Le Premier ministre a détaillé hier à l’Assemblée nationale le plan du Gouvernement pour organiser une sortie progressive du confinement. Ce n’est pas un « déconfinement » comme on pouvait l’entendre, quoique ce néologisme ne figure pas encore au dictionnaire.

Un commentaire d’abord sur la méthode. Il est vrai qu’hormis quelques dispositions législatives sur lesquelles le Parlement se prononcera la semaine prochaine, rien n’obligeait le Premier ministre à venir présenter la stratégie du Gouvernement au Parlement. Il est habilité par la nouvelle loi d’urgence sanitaire à agir et à prendre les mesures règlementaires qu’il juge nécessaire. Disons-le clairement, ce plan aurait pu faire l’objet d’une conférence de presse. Mais le Premier ministre a jugé important de présenter ces mesures dans le cadre d’un débat parlementaire suivi d’un vote purement consultatif. C’est un choix qui permet un minimum de démocratie et de contrôle parlementaire. Cependant, le Premier ministre s’arrête au milieu du gué. Pour associer pleinement le Parlement, il aurait fallu consulter en amont les président.es des groupes parlementaires et leur soumettre les questions les plus épineuses et notamment la question scolaire. Il aurait également fallu, avant d’organiser le vote, laisser 24 ou 48h aux parlementaires pour digérer tous les éléments de ce dense discours d’une heure et pour consulter nos concitoyens, les élus locaux, les syndicats et tous les corps intermédiaires…

La concertation, c’est bien ce qui manque dans la période et notamment la concertation des élus locaux qui sont en première ligne pour organiser la reprise progressive de l’activité et notamment pour la réouverture des écoles. Le Premier ministre leur a garanti « confiance et souplesse », c’est heureux, mais ça ne comblera l’incertitude quant à des décisions changeantes, le partage des responsabilités entre le local et le national ainsi que le manque de moyens. Ils seront consultés après la décision, pour savoir comment la mettre en œuvre. Drôle de méthode…

On se félicitera tout de même que le débat et le vote d’hier ne concerneraient finalement pas l’application de suivi de la population « Stop Covid » qui pose beaucoup de questions en matière de respect des libertés individuelles et de la vie privée. L’application n’est pas prête et fera l’objet d’un débat et d’un vote spécifique quand elle le sera. Nous avons appris cette information dans la bouche du Premier ministre une fois le débat commencé… Drôle de méthode encore une fois…

S’agissant du déconfinement, on comprend du propos du Premier ministre, qu’il a dû composer avec la date du 11 mai, qui semble directement sortie du chapeau du président de la République sans plus de cohérence que cela. Nous apprenons et c’est un soulagement, que cette date est tout de même conditionnée à une maîtrise de la propagation du virus : moins de 3000 nouveaux cas par jour et de services de réanimation en capacité de faire face. D’un point de vue sanitaire, le Gouvernement assure que des masques seront disponibles pour tout le monde le 11 mai mais également des tests en nombre suffisant pour tester chaque semaine 700 000 personnes (avec une prise en charge totale par l’assurance maladie). Dont acte, il sera indispensable de vérifier cette promesse sur le terrain, car les cafouillages des semaines écoulées n’invitent pas à las confiance. Dans la pratique, les masques seront globalement obligatoires dans tous les lieux où la distanciation sociale n’est pas possible et optionnel le reste du temps. Le Premier ministre a promis que l’Etat les fournirait aux plus précaires. C’est insuffisant, il faudrait garantir l’accès gratuit de toutes et tous aux masques, ce n’est pas cher payé pour limiter la propagation du virus… A minima, l’Etat doit encadrer le prix des masques, des gels et de tous les produits sanitaires indispensables, car la « main invisible » du marché a parfois tendance à profiter du manque pour proposer des prix délirants et effecteur des profits scandaleux.

C’est une condition indispensable de la sortie progressive du confinement qui débutera le 11 mai, si la propagation du virus ralentit. Ce déconfinement se poursuivra par phase, au moins jusqu’au 24 juillet, date jusque à laquelle sera prolongé l’état d’urgence sanitaire. Une deuxième phase de déconfinement interviendra le 2 juin. Il est d’ores-et-déjà acquis que tous les grands évènements sportifs et culturels sont interdits jusqu’en septembre. Le Premier ministre a également précisé que le déconfinement ne se ferait pas de la même manière dans les départements les plus touchés par la pandémie (du nord-est) et ceux beaucoup moins touchés (du sud-ouest).

Le 11 mai rouvriront donc tous les commerces sauf les cafés/restaurants (qui ne rouvriront pas avant juin au mieux et feront l’objet d’un plan de soutien spécifique annoncé courant mai), une partie des petits lieux culturels, les crèches et les écoles primaires et maternelles. Les collèges rouvriront au mieux le 18 mai et les lycées pas avant le mois de juin. Les conditions d’accueil sanitaire seront très strictes (pas plus de 15 enfants par classe, pas plus de 10 enfants par crèche) et on ne comprend pas tout, notamment comment s’organisera (ou pas) la restauration scolaire. On ne comprend pas non plus si les maires ont l’obligation légale de rouvrir leurs écoles s’ils ne sont pas en mesure de respecter les consignes sanitaires. Matériellement et juridiquement nous sommes dans le flou le plus complet qu’il va falloir lever le plus vite possible. Encore une fois, il aurait été préférable de consulter les élus avant d’élaborer la stratégie, plutôt qu’après…

Le président avait souhaité rouvrir les écoles pour lutter contre le décrochage scolaire. Néanmoins, ce que l’on comprend surtout de la stratégie de reprise scolaire progressive en commençant par les plus petits c’est que la priorité est avant tout d’assurer la garde d’enfant pour permettre aux parents de retourner au travail ou au télétravail… La question du dérochage des collégiens, lycéens et étudiants semblent largement passer au second plan.

S’agissant de la reprise du travail, les entreprises sont invitées à reprendre leur activité mais les mécanismes de soutien (chômage partiel, Fonds de solidarité) restent en place au moins jusqu’à la fin du mois de mai. Le télétravail, quand il est possible demeure la norme pour tout le mois de mai. Quand il n’est pas possible, les entreprises sont invitées à adopter des horaires décalés afin d’éviter de concentrer les salariés dans les locaux comme dans les transports publics. Les entreprises sont dans l’obligation de garantir les conditions de sécurité sanitaires de leurs salariés (masques, gants, blouses, gels…). Des cahiers des charges sont élaborés filière par filière avec les partenaires sociaux. Au regard de l’empressement de la ministre du Travail à relancer l’activité plutôt que de protéger les travailleurs, ces mesures devront faire l’objet d’une très grande vigilance. La sécurité sanitaire des travailleurs exige des moyens renforcés pour l’Inspection du travail, à rebours de ce qu’il se passe aujourd’hui.

Le Gouvernement a également détaillé les conditions de fonctionnement des transports publics. En termes de logistique l’opération s’annonce particulièrement complexe avec des marquages au sol dans toutes les rames, un siège sur 2 condamné et un éventuel filtrage des usagers en cas d’affluence. Le Gouvernement ne l’a pas précisé mais il est indispensable que les matériels roulants soient désinfectés, et que des masques et du gel soient distribués à l’entrée. Je regrette que le Gouvernement n’ait pas dit un mot du vélo, qui semble le moyen de transport tout indiqué pour respecter la distanciation sociale, faire un peu d’exercice après 2 mois de confinement le tout sans encombrer les centres-villes ni entraîner un regain de pollution atmosphérique dont les conséquences seraient encore plus graves en cette période de pandémie pulmonaire qu’en temps normal… De nombreuses villes réfléchissent au développement de pistes cyclables pour faire face à l’après confinement, il serait bienvenu que l’Etat les accompagne. Les financements du Plan Vélo était insuffisants hier, ce sera encore plus criant demain. J’ajoute enfin que dans les communes où les transports publics seraient boudés par peur de la contagion, la gratuité peut représenter un outil efficace pour inciter nos concitoyens à revenir vers les transports publics.

Le Premier ministre a également la possibilité de réouverture des marchés sauf exception, des cimetières, des espaces verts dans les départements les moins touchés par la crise et des petits lieux culturels. L’activité sportive individuelle sera désormais autorisée, mais l’activité collective. Les déplacements personnels ne feront plus l’objet d’attestation de sortie, mais chacun est invité à la responsabilité. Les publics les plus fragiles sont invité à la plus grande prudence. Les déplacements d’un département à l’autre (ou dans un rayon de 100 km) restent interdits sauf motif professionnel ou impérieux. Idem pour les rassemblements de plus de 10 personnes (sauf les obsèques qui restent limités à 20 personnes), etc.

Pour conclure : cette sortie progressive et prudente de la crise est plutôt bienvenue, mais de grandes incertitudes demeurent pour accompagner les collectivités et les entreprises dans la mise en œuvre des injonctions gouvernementales qui en accordant de la souplesse aux acteurs, se décharge aussi de sa responsabilité…

Le Gouvernement compte sur la responsabilité de chacun.e, elle est plus que jamais de mise.