Avec ma collègue Esther Benbassa et d’autres sénatrices et sénateurs, nous recevions le 5 décembre au Sénat des membres du mouvement des « Gilets jaunes », rencontrés lors des dernières manifestations. Symbole de la profonde crise démocratique que traverse notre pays, c’était la première fois depuis bientôt trois semaines qu’a débuté le mouvement, que des « gilets jaunes » étaient reçus au Parlement par des représentants de la Nation…
Ce mouvement spontané a laissé de côtés les élus, les syndicats, les associations tous les corps intermédiaires réduits à l’impuissance politique depuis 12 ans et le retrait du CPE, dernière victoire du mouvement social… Hier, sénatrices et sénateurs de l’opposition, nous n’avons pu que constater, notre incapacité à influencer la politique gouvernementale.
Notre République sclérosée choisit son monarque tous les 5 ans, charge à lui et à lui seul de conduire et d’assumer toute la politique de la Nation. Charge impossible, qui voit l’actuel détenteur de la fonction rejoindre ses prédécesseurs dans les abîmes de l’impopularité… Il faut dire que par son mépris de classe, par son autoritarisme, par sa politique inégalitaire, par son incapacité à incarner le renouveau politique qu’il avait promis, Emmanuel Macron a tout fait pour susciter l’ire de nos concitoyens.
Du coup, aujourd’hui, faute de dialogue démocratique, faute d’opposition, faute de corps intermédiaires, il n’y a plus de débouchés de la colère, plus d’espoir politique, plus de structuration du mouvement social… Le roi est nu face à son peuple. C’est la raison profonde de la forme quasi-insurrectionnelle de ce mouvement.
La Ve République est à l’agonie est c’est l’un des enseignements principaux de la crise. Cette crise de la représentation, cette crise de la démocratie était sur toutes les lèvres de celles et ceux que nous avons rencontré hier. Leur refus de désigner des représentants témoignant de leur manque de confiance dans le principe même de représentation. La confiance a disparu, il faudra des années d’efforts pour la reconstruire et on ne sortira pas de cette crise sans organiser des Etats généraux de la démocratie, sans modifier en profondeur et de manière concertée notre Constitution pour redonner du pouvoir au Parlement, aux corps constitués et aux citoyens. Le présidentialisme monarchique a vécu ; la haine inouïe dont est l’objet le président de la République en est la dramatique illustration.
Mais dans l’immédiat et pour sortir de cette crise avant que d’autres morts, d’autres blessés soient à déplorer, c’est à l’urgence sociale que le Gouvernement doit répondre. Car l’essence même mouvement des « gilets jaunes » repose sur des revendications sociales : l’égalité et la justice fiscale. Quoi de plus normal quand 1% de l’humanité capte 50 % de la richesse mondiale et les que les inégalités n’ont jamais été aussi grandes, même dans notre pays parmi les plus égalitaire du globe ? Quoi de plus normal quand les plus aisés échappent à l’impôt par tous les moyens possibles et que les classes moyennes et populaires assument presque seules le coût de la puissance et des services publics et de la solidarité nationale ? Quoi de plus normal quand la rapacité des actionnaires et des grands patrons étrangle les entreprises et grève les salaires ? Quoi de plus normal quand l’avenir de la planète est menacé et qu’aucun effort ou presque n’est exigé de ceux qui polluent le plus ?
Le Gouvernement doit retirer ses œillères néo-libérales et entendre cette souffrance. Il doit faire un geste fort pour sortir de cette crise au plus vite : l’augmentation significative du SMIC et le rétablissement de l’ISF serait un bon début. Au lieu de cela, le Gouvernement se contente d’annoncer devant le Parlement qu’il ajourne des augmentations d’impôts et de tarif du gaz et de l’électricité qui ne sont pas encore entrées en vigueur… Ce n’est pas sérieux, ce n’est nullement de nature à calmer la colère. Tous les signaux d’alerte sont au rouge : les préfets sortent de leur réserve pour tirer la sonnette d’alarme, la police est à bout, un de ses syndicats vient même de se mettre en grève samedi, les colères s’agrègent les unes aux autres. Le Gouvernement n‘est pas la hauteur de l’enjeu et loin d’être exempt de tout reproche dans la détérioration du climat social.
Pourtant, malgré ce climat anxiogène, ce mouvement a quelque chose de rassurant. Il marque le réveil politique de nombre de nos concitoyens. Il porte haut et fort les aspirations de la gauche : le combat pour l’égalité et celui pour la démocratie et contrairement aux apparences s’inscrit également en filigrane la nécessité d’une transition écologique ambitieuse, mais qui se doit impérativement d’être juste ! Ce samedi, j’invite les gilets jaunes et ceux qui répondront à l’appel mondial de la Marche pour le climat à converger pacifiquement pour exprimer haut et fort cette triple exigence sociale, écologique et démocratique. Suffisamment haut et suffisamment fort pour qu’enfin le Gouvernement nous entende !