Il y aura bien des leçons à tirer de cette pandémie qui met à l’agonie notre économie mondialisée. Notre incapacité à satisfaire nos besoins vitaux de masques et de gel hydroalcoolique remet vigoureusement sur la table l’enjeu de notre souveraineté économique. Le confinement et le ralentissement de l’économie entraînent une baisse des émissions de gaz à effet de serre, limitent la pollution et redonnent un peu d’air à la biodiversité, représentant ainsi un test grandeur nature et particulièrement concluant des principes de la décroissance. Le temps viendra de repenser notre modèle économique pour accroître sa résilience et son respect de l’environnement.

Mais, sans attendre il est un constat implacable qui saute aux yeux après une semaine de confinement : les inégalités sociales sont criantes. Nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie et ce n’est pas seulement une question de condition physique. Nous ne sommes naturellement pas tous égaux en fonction du pays où l’on vit et de son niveau de développement et de ses capacités sanitaires. Mais même parmi les pays développés, nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie, cela dépend grandement de la répartition des richesses et du coût d’accès aux soins. Les 30 millions d’américains qui n’ont aucune couverture maladie sont ainsi particulièrement exposés. Mais même dans un pays comme le nôtre disposant d’une protection sociale universelle, nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie.

Nous ne sommes pas égaux en fonction de l’endroit où l’on habite. Plus l’épidémie se répandra, plus la répartition inégale de l’offre de soins sur le territoire se fera sentir. L’affaiblissement des services publics, les déserts médicaux fragilisent les habitants des zones rurales et des zones sous-dotées. Mais l’inégalité d’accès au soin n’est pas qu’une question territoriale, c’est aussi une question sociale. Différentes enquêtes le montrent, près d’un Français sur trois a déjà renoncé à une consultation ou à un traitement pour des raisons financières et un Français sur cinq concède avoir eu des difficultés pour payer ses frais de santé. Notre sécurité sociale est un outil formidable que nous envient de nombreux pays, mais ce n’est pas un outil parfait.

Dans cette période de confinement et de ralentissement économique, pour assurer les fonctions vitales du pays, les travailleuses et les travailleurs mobilisés ne comptent pas parmi les plus aisés de nos compatriotes. Aujourd’hui, pendant que les cadres sont en télétravail, parfois même dans de confortables résidences secondaires, ce sont les personnels soignants, les caissiers et caissières, les éboueurs et éboueuses, les agriculteurs et agricultrices, les livreurs et livreuses, les ouvriers et les ouvrières, les petits commerçants (de bouche), les postiers et postières, etc. qui s’exposent et prennent des risques avec leur santé pour subvenir aux besoins essentiels de la Nation. La plupart de ces travailleurs et travailleuses gagnent entre le SMIC et le salaire médian et ne comptent pas leurs heures. Sachons nous en souvenir quand la situation reviendra à la normale.

Car au-delà des inégalités face à la maladie, le confinement est un révélateur criant des inégalités sociales. Nombreux sont nos compatriotes en chômage partiel avec des revenus amoindris. Pire encore les indépendants, les libéraux, les commerçants, les artisans, les TPE et les petites PME qui voient leur activité s’arrêter et risquent de se retrouver très vite dans une situation très délicate. L’Etat a mis en place un fonds de solidarité à leur destination, mais il ne compensera pas toutes les pertes, loin de là…

La situation est encore plus précaire pour les travailleurs de plate-formes, Uber et autres qui n’ont pas ou peu de couverture sociale, pour les auto-entrepreneurs, pour les chômeurs dans l’incapacité de poursuivre leur recherche d’emploi, pour les migrants et les sans abris qui n’ont nulle part où se confiner et qui survivent habituellement grâce aux actions solidaires aujourd’hui contraintes par le contexte sanitaire.

Et c’est là un autre facteur absolument criant des inégalités : nous ne sommes pas du tout égaux face au confinement ! Pour les familles qui vivent dans des habitats insalubres, l’humidité et le manque d’aération, sont des causes de maladies respiratoires et donc de fragilité accrue face au virus. Pour celles et ceux qui ne bénéficient d’aucun extérieur, le manque de lumière est source de carence, notamment en vitamine D. Enfin, la promiscuité permanente quand ce n’est pas la surpopulation des logements entraîneront immanquablement des tensions et pire encore un accroissement des violences conjugales et familiales. A ce sujet je salue l’action des maires comme Eric Piolle à Grenoble, qui ont immédiatement pris des mesures pour accueillir ces publics fragiles, il ne faut surtout pas les oublier dans cette période et c’est à eux que le Gouvernement devrait penser en premier lieu.

Ces inégalités dans les conditions de confinement entraineront immanquablement une aggravation des inégalités scolaires. Tous les parents n’ont pas le temps (travail, télétravail), les moyens matériels (ordinateurs, imprimantes) ou les capacités d’organiser l’école à la maison, a fortiori quand ils ont plusieurs enfants à charge. D’une classe sociale à l’autre, les inégalités scolaires sont déjà prégnantes et notre système éducatif à toutes les peines du monde à les corriger. Ces semaines de confinement risquent fort d’aggraver dramatiquement la situation même si nous pouvons saluer la réactivité et l’implication des enseignant·e·s pour trouver des solutions à chaque situation particulière.

La crise économique et sociale entrainée par la crise sanitaire débute à peine que déjà on en mesure tous les impacts potentiellement délétères. Le coronavirus, ne créé pas les inégalités, elles sont anciennes et n’ont fait que s’aggraver ces 40 dernières années à un rythme que même le FMI juge insoutenable. Le coronavirus révèle davantage encore ces inégalités au grand jour et la crise économique qui suivra aura des conséquences bien plus graves et bien plus longues que la crise de 2008. Il est plus que temps d’agir très fortement pour tenter de combler ce gouffre béant.

Cette période nous fait réaliser à quel point le revenu universel serait un mécanisme précieux pour faire face à la situation que nous connaissons. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le ministre des Finances allemand qui réfléchit à verser à son peuple un revenu de base pour affronter les six prochains mois. Inspirons-nous-en !