Le 13 décembre dernier, dans le cadre de notre niche parlementaire, j’ai eu l’honneur de présenter devant le Sénat la proposition de loi de mon ancien collègue Joël Labbé visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires. Après une adoption à l’unanimité en commission, celle-ci a également recueilli un soutien unanime sur tous les bancs de l’hémicycle. Il s’agit là d’une vraie victoire pour l’écologie et la justice sociale, et pour le soutien aux garages solidaires. Nous espérons désormais que le texte sera repris à l’Assemblée nationale et deviendra rapidement effectif.

Vous pouvez retrouver mon discours en vidéo, ainsi que le texte de mon intervention ci-dessous :

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le rapporteur,

Mes chers collègues,

Au lendemain de la clôture de la COP28 et alors que l’inflation exacerbe les inégalités sociales et la précarité de nombreux français, il est temps de répondre par des mesures concrètes, ancrées dans nos territoires, des mesures à la fois sociales et écologiques.

Tel est l’objet de la proposition de loi que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soumet au débat aujourd’hui : favoriser le réemploi des véhicules au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires.

C’est au plus près du terrain, en allant à la rencontre de nos concitoyens et concitoyennes, que l’idée émerge. En discutant avec son garagiste, notre ancien collègue Joël Labbé se trouve face à un double constat contradictoire. D’une part, de nombreux véhicules encore en état de rouler sont envoyés à la casse dans le cadre de la prime à la conversion. Une vraie aberration écologique !

D’autre part, les garages solidaires peinent à trouver des véhicules en bon état et respectant les normes de pollution, malgré une demande élevée. Certains de ces garages ont même mis la clé sous la porte faute de véhicules disponibles, comme celui d’Echirolles, dans mon département de l’Isère, fermé l’an dernier.

Nous en sommes tous témoins : avoir un véhicule devient de plus en plus cher, voire totalement hors de prix. Ainsi, le prix moyen d’une voiture neuve a bondi de 21% sur deux ans et dépasse désormais les 35.000 euros. Bien sûr, il y a les véhicules d’occasion. Mais là encore, les prix s’envolent : une Renault Clio, le modèle d’occasion le plus coté, coûte désormais en moyenne 14.400 euros, + 13% en un an.

En y ajoutant le coût des carburants et des assurances, avoir un véhicule devient donc hors de portée pour de nombreux ménages. D’après le baromètre des mobilités du quotidien de l’association Wimoov et de la Fondation pour la Nature et l’Homme, 13,3 millions de Français sont en situation de précarité mobilité, c’est-à-dire qu’ils n’ont peu ou pas accès à un véhicule ou à des transports collectifs. Sans surprise, les plus modestes sont les plus touchés.

Bien sûr, en tant qu’écologistes, nous n’apprécions pas la civilisation de la voiture, l’isolement, la pollution et l’étalement urbain qu’elle génère. Comme le disait André Gorz, “le vice profond des bagnoles, c’est qu’elles sont commes les châteaux et les villas sur la côte : des biens de luxe inventés pour le plaisir exclusif d’une minorité de très riches, et que rien, dans leur conception et leur nature, ne destinait au peuple”. C’est pourquoi nous plaidons sans relâche pour un autre aménagement du territoire, qui réduise les déplacements contraints, l’amélioration des transports collectifs, l’autopartage et de meilleures infrastructures pour le vélo et d’autres modes de transport. Je pense ici au travail de mon collègue Jacques Fernique, rapporteur de cette proposition de loi. 

Mais contrairement au portrait que certains voudraient dépeindre, nous sommes lucides. Nous savons que des millions de Françaises et de Français, en particulier en milieu rural, ont cruellement besoin d’une voiture, car les alternatives y sont rares. C’est le paradoxe de la voiture que rappelait André Gorz : “les gens, finalement, ne peuvent circuler à l’aise que parce qu’ils sont loin de tout.” En attendant de transformer l’aménagement de nos territoires, nous devons offrir des solutions. Or, en milieu rural, ne pas avoir de voiture signifie souvent ne pas pouvoir accéder aux services publics, aux commerces, à la vie sociale et à l’emploi. 

Ainsi, 28 % des demandeurs d’emploi ont renoncé au moins une fois à un emploi ces 5 dernières années faute de moyen de transport. Alors que nous évoquons souvent dans cet hémicycle les fameux “emplois en tension” que les chômeurs ne voudraient pas occuper, je vous invite, mes chers collègues, à réfléchir aux barrières qui empêchent de nombreux demandeurs d’emplois d’accepter les propositions des employeurs. L’absence de mobilité en est une.

Pour illustrer mon propos, je voudrais vous citer l’exemple de Simone, qui vit dans la région de Saint-Nazaire. Habitant à l’extérieur de la ville, elle n’a pas de transports en commun qui coïncide avec ses horaires de travail, quelques heures de ménage à Auchan. Elle doit en outre s’occuper d’un enfant diabétique et l’emmener régulièrement à l’hôpital de Saint-Nazaire, situé à 60 kilomètres de la ville. Surendettée et seule, elle ne peut compter que sur elle-même et a un besoin crucial de son véhicule. 

Sa Clio de 1999 est usée : elle dépasse les 350.000 kilomètres et son contrôle technique est dépassé d’un an. N’ayant pas les moyens pour entretenir sa Clio, celle-ci est de plus en plus dangereuse à conduire : freins, pneus, suspensions sont dans un sale état. Pendant une visite dans un garage solidaire, le démarreur manque de prendre feu. Heureusement, elle a pu bénéficier d’une location d’un véhicule en bon état pour 30€ par mois. Des cas comme celui de Simone, notre pays en compte des centaines de milliers. Bien souvent, les victimes de cet aménagement du territoire incohérent et de l’étalement urbain sans limites sont des femmes seules habitant en zone rurale. N’importe quel garage solidaire pourra en témoigner.

Ces garages solidaires sont justement le dernier recours pour celles et ceux qui n’arrivent plus à acheter ou entretenir leur véhicule faute de moyens. Ces 150 structures réparties sur tout le territoire permettent aux plus précaires de pouvoir rouler, en leur louant ou en réparant des véhicules à des prix abordables. Mais ils sont débordés face à la demande. Alors que le prix des véhicules d’occasion s’envole, l’offre n’arrive plus à suivre la demande. 

Il existe pourtant un vaste vivier de véhicules ni trop anciens, ni trop polluants, tout à fait en état de rouler encore quelques années, moyennant parfois quelques petites réparations. Ce vivier, c’est la prime à la conversion. Parmi ces véhicules, notre proposition vise à récupérer ceux qui fonctionnent à l’essence et classés Crit’Air 3 ou mieux. Au total, cela représente environ 16.000 véhicules par an. Pour les garages solidaires et pour les bénéficiaires, c’est une aide décisive.

Outre son intérêt social, cette mesure est aussi écologique. Je sais que certains s’interrogent, voire ironisent, sur le fait que des écologistes souhaitent mettre à disposition des vieilles voitures à destination des plus pauvres. Mais regardons la réalité en face : chez les 10% des Français les plus précaires, un véhicule sur cinq a plus de 27 ans d’âge et est donc classé Crit’Air 5 ou plus. En mettant à disposition de ces ménages des voitures plus récentes et moins polluantes, ce sont en réalité les vieux véhicules très polluants que nous sortirons de la circulation !

Le gain environnemental est d’autant plus grand que cette mesure suit une logique d’économie circulaire. La destruction des véhicules et la construction de nouveaux modèles émettent beaucoup plus de gaz à effet de serre que le réemploi de véhicules peu polluants pour 2 à 4 ans. S’ajoute à cela le fait que les véhicules neufs sont souvent importés et viennent de loin. L’atout environnemental de cette proposition de loi s’avère donc indéniable. 

Je sais que certains préféreraient que les véhicules à destination des plus précaires soient électriques, qu’il s’agisse du futur “leasing social” promis par le gouvernement ou du “retrofit” de véhicule ancien. Je tiens à les rassurer : notre proposition de loi est complémentaire à ces approches. Le leasing, c’est-à-dire une location de voiture électrique pour 100 à 150 € par mois et avec un engagement sur plusieurs années, répond à une demande. Mais d’autres personnes ont besoin de solutions moins coûteuses, sans engagement et avec un accompagnement social. C’est justement ce que font les garages solidaires.

Quant au “retrofit”, il en est question dans l’article 2 de notre proposition de loi, afin d’envisager le changement de motorisation de ces véhicules. En permettant de donner une seconde vie à des véhicules encore en bon état, le retrofit est une piste prometteuse. C’est une solution parmi d’autres pour la constitution d’une flotte de véhicules partagés et décarbonés. Nous sommes ouverts à toutes ces approches, car la mobilité requiert une pluralité de solutions. 

C’est d’ailleurs pour cela que nous faisons confiance à l’intelligence et à l’expérimentation des territoires dans ce texte : nous pouvons par exemple imaginer mettre certains de ces véhicules en autopartage dans des communes rurales pour en faire bénéficier les petits rouleurs, aux besoins ponctuels. Il s’agit là d’un moyen de changer l’appropriation de la voiture, en passant de la propriété à l’usage.

Ainsi, pour toutes ces raisons, tant environnementales que sociales, je vous invite, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi. J’ai confiance au bon sens que nous sommes nombreux à partager sur ces bancs, qui a déjà permis de faire adopter cette mesure durant l’examen de la loi “Climat et résilience”, lorsque notre collègue Joël Labbé l’avait présentée sous forme d’amendement. Je tiens d’ailleurs ici à le remercier pour son travail, ainsi que la Commission de l’Aménagement du Territoire et du Développement Durable, qui a adopté ce texte à l’unanimité. Par ce vote, nous espérons maintenant passer une nouvelle étape et pouvoir transmettre cette PPL à l’Assemblée nationale le plus rapidement possible.

Je laisse mes collègues Jacques Fernique et Daniel Salmon compléter mes propos, mais je voulais vous en donner les grandes lignes, pour vous convaincre de l’intérêt de ce texte. Pour finir, je voudrais remercier les garages solidaires et les associations de solidarité, comme le Secours Catholique, que nous avons reçu au Sénat la semaine dernière. Je sais qu’ils suivent avec attention nos débats aujourd’hui et attendent beaucoup de votre vote. Montrons-leur que la chambre des territoires est à l’écoute de leurs demandes et sait trouver des solutions concrètes, originales et intelligentes conciliant social et écologie ! Ne les laissons pas au bord de la route !

Mes chers collègues, je vous remercie.