La vallée du Harpo dans la région de Gilgit au Pakistan, où l’AFP a financé la construction d’une centrale hydroélectrique entre 2014 et 2020.
Le 17 mai, le Sénat adoptait quasi unanimement, après l’Assemblée nationale, le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Après plusieurs décennies d’une politique d’aide publique au développement insuffisante et toujours plus éloignée de nos engagements internationaux, ce texte marque le retour, bien que laborieux, d’une politique ambitieuse. Nous avons oeuvré à faire de l’aide publique au développement le véritable pilier de notre politique étrangère qu’elle doit être.
Le Sénat a examiné, les 11, 12 et 17 mai, le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, sur lequel j’étais chef de file de notre groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, en tant que Vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Ce projet de loi de programmation de l’aide publique au développement (APD), la deuxième du genre après la LOP-DSI de 2014, a confirmé la hausse des moyens budgétaires en la matière, notamment l’objectif d’atteindre à 0,55% du revenu national brut consacrés à l’APD en 2022, une promesse présidentielle de 2017. C’est une excellente nouvelle, car notre aide au développement n’avait cessé de baisser depuis 2010. Mais ne nous réjouissons pas trop vite : atteindre 0,55% n’est que le début du rattrapage d’un engagement pris en 1970 à la tribune de l’ONU, d’allouer 0,7% de notre richesse nationale à l’aide au développement. Aujourd’hui plus que jamais, cette aide est cruciale : les crises sanitaire, climatique, environnementale touchent durement les pays et les populations les plus vulnérables.
Pourtant, malgré cette hausse des moyens que nous y consacrons, notre aide au développement est loin de correspondre à celle à laquelle nous nous sommes engagés depuis des décennies.
Aujourd’hui, notre APD souffre par exemple d’une répartition inégale entre nos deux canaux de financements, les prêts et les dons. Ces derniers sont largement minoritaires, ce qui contribue à détourner l’aide des secteurs et des populations qui en ont le plus besoin, au profit des secteurs rentables et des pays à revenu intermédiaire qui peuvent rembourser ces prêts. Ainsi, selon l’OCDE, en 2018, la France allouait seulement 0,12% de son RNB aux pays les moins avancés (PMA).
Par ailleurs, notre APD est minée par des politiques publiques incohérentes avec les objectifs de notre politique d’aide au développement et les objectifs de développement durables (ODD). Cela est illustré, par exemple, par l’incohérence entre les modèles agricoles que nous défendons et ceux que nous finançons : les projets agroécologiques, dont nous faisons une priorité, n’obtiennent que 13% de tous nos financements aux projets agricoles, bien moins que des projets d’agriculture intensive. Nos financements alloués au secteur privé à l’étranger soutiennent également des projets complètement opposés au développement durable.
Les défis auxquels nous faisons face sont donc importants, et l’espoir d’une loi de programmation ambitieuse, à même de les relever, était fort. A ce titre, l’examen par l’Assemblée nationale puis par le Sénat a vu s’améliorer considérablement le texte qui nous avait été soumis. Les progrès faits en commission au Sénat ont notamment porté sur les points suivants :
- La programmation prévue s’arrêtait en 2022, nous l’avons donc étendue jusqu’en 2025. Le texte prévoyait également une hausse des dons, de l’aide bilatérale et une concentration de ces moyens sur les pays prioritaires, mais sans objectifs chiffrés. Nous avons donc obtenu que, à compter de 2022, l’aide bilatérale atteigne 70% du total, les dons 65%, et qu’à partir de 2025, 30% de l’aide pays programmable sera destinée aux 19 pays prioritaires de notre aide, qui font partie des pays les moins avancés.
- Nous avons pu inscrire l’augmentation de l’aide transitant par les organisations de la société civile (OSC), qui jouent un rôle essentiel dans l’aide au développement et trop peu pris en compte dans notre politique. Ce montant atteindra donc 1 milliard d’euros par an, contre moins de 300 millions actuellement, ce qui était une de nos propositions. Cette victoire a été complétée par l’ajout d’un article 2bis consacrant le rôle central des OSC dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de développement.
- Le cadre de restitution des “biens mal acquis”, ces fonds publics détournés par des dirigeants d’État et placés à l’étranger à des fins d’enrichissement personnel, a été renforcé. Il affirme désormais la nécessité de restituer ces biens au plus près des populations concernées, en associant à cette restitution les OSC compétentes et par le biais de modalités décidées au cas par cas.
- Le respect du principe de non‑discrimination de l’attribution de l’aide aux populations a été ajouté parmi les grands principes directeurs de notre aide au développement, ce qui était une demande forte des ONG.
- Enfin, nous avons inscrit, comme mission prioritaire de l’Agence française de développement, le financement des services essentiels dans les PMA et les pays prioritaires de la politique de développement.
En dépit de ces victoires, un certain nombre d’insuffisances et de manquements restaient à corriger et ont fait l’objet d’amendements de notre groupe. Nous demandions ainsi :
- Que l’engagement historique de consacrer 0,7% du RNB à l’aide au développement soit enfin respecté en 2025.
- Que soient augmentés d’un milliard par an les crédits budgétaires de la mission “aide publique au développement”, afin de compenser la comptabilisation de flux financiers qui ne devraient pas faire partie de l’APD, comme les frais d’écolage d’étudiants étrangers ou l’accueil des réfugiés, car ils ne participent pas au développement des pays partenaires.
- Que les dons atteignent 85% de l’APD totale à compter de 2025, au lieu des 65% prévus par le texte ; et que non pas 30, mais 40% d’aide pays programmable soit destinée aux pays prioritaires, ce qui équivaudrait à 25% de l’APD totale (sachant que nous ne leur consacrons actuellement que 15% de notre aide).
- Que soit inscrit de manière précise et solide le principe de cohérence entre nos différentes politiques publiques et les objectifs de développement durable, afin que nous ne détruisions pas l’impact de notre aide par d’autres politiques publiques, en particulier dans le domaine agricole où nos financements soutiennent parfois des modèles radicalement opposés, entre l’agroécologie et l’agriculture intensive.
- Que soit renforcée la lisibilité et donc la redevabilité de l’APD, en élargissant le contenu de la base de données publique créée par le projet de loi ; en renforçant le devoir de vigilance des acteurs publics et privés à l’étranger face à des atteintes graves aux droits sociaux et environnementaux ; et en créant une présomption de responsabilité pour tous les acteurs français ayant une influence à l’étranger lorsque de potentielles atteintes sont identifiées.
Enfin, nous avons dédié un large pan de nos propositions au respect des droits humains, à la promotion de l’égalité des genres, et à la protection des biens publics mondiaux, qui sont parmi les principaux objectifs de notre politique d’aide au développement en défendant :
- L’inscription des droits des peuples autochtones, notamment le respect de leur droit au consentement libre et informé, dans tous les projets d’APD. Ces peuples sont fréquemment expulsés de leurs territoires ancestraux lorsqu’y sont créées des aires naturelles protégées, alors qu’ils sont les meilleurs protecteurs de leur environnement lorsqu’ils en ont les moyens.
- Le renforcement de la prise en compte des problématiques de genre dans l’ensemble de notre APD, notamment en demandant qu’à partir de 2025, 85% de l’APD ait pour objectif principal ou significatif l’égalité entre les femmes et les hommes.
- L’inscription des principes de Yogyakarta (qui est la déclaration internationale de référence en matière de respect des orientations sexuelles et identités de genre).
- L’inscription de l’objectif de consacrer 1,8 milliards d’euros par an à la lutte contre le changement climatique et la protection de la biodiversité, en conformité avec nos engagements internationaux.
Face à une majorité de droite imperturbable, tout amendement lié à la programmation elle-même a été rejeté. Toutefois, quelques victoires ont été obtenues, dont un certain nombre relatives au respect des droits humains.
- Deux de nos amendements sur le respect des droits des peuples autochtones ont été adoptés,
- La mention systématique de l’égalité filles-garçons aux côtés de l’égalité femmes-hommes, le soutien à leur scolarisation et à leur insertion professionnelle, et leur participation effective à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes les concernant ; et la pérennisation du Fonds de soutien aux organisations féministes,
- Le respect des droits des enfants et la recherche d’une participation effective des enfants et des jeunes dans la politique de développement, ainsi que l’adhésion par la France au groupe de travail sur l’identité juridique.
- Ces acquis ont également été consolidés par l’inscription de nombreuses conventions relatives aux droits humains, et notamment la mention du soutien, par la France, du respect des conventions de l’OIT.
Nous nous en félicitons particulièrement, car la France est très en retard sur le respect des droits des peuples autochtones par rapport à d’autres donateurs importants comme l’Allemagne et les États-Unis, et sur l’intégration de l’égalité des genres comme objectif transversal de sa politique d’APD, alors que le Ministère des Affaires étrangères a officiellement adopté une diplomatie féministe en 2018.
Ces améliorations qualitatives, et cette hausse budgétaire après une décennie de baisse ininterrompue, si elles sont loin d’être satisfaisantes, méritent d’être reconnues. Elles sont une première étape vers la construction de l’aide au développement que nous souhaitons mettre en œuvre : une aide publique au développement forte, ciblée, redevable, et cohérente avec nos soutiens politiques et économiques à l’étranger. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’est donc exprimé en faveur du projet de loi.