Les débats budgétaires de fin d’année au Parlement ont toujours été un moment fort de la vie politique : c’est l’occasion pour chaque famille politique et chaque parlementaire de faire remonter des préoccupations territoriales et sectorielles, d’esquisser une autre vision de la fiscalité, du fonctionnement de l’Etat et de son périmètre. D’ordinaire sous la Vème République, ces vastes débats se tiennent néanmoins dans un cadre contraint : le gouvernement disposant d’une majorité absolue, il peut faire passer sans grande difficulté sa version du budget, amendée à la marge par les propositions d’autres groupes.
Depuis les élections législatives de 2022, où Emmanuel Macron et Renaissance ont perdu la majorité absolue, cet exercice était devenu plus difficile et la Première ministre de l’époque, Elisabeth Borne, avait dû recourir massivement à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer les budgets 2023 et 2024. Cette année, après les révélations d’un emballement du déficit public dissimulé par Bruno Le Maire et Gabriel Attal et suite à l’absence de majorité depuis la dissolution de l’été 2024, l’examen du budget était encore plus compliqué.
Alors que le Nouveau Front Populaire était arrivé en tête lors des élections législatives, le Président de la République a fait le choix de nommer Michel Barnier comme Premier ministre. Celui-ci a repris la copie budgétaire préparée par le gouvernement démissionnaire et a voulu engager un grand plan d’austérité, de 40 milliards d’euros. Il souhaitait également trouver 20 milliards de recettes supplémentaires, parfois en faisant des choix de justice fiscale – comme à travers une contribution exceptionnelle sur les 0,3% des ménages les plus riches, mais aussi à travers des choix régressifs.
Nous avons dénoncé cette orientation pour deux raisons : tout d’abord car il existe de vraies possibilités pour réduire le déficit sans faire payer les plus défavorisés, en mettant à contribution les grandes entreprises et les ménages les plus aisés. D’autre part, car une réduction drastique de dépenses aura un effet récessif désastreux sur l’économie, obligeant ensuite à de nouvelles cures d’austérité.
Les ménages aisés et les multinationales ont été choyés de cadeaux fiscaux depuis 7 ans par Emmanuel Macron, au point que le CAC40 a pu reverser 100 milliards à ses actionnaires en 2024. Il était donc nécessaire de les mettre à contribution. C’est justement ce qu’a fait la commission des finances de l’Assemblée nationale, où le Nouveau Front Populaire a réussi à dégager 50 milliards de recettes supplémentaires, à travers dix mesures fortes adoptées en commission :
-le rétablissement de l’ISF avec un volet climatique
-la hausse de la taxation du transport aérien
-le recentrage du crédit impôt recherche
-le rétablissement de l’exit tax
-une taxation des gros héritages
-une taxation des superprofits et des superdividendes
-la suppression de la flat tax pour revenir à une taxation plus progressive du capital
-le renforcement de la taxe sur les transactions financières, pour inclure notamment le trading haute-fréquence (vente et revente d’action en une journée, voire quelques secondes, purement spéculatif)
-la suppression des exonérations de cotisations employeur au-dessus de 2 SMIC
-et enfin le rétablissement CVAE et hausse des versements mobilité, afin de redonner des moyens aux collectivités
Malheureusement, cette partie recettes a ensuite été rejetée en séance, grâce à une alliance entre le bloc central (Renaissance, Modem, Horizons et Les Républicains) et le Rassemblement national. Privé de ces recettes supplémentaires, le budget de l’Etat a dû être amputé dans tous les domaines, excepté la défense, l’intérieur et la justice. Nous ne pouvions l’accepter et nous avons donc déposé une motion de censure commune au NFP, qui a été adoptée. Le gouvernement de Michel Barnier est donc tombé, dès le recours au 49.3 sur le budget de la Sécurité Sociale (PLFSS).
La censure n’a jamais été une fin en soi, mais elle s’est avérée la seule solution pour exprimer notre rejet profond des orientations budgétaires et de la surenchère de mesures de droite extrême, notamment de la part du ministre Bruno Retailleau. Contrairement à ce qu’ont prétendu les membres du bloc central, la censure n’a jamais causé de risque d’arrêt de l’Etat et de la Sécurité sociale, comme le fait un shutdown du gouvernement fédéral américain. Une loi spéciale a très vite été adoptée avant Noël pour continuer à lever l’impôt et les budgets 2024 ont été reconduits, en attendant l’adoption d’un nouveau budget. A court terme, il s’agissait de la meilleure option, étant donné que cela évitait des coupes drastiques dans de nombreux postes de dépenses profondément utiles pour le pays.
Après la censure, Emmanuel Macron a décidé de consulter les différentes forces politiques et les présidents de groupes parlementaires pour tenter de trouver une porte de sortie. Avec la présidente du groupe écologiste et social à l’Assemblée nationale, Cyrielle Chatelain, et la secrétaire fédérale des Écologistes, Marine Tondelier, nous avons joué le jeu de ces rendez-vous, puis de ceux avec François Bayrou, devenu Premier ministre, et Eric Lombard, nommé ministre de l’economie et des finances. A chaque fois, nous avons rappelé que nous sommes favorables à un compromis sur le budget, mais à condition que les plus riches soient mis à contribution et que des postes essentiels de dépenses (éducation, santé, écologie, cohésion des territoires…) ne soient pas sacrifiés.
Le gouvernement Bayrou n’a pas tenu compte de ces demandes. Il a décidé de reprendre l’examen du texte au Sénat là où il s’était arrêté. Après une partie recettes revenue à la copie initiale de Michel Barnier, notre groupe, ainsi que les autres groupes de gauche du Sénat et quelques alliés centristes ponctuels, avaient réussi à faire passer quelques mesures positives de justice fiscale, notamment le rétablissement de l’exit tax, la hausse de la taxe sur les dividendes, l’amélioration de l’IFI (impôt sur la fortune immobilière), une taxe sur les GAFAM et la hausse de la taxation sur les transactions financières. Bien qu’insuffisantes, ces mesures avaient une majorité et indiquaient un changement de cap. Pourtant, le gouvernement s’est entêté et a fait revoter le Sénat pour supprimer ces amendements de bon sens.
Le gouvernement Bayrou a ensuite voulu concéder quelques mesures aux socialistes afin d’éviter une censure. Mais la partie recettes étant restée inchangée, chaque “concession” obtenue sur un budget devait se traduire par des coupes supplémentaires ailleurs. S’est alors engagé un vaste jeu de surenchère austéritaire dans toutes sortes de dépenses : 6 milliards rabotés via des amendements de dernière minute ! Tout y est passé :
-1,3 milliards pour l’écologie, alors que les besoins sont considérables et que le stop and go en matière de transition ne fonctionne pas. Les aides à la rénovation, à l’achat de voitures électriques, l’agence bio… ont été laminées.
-630 millions pour l’enseignement supérieur et la recherche, alors que la précarité étudiante est déjà au plus haut
-781 millions supplémentaires de coupes dans l’aide publique au développement, précédemment déjà amputée de centaines de millions. Cet outil central de notre diplomatie, que j’ai fermement défendu lors des débats budgétaires, a été désossé.
-535 millions supprimés pour France 2030, c’est-à-dire les programmes de recherche d’avenir.
-180 millions en moins pour le sport, alors que “l’héritage” des jeux olympiques de 2024 est sur toutes les lèvres.
-80 millions en moins pour l’audiovisuel public, déjà mal en point.
-Et même 50 millions en moins pour la sécurité civile, alors que les catastrophes climatiques se multiplient sur tout le territoire, du cyclone Chido à Mayotte aux inondations en Ille-et-Vilaine.
Tous ces budgets sont des investissements pour l’avenir. Voir notre pays les défaire les uns après les autres indique donc un sacrifice du futur, que nous refusons.
Suite à cette nouvelle copie du Sénat, 7 députés et 7 sénateurs (notre groupe au Sénat n’était pas représenté, mais le groupe écologiste de l’Assemblée était représenté par la députée Eva Sas) se sont réunis pour trouver un accord dans une commission mixte paritaire (CMP). Cette négociation à huis clos a accouché de quelques modifications mais le budget reste dans son ensemble, toujours marqué par la même logique austéritaire. Pour finir le parcours parlementaire du texte, François Bayrou est passé en force en recourant à l’article 49.3 de la Constitution. Au passage, le gouvernement s’est permis d’ultimes modifications sur le texte issu de la CMP. La démocratie parlementaire aura donc été piétinée et méprisée à toutes les étapes.
Dans ces conditions, nous avons évidemment voté contre le budget lors du vote solennel au Sénat le 23 janvier 2025. Le groupe écologiste de l’Assemblée nationale votera à nouveau la censure, ainsi que les groupes communistes et insoumis, afin d’exprimer notre rejet le plus ferme de cette méthode associant mensonges et passages en force, et surtout du fond du budget, qui va encore aggraver la crise économique et affaiblir nos services publics.
Le groupe socialiste et le Rassemblement National ayant décidé de ne pas voter la censure, ce budget va s’appliquer. Nous regrettons profondément ce choix des socialistes, qui fracture le Nouveau Front Populaire et aboutit à soutenir un budget très négatif pour la France. Quant au Rassemblement National, il prouve à nouveau qu’il soutient en réalité le même agenda économique et budgétaire inégalitaire que le bloc central. Nous avons évidemment entendu les inquiétudes des collectivités, des associations, de divers agences et de nombreux Français sur l’impact d’une nouvelle censure. Soyez certains que notre décision a été mûrement réfléchie : la censure n’est pas une obsession ou une fin en soi, elle n’est que la dernière possibilité qui nous reste face à un gouvernement toujours resté sourd à nos demandes et à celles des Français, qui réclament majoritairement de la justice fiscale et des moyens pour nos services publics.
Crédit image en une : association Amorce