Après neuf mois de travaux, les 150 citoyens, qui avaient été tirés au sort pour former la Convention Citoyenne pour le Climat, ont délibéré et remis dimanche leur rapport. A son lancement, on craignait que cette convention soit un nouveau gadget, de la poudre aux yeux comme fût le grand débat. Force est de constater que grâce à l’indépendance de son comité de gouvernance, cette Convention a rempli correctement sa mission : tracer un chemin pour conjuguer l’impératif écologique et la justice sociale. Ces 149 mesures sont un socle pour bâtir « le Monde d’Après », plus écologique, plus résilient.

Si cet exercice de démocratie participative, en expérimentant le tirage au sort et en faisant confiance à l’intelligence collective, est objectivement réussi, il révèle paradoxalement la faiblesse de notre démocratie. Quel rôle pour le Parlement dans une telle configuration ? Cet épisode illustre à nouveau l’effondrement des corps intermédiaires (car au fond, le Conseil économique, social et environnemental était l’institution idoine pour produire un tel rapport) et la crise profonde de la représentativité démocratique. Le problème réside en outre dans le fait que participation n’est pas décision : si les propositions ne sont pas suivies par l’exécutif, les membres de la Convention ne disposent d’aucun recours et d’aucune garantie. Encore une illustration des pleins pouvoirs laissés à l’Exécutif, et de la profonde rénovation démocratique dont la France a besoin…

Au-delà de la méthode, c’est également le fond des travaux de la Convention qui est intéressant. Malgré une cohésion d’ensemble, nous avons face à nous tout à la fois des grands objectifs à 10 ou 20 ans qui n’engagent pas à grand-chose et des mesures très concrètes plus ou moins ambitieuses. Derrière la proposition de limiter les autoroutes à 110 km/h – dont on espère qu’elle ne parasitera pas les débats – certaines mesures sont radicales voire utopistes comme la proposition d’abolition du plastique à usage unique dès 2023. D’autres sont très en deçà de que l’on pouvait espérer, notamment tout le volet sur l’agriculture, très timide.

On regrette que la Convention n’ait finalement pas retenu la proposition de réduire le temps de travail à 28 heures hebdomadaires sans perte de salaire, même si le simple fait de poursuivre le débat sur ce qui était une mesure forte de Benoit Hamon en 2017, est porteur d’espoir.

Parmi les angles morts dommageables de ce rapport : l’absence totale de propositions relatives au développement des énergies renouvelables, à la réduction de la consommation électrique et à la sortie progressive du nucléaire. Créée pour répondre aux revendications des Gilets jaunes en faveur d’une écologie juste, la commission n’a pas remis sur la table l’épineux dossier de la taxe carbone.

Le volet institutionnel des propositions est intéressant. L’inscription dans la Constitution de mentions comme « la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité » ou « la République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement, et lutte contre le réchauffement climatique » serait un grand pas, tout comme la création d’un Défenseur de l’Environnement. Mais on aurait pu aller encore plus loin, en citant le principe de non-régression selon lequel l’Etat ne peut revenir sur les avancées du droit de l’environnement. Mais nous devrons veiller à ce que ces mesures, si elles sont entérinées, ne demeurent pas des symboles et une opération de communication. La police de l’environnement n’a aujourd’hui pas les moyens de faire appliquer le droit environnemental, (droit que le Gouvernement ne cesse de raboter pour simplifier la vie des entreprises). Le dernier budget a acté la suppression de 2000 postes au ministère de la Transition écologique. On peut voter toutes les lois (constitutionnelles ou ordinaires) que l’on veut, si sur le terrain, il n’y a pas d’agents pour les faire respecter, elles resteront lettre morte.

La Convention n’avait pas pour rôle d’élaborer le budget de la Nation qui mettra en œuvre ses propositions, néanmoins les 150 citoyens ont proposé quelques pistes : augmentation de la taxe GAFA, création d’une taxe sur la publicité, d’une sur les dividendes ou rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF). De toute façon, les dizaines de milliards d’euros dépensés pour faire face à la crise du Covid-19 montrent bien que quand l’urgence l’exige, l’on trouve des financements. Il fait 38 ° en Arctique à l’heure où j’écris ces lignes : On peut vivre avec 3 % de déficit public, pas avec 3, et encore moins 5 ou même 7°C, de plus sur Terre !

Globalement je salue ces mesures qui aussi audacieuses soient-elles ne sont pas nouvelles. Beaucoup de ces propositions ont déjà nourri les débats publics et parlementaires. François Ruffin retrouve ici sa proposition de loi sur la limitation du trafic aérien intérieur, les socialistes leur proposition sur l’écocide, les communistes ou écologistes leur opposition au CETA, moi-même nombreux de mes amendements aux lois mobilités, agriculture alimentation et économie circulaire, sans parler des associations et des ONG qui nous inspirent et qui portent ces mesures, depuis des décennies pour certaines…

S’il est une leçon à tirer de cet exercice, c’est qu’en prenant 150 citoyens de tout horizon, en les faisant réfléchir à l’articulation des défis écologiques et sociaux, ils aboutissent à un corpus d’idées qui ressemble fort à ce que la gauche et les écologistes proposent. Le bon sens et le pragmatisme sont en fait l’apanage de la gauche écologiste et certainement pas celui des libéraux qui continuent à croire à la main invisible du marché et à la croissance infinie dans un monde fini, politiques aussi absurdes que délétères qui nous ont conduit au bord du précipice où nous nous trouvons aujourd’hui.

Malheureusement, ces propositions portées par l’opposition de gauche écologiste ont massivement été rejetées par l’Exécutif, la majorité LREM et la droite. Connaîtront-elles un meilleur sort désormais marqué par le sceau de la légitimité citoyenne ?Pendant ces municipales, on est obligé de constater que partout, ces idées empreintes de justice sociale et environnementale sont combattues par des alliances anti-climat LREM/LR.

C’est à l’exécutif de prendre la responsabilité de ses engagements. Dimanche Elisabeth Borne a osé avancer que les propositions vont dans le même sens que les orientations du Gouvernement (qu’il soit permis d’en douter), mais de toute façon, nous restons suspendus à la décision du prince. On saura le 29 juin ce que le Chef de l’Etat décide s‘agissant l’avenir (référendaire, parlementaire ou réglementaire) de ces mesures. Une fois de plus, sous couvert d’une participation citoyenne, lui seul tient les rennes. Espérons qu’enfin ses actes entrent en cohérence avec ses interminables discours, car il n’y a pas de temps à perdre. Le budget de relance pour 2021 doit être une première étape décisive.