie qui fonctionne.

Ce n’est pas sur la politique étrangère et militaire de la France, pas plus qu’ailleurs, que le Gouvernement se sera illustré par une considération marquée et une vraie prise en compte du Parlement lors de ce quinquennat. Comme à l’habitude, toutes et tous, nous avons dû attendre patiemment la parole présidentielle.

Ce n’est guère une surprise : un seul vote de la représentation nationale est intervenu pour autoriser l’intervention militaire au Mali de 2013. Un seul vote pour plus de 9 années d’engagement. Une période durant laquelle le périmètre d’intervention s’est agrandi et les orientations stratégiques ont évolué mais jamais le Parlement ne s’est prononcé formellement. Toujours la prise de décision s’est trouvée confinée au Palais de l’Élysée. L’image d’une telle pratique n’en est que plus saisissante en comparaison de ce qui se passe chez nos voisins européens. Oui donner sa place au Parlement prend du temps, mais ce n’est que bien peu de temps face à la durée pour laquelle les décisions prises auront des conséquences.

Le retrait des forces armées françaises du territoire malien, nous y souscrivons. La situation politique au Mali est devenue insoutenable et ne permet plus un engagement militaire viable. Entre le refus par la junte au pouvoir d’organiser des élections, des manifestations anti-françaises empêchant des convois militaires et la présence de 800 hommes de la société privée militaire Wagner… les conditions opérationnelles pour nos soldats ne sont plus garanties. Je tiens à exprimer, avec le groupe écologiste, mes pensées pour les 58 militaires morts au Sahel depuis 2013, leur famille et leurs proches.

Nous souscrivons à la décision de retrait mais elle ne rend pas la suite de la politique française au Sahel plus aisée : un retrait amène des questions et des défis pour les prochains mois. D’abord, sur la mise en œuvre concrète et pratique : comment opérer la fermeture des bases de Ménaka, Gossi et Gao alors que plus la présence française diminuera et plus nos soldats seront vulnérables à des attaques ; alors que des protestations anti-françaises pourraient bloquer les opérations ; et alors surtout que les relations avec la junte au pouvoir, qui exige un retrait immédiat de nos troupes, sont de plus en plus difficiles ? Sur quelle aide de nos partenaires pouvons-nous compter dans cette logistique d’ampleur, avec des délais aussi courts ?

Il y a aussi des questions plus stratégiques posées par notre retrait du Mali, des questions quant à l’avenir des missions multilatérales de la MINUSMA et ses 13 000 casques bleus et l’EUTM. Comment assurer la protection de ces personnels qui est jusque-là garantie par les forces armées françaises au Mali ?

Au-delà de ces problèmes immédiats, des questions de fond se posent, auxquelles il faudra répondre pour que les leçons soient tirées de l’échec de notre intervention au Mali, et qu’un vrai bilan soit fait de ces 9 dernières années. Car il faut avoir l’honnêteté et l’intelligence de le dire : des erreurs ont été commises. C’est bien ce qui manque cruellement dans les prises de parole gouvernementales des derniers jours. 

Présenter le retrait du Mali comme le résultat de l’arrivée de la junte au pouvoir et du facteur Wagner, c’est occulter d’abord les raisons qui ont rendu possible les deux coups d’État, et ne pas établir une analyse pertinente de la situation sahélienne.

C’est ignorer les travers de nos relations à certains États sahéliens où, il faut le dire, nous avons soutenu pendant des décennies des dirigeants autoritaires dont les politiques pouvaient difficilement mener à une stabilité régionale de long terme.

C’est ignorer la faiblesse des perspectives politiques de la sortie de crise, et nier la verticalité des méthodes qui ont sous-tendu notre coopération, dont l’exemple le plus frappant fut la convocation sommaire de nos partenaires à Pau il y a deux ans. 

Si le Gouvernement refuse de prendre en compte ces critiques, alors c’est prendre le risque que l’impasse politique et militaire du Mali se répète là où les forces armées françaises seront redéployées. 

La volonté d’élargissement de l’intervention militaire à des partenaires européens au sein de la Task Force Takuba n’a pas connu non plus un enthousiasme débordant, quand bien même le Gouvernement n’a eu de cesse de la présenter comme un succès, omettant évidemment de préciser les chiffres des forces engagées.

La situation sur le plan politique n’est pas meilleure : en un an trois des pays où intervient la France ont été l’objet de coups d’État militaires. Ces événements rendent la coopération multilatérale ardue, notamment pour le G5 Sahel dans lequel la France plaçait de l’espoir.  

Enfin, on ne peut balayer d’un revers de la main les protestations anti-françaises, bien qu’elles soient instrumentalisées par d’autres puissances. Cette instrumentalisation s’appuie sur une défiance pré-existante alimentée par un manque de transparence sur les opérations militaires françaises. C’est particulièrement le cas concernant des frappes à Bounti en janvier 2021 ayant causé la mort de 19 civils selon la mission des Nations unies. Là où il y a le soupçon s’installe la méfiance, terreau du rejet. Si les dernières décennies d’interventions militaires à travers le monde nous ont bien appris une chose, c’est qu’on ne peut intervenir dans un autre pays contre sa population.

Les écologistes l’ont toujours dit : aucune solution militaire ne peut advenir sans solution politique. Nous n’avons cessé de regretter le manque de prise en compte des contextes ultra-locaux et des problématiques communautaires dans la conduite stratégique des opérations. De même, il aurait fallu dépasser enfin le tabou des discussions avec certains groupes armés, qui portent des demandes profondément politiques : les refuser comme interlocuteurs revenait tout bonnement à enterrer une perspective de sortie de crise. 

Parce qu’aucune solution militaire ne peut advenir sans solution politique, ce sont les besoins des populations qui doivent être placées au centre de la stratégie française. Ce « sursaut civil », qui n’a pas eu lieu après son annonce au sommet de N’Djamena, doit arriver rapidement. 

Parce qu’aucune solution militaire ne peut advenir sans solution politique, l’aide publique au développement en direction des pays du Sahel doit être plus conséquente et mieux cibler pour répondre aux besoins réels des populations locales. L’aide humanitaire doit aussi être augmentée : 2,5 millions de personnes ont dû quitter leur foyer et 15 millions de Sahéliens vivent de l’aide humanitaire. Aujourd’hui, les besoins humanitaires ne sont assurés qu’à 48% selon les ONG. Quand, en 2020, 880 millions d’euros sont consacrés à l’intervention militaire, seulement 28 millions sont pourvus pour l’aide humanitaire. C’est cette balance qu’il faut rééquilibrer à l’avenir. 

Parce qu’aucune solution militaire ne peut advenir sans solution politique, la présidence française du Conseil de l’Union européenne doit être l’occasion d’élaborer un grand traité entre l’Union européenne et l’Union africaine, non un texte de libre-échange qui ouvre la porte des pays africains à la prédation des multinationales européennes, mais un texte de coopération sur des sujets essentiels tels que l’eau, la sécurité alimentaire, le climat ou le numérique.

Déployons une stratégie globale, alliant militaire, diplomatie et développement. Sinon la réorientation de la présence de la France au Sahel ne sera qu’un nouvel enlisement pour la prochaine décennie.