Le 8 novembre dernier, le Sénat examinait en 1ere lecture la proposition de loi (mais qui est en fait un projet de loi déguisé tant le Gouvernement est à la manœuvre) portant création de l’Agence nationale de Cohésion des territoires.
Si nous partageons tous le constat du manque d’ingénierie publique, du manque d’accompagnement des collectivités locales dans la mise en œuvre de leurs politiques, la création de cette agence un peu creuse et sans ressources financières supplémentaires, ne sous semble pas une réponse à la hauteur de l’enjeu.
Dans le débat, avec le groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), nous avons mis en avant une organisation beaucoup trop verticale, une logique de guichet qui ne répond pas à notre vision de l’intérêt général et un manque criant de moyens. Nous nous sommes finalement abstenus.
Mon intervention générale :
Merci Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi portant création d’une agence nationale des territoires.
Sur la forme, nous ne pouvons que regretter le passage par une proposition de loi, qui prive les parlementaires d’une indispensable étude d’impact et de l’avis du Conseil d’Etat. Nous soulignons la réactivité du Président du sénat qui a permis de disposer, dans des délais extrêmement courts, de cet avis. Pourtant, le fait que le gouvernement ait déjà déclaré l’urgence sur cette PPL témoigne qu’en réalité, il s’agit bien d’un projet de loi déguisé. Curieuse méthode…
Sur le fond, tout le monde sera d’accord sur le constat alarmant d’une perte d’ingénierie dans les territoires et de l’accroissement des fractures territoriales mettant à mal l’égalité républicaine. L’idée de proposer aux collectivités un nouvel outil n’est donc pas à rejeter par principe. Mais est-ce réellement de cela dont il s’agit ?
Il ne faut pas oublier le contexte. Premièrement, le Gouvernement qui propose la création de cette agence, poursuit la réduction de l’emploi public, tant au sein des collectivités par la baisse des dotations, que dans les services de l’Etat. La perte d’ingénierie est ainsi essentiellement la conséquence du désengagement continu de l’Etat et tout particulièrement de la suppression de l’ATESAT.
Le gouvernement préconise d’aller encore plus loin au travers du plan CAP 2022 comme de la loi de finances qui prépare un nouveau recul de l’emploi au sein des opérateurs concernés par la création de l’Agence. Comment faire mieux avec toujours moins ?
Nous craignons donc que la création de cette structure serve simplement de cache misère, fonctionnant à coût constant et ouvrant la voie à des mutualisations et fongibilité de crédits. Tour de passe-passe utile en période de disette budgétaire… A ce titre, il faut souligner que l’avis du Conseil d’Etat estime, je cite, « qu’il conviendra que l’agence soit dotée, tant au plan national que local, des ressources suffisantes ».
Nous en sommes très loin puisque de manière incompréhensible, la question des ressources reste en suspens. Or, à défaut d’engagement financier nouveau, cette agence sera simplement une nouvelle couche dans la mille-feuille territoriale, un « machin » de plus qui ne réglera pas les difficultés des territoires en termes de maintien des services public, de présence hospitalière, éducative, judiciaire, de développement d’un réseau de transport ou numérique…
Cette agence n’est donc pas la baguette magique du retour de l’Etat au sein des territoires. Pour cela, il faudrait, loin des politiques actuelles gouvernementales, une politique offensive d’investissement public et de soutien réel aux collectivités.
Nous avons également des inquiétudes sur les modalités retenues pour la création de cette agence.
Premièrement, nous estimons que son statut devrait être celui d’un établissement public administratif fonctionnant avec des personnels fonctionnaires ou sous contrat public. Cela pour affirmer la dimension d’intérêt général des missions de l’agence à l’opposé d’une vision presque exclusivement commerciale. Nous nous inscrivons ainsi en faux avec la conception, portée par le rapport Morvan, d’une logique de guichet faisant face à des clients.
Deuxièmement, concernant les missions de cette agence. Nous sommes rassurés que la proposition n’aille pas aussi loin que le rapport Morvan en termes d’intégration des opérateurs de l’Etat, notamment de l’ANRU et de l’ANAH.
Pourtant nous sommes inquiets. Alors que le CGET est intégré dans cette agence, nous constatons qu’il n’est fait aucune mention de la politique de la ville dans les missions de l’agence, pourquoi ce trou noir, qui demain s’occupera de ces politiques ? Nous proposerons donc de reprendre très explicitement toutes les missions du CGET, à l’exclusion bien sûr de ce qui relève de l’administration centrale, au sein des compétences de la future agence.
Nous sommes d’ailleurs dubitatifs : l’ensemble de la politique de cohésion des territoires serait confié à cette agence. Nous estimons pourtant que l’Etat conserve une responsabilité première en la matière. L’Etat ne peut être qu’un guichet. La puissance publique doit offrir une vision, un cadre et les outils pour atteindre des objectif, outils définis y compris avec le concours de la représentation nationale. La création de l’agence ne peut donc s’accompagner d’une déresponsabilisation l’Etat ou d’une multiplication des partenariats publics-privés comme le permet la possibilité de filialisation de la future Agence.
Enfin, cette agence se place, non pas dans une volonté de décentralisation mais dans une vision très verticale du pouvoir. Ce n’est en réalité qu’une déconcentration renforcée autour d’un préfet de département qui devient omnipotent, seul interlocuteur pour les élus locaux.
Par ailleurs, cette nouvelle agence, en se plaçant en guichet unique, reste dans cette même logique de collectivités usagères et non co-constructrice de politiques publiques. Nous proposerons, à l’inverse, de rendre majoritaire la représentation des collectivités au sein du conseil d’administration de l’agence, où la parité femme-homme a d’ores et déjà été retenue à notre initiative. Pour retrouver de la sérénité, les rapports Etat/collectivités, doivent être fondés sur une confiance renouvelée et renforcée aux collectivités.
Nous estimons enfin qu’il convient d’ouvrir une nouvelle phase de décentralisation, mais avec des moyens financiers pour les territoires. Une nouvelle étape qui ne rime pas avec désengagement de l’Etat mais au contraire un retour de celui-ci. Il faut reprendre la main sur le privé qui se désintéresse de l’intérêt général et de l’égalité républicaine. Les territoires ne peuvent être jugés sous l’angle de la compétitivité.
Plus qu’aux territoires, nous vous voulons enfin nous attacher à la situation des habitants dans ces territoires et de cela, il n’est point question dans cette proposition de loi. Il s’agit d’une lacune importante.
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Organisations et moyens de l’agence :
Le débat ne nous a pas tellement rassurés sur la capacité de la future agence à remplir ses missions. Nos amendement pour renforcer le dispositif, notamment, pour permettre que les élus locaux soient majoritaires au Conseil d’administration, ont été rejetés.
Alors que la création de cette agence aurait pu constituer une chance pour les collectivités et les habitants des territoires les plus fragiles, il n’en sera rien. Malheureusement…
Les collectivités ne verront pas leurs prérogatives renforcées dans le cadre d’une décentralisation moderne et renouvelée. L’agence se limite à la seule fonction de guichet, alors que c’est de confiance dont les territoires ont besoin, de dialogue.
Pire encore, l’agence fait du préfet le pivot de toutes les politiques de l’Etat dans les territoires. Une manière donc de remettre dans la verticalité dans l’utilisation des subsides de l’Etat. Au final d’une simple réforme de l’organisation de l’Etat dans les territoires et non un nouvel acte de décentralisation.
Dans le débat je me suis donc également fait l’écho du manque de ressources de la future agence, qui ne lui permettra pas de mener à bien ses missions :
Cette agence n’aura en outre manifestement pas les moyens de répondre à la demande, comme en témoignent les baisses de moyens budgétaires des entités devant la composer ou des opérateurs associés par convention, notamment le CEREMA qui va perdre ¼ de ces effectifs.
Une coquille vide dont la seule utilité sera de masquer une nouvelle fois les désengagements successifs de l’Etat, à la fois de ses missions régaliennes, mais aussi du soutien aux collectivités par la baisse drastique des dotations.
Nous avons néanmoins réussi à faire adopter deux amendements
- Le 1er pour inclure la dépollution des sols dans les missions de l’Agence.
- Le 2e pour que la modification du périmètre de l’agence et des organismes qui lui sont rattachés ne puisse être modifié que par la loi.
Finalement, accueillant favorablement le dispositif mais le jugeant largement insuffisant, nous nous sommes abstenus. Le texte doit maintenant être examiné par l’Assemblée nationale.
Mon explication de vote finale :