Le projet de loi visant à réintroduire les néonicotinoïdes a été adopté au Sénat dans la nuit du 27 octobre. Déjà débattu il y a quatre ans dans le cadre de la loi biodiversité de 2016, elle a introduit l’interdiction de ces pesticides avec un entrée en vigueur au 1er janvier 2018. Aujourd’hui, nous nous alarmons d’un véritable retour en arrière législatif qui met de nouveau notre biodiversité et notre santé en danger.
Au cœur du texte, l’article 1 qui vise à autoriser, à titre dérogatoire, les producteurs de betteraves à sucre à utiliser ces néonicotinoïdes jusqu’en 2023.
Retrouvez mon intervention en séance :
Comment est-ce possible alors que cette famille de pesticide avait été interdite en 2016 ? D’autant qu’à l’époque, notre actuelle ministre de la transition écologique elle-même était intervenue, en tant que députée, pour demander sa disparition.
M. Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’alimentation, peut bien nous expliquer que la filière de betterave est créatrice d’emplois, qu’elle est nécessaire à notre économie et que nous devons la protéger, il est évident que l’utilisation de pesticides ne protégera jamais ni les agriculteurs ni les consommateurs.
A l’origine de ce revirement, la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), en lien avec l’industrie sucrière (notamment les groupes sucriers comme Tereos et Cristal Union) a profité du confinement pour réintroduire le débat. Elle se félicite aujourd’hui de l’adoption de ce projet de loi qui éliminerait les pucerons verts, coupables d’une perte de leur rendement. Pourtant, nous sommes loin d’une avancée pour l’agriculture et pour l’environnement.
Je l’ai déjà mentionné dans mon intervention au Sénat sur le sujet : depuis leur autorisation dans les années 90 et jusqu’à leur interdiction en 2016, les néonicotinoïdes ont durement impacté la chaîne alimentaire. En effet, responsables d’une baisse de 85% des insectes dans nos campagnes françaises, ils ont également provoqué l’effondrement de la population d’invertébrés, une nourriture élémentaire aux oiseaux. Qui plus est, il fait partie des plus dangereux poisons pour notre planète puisqu’il implique une multiplication par six de la mortalité des colonies d’abeilles.
Mais les néonicotinoïdes n’ont encore pas dit leur dernier mot. En plus d’être mortels pour de nombreux être vivants, ils sont inefficaces pour deux raisons : la première parce que seulement une toute petite partie de cette substance est effectivement absorbée par la plante alors que plus de 80% contaminent sols, cours d’eau et nappes phréatiques. Il faut alors plusieurs années à ces matières toxiques pour se dégrader. En attendant, elles circulent dans d’autres cultures et deviennent, de facto, dangereuses pour nos organismes ; la seconde parce que d’après de récentes études de l’ANSES, ces pucerons verts s’adaptent à ces pesticides qui deviennent donc inefficaces. C’est ce qui s’appelle une impasse technique.
Après un débat tranché en 2016, Emmanuel Macron promettait d’éradiquer progressivement les pesticides de nos sols et de nos cultures. Pour nous la question était réglée : plus jamais de néonicotinoïdes dans nos champs. Pourtant, en plus d’être réintroduit, le projet de loi va à l’encontre du principe de régression issu de la loi biodiversité de 2016. Ce dernier stipule qu’un projet de loi ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante en matière d’environnement.
D’autres points sont également à interroger : en plus de soutenir un projet de loi qui amènera, on le sait d’ores et déjà, d’autres filières à demander des dérogations, les conditions d’application sont irrationnelles. En effet, la ministre de la Transition écologique a assuré qu’ils ne seront utilisés qu’en prévoyance d’un hiver trop doux. Mais comment savoir plusieurs mois auparavant quelles seront les températures que nous connaitrons pour le prochain hiver ?
Il est urgent d’agir pour une biodiversité qui vit une situation d’agonie. Les derniers rapports le montrent assez, à commencer par le dernier en date, le rapport sur l’état de la nature dans l’union européenne. Cependant, cela ne nous étonne qu’à moitié puisque les décisions prises par le gouvernement ne semblent pas s’orienter vers plus de vert. En témoigne, et je l’avais déjà souligné, la maigre consolation obtenue pour l’environnement dans le plan de relance…
Quels arguments les supporters du projet de loi avancent-il ? Il faut maintenir les emplois dans la filière de la betterave. Soit, mais qu’en est-il des apiculteurs, par exemple, qui voient leurs activités directement menacées par l’utilisation de ces pesticides ? Car, en réalité, les difficultés rencontrées par les agriculteurs ne trouvent pas leur cause dans la perte de volume.
La source du problème est donc ici, mal appréhendée. C’est bien la surproduction mondiale de sucre qui a conduit à un effondrement du prix, ce qui a grandement impacté les agriculteurs. Habile, car il est plus confortable de pointer du doigt le puceron vert plutôt que de repenser l’ensemble d’un modèle économique libre échangiste. La preuve en est : la France exporte quasiment la moitié de sa production de sucre à l’union européenne et ailleurs. Cette situation emmène d’ailleurs la France dans une situation paradoxale puisque, sa production de sucre bio étant trop faible, nous sommes contraints à l’importer.
Les solutions sont ailleurs : la mise en place de quotas, un nouveau cadre budgétaire pour l’agriculture et surtout l’introduction d’une transition écologique pour rendre notre agriculture plus résiliente et plus durable. Ce sont ces mesures et seulement elles qui permettront de mieux protéger nos cultures, les producteurs ainsi que les consommateurs.
Enfin, les Républicains avaient introduit au dernier moment un nouvel amendement qui entendait acter dans la loi l’impossibilité d’interdire un pesticide qui ne trouverait pas d’alternatives sur le marché. Comme l’avait expliqué mon collègue Joël Labbé dans un entretien dans Libération, c’était une porte ouverte à tous les pesticides. En effet, une fois validés, comment les interdire ? Heureusement la commission mixte paritaire (CMP) a supprimé cet amendement.
N’apprendrons-nous jamais de nos erreurs ? Des rapports fréquents nous alertent sur l’état de notre environnement, mais nous préférons débattre dans l’hémicycle d’un projet de loi qui attaque directement une biodiversité déjà fragile. Face à un exécutif qui ne cesse de se contredire sur les mesures sanitaires ou sur sa vision de l’écologie, il est temps d’agir pour la transition de notre modèle agricole qui ne peut plus attendre.