L’adoption du projet de loi constitutionnel pour le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie par l’Assemblée nationale mi-mai a mis le feu aux poudres sur l’île. Celui-ci prévoit en effet d’offrir le droit de vote aux élections provinciales à toute personne résidant en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 10 ans, venant ainsi actualiser le corps électoral qui avait été gelé par les accords de Nouméa de 1998, qui permet seulement de voter aux personnes disposant de la citoyenneté néo-calédonienne ou résidant en Nouvelle-Calédonie avant 1998, ainsi que leur descendants. Si une actualisation est nécessaire, la façon dont elle a été conduite pose véritablement problème.

Pour les kanaks, habitants autochtones de l’île, ce dégel pourrait conduire à renforcer le poids démographique des personnes issues des colons français et de leurs descendants, faisant ainsi basculer les équilibres politiques internes. Pour autant, cette période de dix ans était un compromis trouvé entre loyalistes (favorables aux liens avec la France) et indépendantistes. Cependant, ces derniers n’étaient prêts à soutenir le dégel qu’à condition que des perspectives plus larges leur soient données sur l’avenir de l’île.

Depuis l’organisation contestée d’un troisième référendum d’indépendance en pleine pandémie en 2021 (boycotté par les indépendantistes), le processus de paix engagé par les accords de Matignon et de Nouméa est en effet arrivé à son terme. Il faut donc dialoguer afin que les différentes parties trouvent un consensus sur le destin institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. 

Alors que la légitimité du troisième référendum était déjà contestée et que la crise du nickel fragilise fortement l’économie de l’île, engager une réforme du corps électoral sans avoir discuté du reste était donc un choix particulièrement dangereux de la part du gouvernement. De nombreux connaisseurs de la situation avaient ainsi sonné l’alarme. Leurs craintes ont été reprises par ma collègue Mélanie Vogel lors de la discussion du texte au Sénat en avril dernier. Étant donné le passage en force du gouvernement et l’absence d’avancées dans les négociations sur l’avenir de l’île, nous avions alors voté contre cette réforme constitutionnelle.

Malheureusement, les craintes que nous avions alors émises étaient fondées. Les émeutes intervenues mi-mai ont engendré la mort tragique de deux gendarmes et de quatre civiles et de très gros dégâts matériels. Pourtant, alors que la crise était prévisible et appelle une réponse claire, la seule réponse du gouvernement a été d’envoyer davantage de gendarmes sur place pour “rétablir l’ordre”. Combinée à la suspension de l’application Tiktok et au recours à l’état d’urgence, cette stratégie a certes rétabli un calme fragile sur place, mais la situation reste explosive. Le déplacement du Président de la République sur place et l’annonce d’une mission conduite par des hauts-fonctionnaires n’a répondu à aucune des attentes.

Dès le début des violences, j’ai plaidé, comme l’ensemble des écologistes, pour des gestes politiques forts permettant de sortir véritablement de la crise, à chaque occasion qui m’a été donnée : dans mon expression publique (voir par exemple mon interview par Public Sénat ci-dessus), lors de rencontres avec le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur ou dans le groupe de liaison sur la Nouvelle-Calédonie du Sénat. L’indispensable dialogue nécessite en effet des conditions pacifiées et une réconciliation qui prendra du temps. Des conditions qui ne peuvent être remplies en s’entêtant à vouloir faire aboutir la réforme du corps électoral. J’ai donc demandé le retrait de cette réforme et l’annulation du Congrès – le Parlement devant être réuni à Versailles et voter la réforme au moins aux trois cinquièmes pour qu’elle s’applique. Pour l’instant, ces demandes n’ont pas été entendues.

Étant donné le revirement du Rassemblement National, qui a voté le dégel du corps électoral, mais se déclare désormais opposé à celle-ci, il semble de toute façon impossible pour le gouvernement d’obtenir 60% des voix des parlementaires et de faire aboutir la réforme. Il est donc grand temps d’annuler purement et simplement cette réforme.

Au-delà de cet acte rapide, le processus de décolonisation de la Nouvelle Calédonie doit se poursuivre. A l’occasion d’une réunion d’urgence à Matignon, j’ai ainsi demandé à ce que le ministre de l’Intérieur, qui n’est plus considéré comme un interlocuteur crédible par les formations politiques de l’île, soit dessaisi du dossier, pour le confier au Premier ministre ou à une personnalité consensuelle. Toutes les parties doivent être entendues et toutes les options doivent être mises sur la table, y compris un éventuel nouveau référendum sur l’indépendance. Je ne désespère pas de faire entendre raison au gouvernement et continuerai aussi longtemps que nécessaire à plaider pour le dialogue plutôt que le recours à la force.

Crédit photo : Gwangelinhael