Le Sénat a adopté hier une version modifiée de la deuxième loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire en y apportant quelques modifications. Ce texte entend :

• proroger l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020 ;
• adapter la réglementation des déplacements, des transports et de l’ouverture des établissements recevant du public et des lieux de réunion, en vue du déconfinement ;
• préciser les régimes de mise en quarantaine et de placement à l’isolement ;
• élargir la liste des personnes habilitées à constater les infractions aux mesures de l’état d’urgence sanitaire ;
• créer, afin de lutter contre l’épidémie de covid-19, un système d’information rassemblant des données relatives aux personnes atteintes par ce virus et aux personnes ayant été en contact avec elles.


Le Sénat a tout d’abord raccourci le délai, le ramenant du 23 au 10 juillet. Il a également introduit une disposition pour limiter la responsabilité pénale de maires, des employeurs et des fonctionnaires qui appliqueront les décisions non-concertées du Gouvernement. Ceux-ci ne pourraient être poursuivis que pour « faute intentionnelle », « faute par imprudence ou négligence » et « violation manifestement délibérée des mesures ». Un meilleur encadrement de la responsabilité des maires et des fonctionnaires est souhaitable pour renouer la confiance et permettre plus de sérénité dans le travail des élu.es. Il faut cependant être prudent dans les termes de cette simplification et ne pas laisser penser qu’il s’agit d’impunité. D’autre part cette disposition est beaucoup plus contestable pour les chefs d’entreprises et employeurs puisqu’elle est prise sans concertation aucune avec les organisations syndicales.

Bonne nouvelle, le Sénat a adopté une mesure pour revenir dès le 24 mai (date de fin du 1er état d’urgence sanitaire) aux règles de droit communs encadrant la détention provisoire. L’état d’urgence autorise la prolongation des mesures de détention provisoire de plein droit, sans qu’il soit nécessaire de prendre une décision de prolongation. Cette violation des droits des justiciables est insoutenable.

Le Sénat a apporté quelques garanties pour encadrer les mesures de quarantaine et d’isolement, notamment pour s’assurer que les victimes de violences familiales ne soient pas confinées avec leurs agresseurs.

Enfin, parmi les principales avancées : le Sénat a encadré le très problématique article 6 qui crée un fichier national des malades du Covid 19 pour assurer un meilleur dépistage en remontant les chaines de contamination. Le Sénat a limité dans le temps l’existence de ce fichier, limité la collecte des données médicales au Covid 19, interdit que ce fichier serve de base à l’application Stop Covid et empêcher le Gouvernement de légiférer par ordonnance en la matière. Globalement, les apports du Sénat vont tous dans le bon sens, néanmoins ils demeurent pour moi largement insuffisants et comme l’ensemble de mon groupe, j’ai voté contre la prorogation de l’état d’urgence.

Tout d’abord, je m’oppose au principe même d’étendre l’état d’urgence sanitaire. Il est temps d’en sortir pour éviter qu’il ne devienne le régime de droit commun, comme ce fut le cas pour l’état d’urgence à la suite des attentats. Il y a 2 mois, nous avons habilité le Gouvernement à prendre toute une série d’ordonnances qui sont valables pour une durée d’un an. Dans tous les domaines de la loi, le Gouvernement a pris 55 ordonnances qu’il n’a jamais soumis au Parlement pour ratification comme il se doit. Ces ordonnances ont débouché sur 70 décrets et 1200 arrêtés préfectoraux qui régissent notre vie quotidienne depuis deux mois. Ces mesures n’ont pas non plus été avalisées par Conseil constitutionnel. Nombre d’entre elles sont très problématiques, notamment celles relatives au droit du travail ou aux droits des justiciables. De ce fait, le Gouvernement a toutes les cartes en main pour continuer à gouverner et à prendre des mesures qui entravent grandement les libertés pour lutter contre la pandémie. Plus besoin d’état d’urgence pour ce faire, il est temps de déconfiner la démocratie et de permettre au Parlement et au pouvoir judiciaire de contrôler l’action gouvernementale. C’est un impératif démocratique !


Ensuite, le texte prévoit des dispositions, très floues à ce stade car renvoyées à un futur décret, pour l’organisation des transports publics. C’est le plus grand écueil de la stratégie de déconfinement du Gouvernement. La distanciation physique est extrêmement délicate à mettre en place dans les transports en commun. La seule solution serait d’augmenter l’offre pour diminuer la fréquentation de chaque bus et de chaque rame, de chaque tramway. Cela implique des moyens pour les régies de transports publics et la SNCF que le Gouvernement ne prévoit pas. Sa seule réponse est répressive puisqu’elle prévoit de rendre obligatoire le port du masque et d’habiliter les agents des régies à mettre des amendes à celles et ceux qui ne respecteraient pas cette obligation. Les personnels de la RATP, notamment, ne veulent pas se substituer à la police. Pire encore, le Gouvernement ne prévoit pas la distribution de masques par les régies de transports publics, ce qui seraient le minimum avant d’exiger son port, surtout quand on constate les difficultés matérielles et financières à se procurer des masques. Mon amendement pour conditionner l’amende à la fourniture gratuite de masques a malheureusement été rejeté.

Dernier point problématique, le traçage numérique des malades du Covid 19. Si le Sénat a apporté des garanties au dispositif, le Gouvernement ne nous a pas du tout rassuré par ses propos. Ce système pose de nombreux problèmes : création d’un fichier national dont la sécurité informatique est loin d’être garantie ; transmission de données médicales au-delà des personnes de santé (les fameuses « brigades d’ange-gardien »), compilation d’autres données médicales pour identifier les causes de comorbidité (supprimée par le Sénat mais à laquelle tient le Gouvernement), données non anonymisées compilées SANS consentement ; et (qui reviendra demain à l’Assemblée) chèque en blanc pour le Gouvernement avec la possibilité de légiférer par ordonnance permettant le déploiement de l’application Stop Covid. Un tel fichage de la population fait porter de très graves risques quant au maintien du secret médical et augmente sensiblement le risque de violation de la vie privée des Françaises et des Français. Cette mesure nous semble d’autant plus disproportionnée, que le dépistage des malades et le traçage de leurs interactions sociales est déjà réalisée « humainement » par les Agences régionales de Santé.

En matière de lois d’exceptions qui font reculer les libertés publiques pour garantir davantage de sécurité, l’histoire montre qu’on revient très rarement en arrière. Les dispositions d’exceptions deviennent des dispositions de droit commun et rognent petit à petit notre liberté pour assurer une sécurité qui bien souvent demeure relativement illusoire. Petit à petit c’est la démocratie qui est abîmée, maltraitée, affaiblie…


Je refuse de cautionner ce cercle vicieux, pour ces raisons j’ai donc voté contre ce projet de loi d’urgence sanitaire. Je regrette vivement que nous ayons été si peu nombreux à faire ce choix…