Aux côtés de 621 autres parlementaires français (députés, sénateurs et eurodéputés), j’ai signé une tribune à l’attention de la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, pour faire part de mon opposition totale au traité de libre-échange entre l’UE et le Mercosur. Ce traité négocié depuis deux décennies et dont la signature pourrait avoir lieu dans les prochaines semaines est en effet une catastrophe pour notre agriculture et l’environnement, tant en matière d’émissions de transport que d’impact sur la déforestation en Amazonie.
Vous trouverez ci-dessous le texte de la tribune publiée par Le Monde :
« Les conditions pour l’adoption d’un accord avec le Mercosur ne sont pas réunies »
L’accord actuel ne respecte pas les critères démocratiques, économiques, environnementaux et sociaux fixés par l’Assemblée nationale et le Sénat, estiment 622 élus d’horizons politiques divers, dans une tribune au « Monde », rédigée à l’initiative du sénateur (Les Ecologistes) Yannick Jadot.
Madame la Présidente de la Commission européenne, vous vous apprêtez dans les prochaines semaines à soumettre l’accord d’association entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur à l’approbation du Conseil et du Parlement européens. Nous, parlementaires français au Sénat, à l’Assemblée nationale et au Parlement européen, souhaitons vous rappeler l’opposition très large et transpartisane que nos assemblées ont formellement exprimée vis-à-vis de cet accord.
Les résolutions adoptées à l’Assemblée nationale en 2023 et au Sénat en 2024 stipulent en effet que les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales ne sont pas réunies pour la conclusion et l’adoption d’un accord avec le Mercosur. Nos assemblées rappellent que la France a posé trois conditions à la signature de l’accord, à savoir : ne pas augmenter la déforestation importée dans l’UE, mettre l’accord en conformité avec l’accord de Paris sur le climat (2015) et instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale.
A l’évidence, ces conditions ne sont pas satisfaites. Depuis le lancement des négociations UE-Mercosur en 1999, c’est une surface équivalente à la péninsule ibérique qui a été déforestée en Amazonie. C’est maintenant le Cerrado voisin qui est massivement touché. Nous le savons, cette déforestation, qui contribue massivement aux émissions de gaz à effet de serre et à l’effondrement de la biodiversité, est principalement liée au changement d’usage des terres pour l’élevage bovin et la production de soja. Cet accord commercial est donc incompatible avec l’accord de Paris.
En outre, la quantité de pesticides épandue est de 6 kilos par hectare (kg/ha) au Brésil, contre 3,6 kg/ha en France. Et sur le demi-millier de pesticides utilisés au Brésil ou en Argentine, près de 150 sont interdits en Europe parce que dangereux ! De même, les pays du Mercosur utilisent encore largement des activateurs de croissance pour l’élevage, comme les antibiotiques, tout aussi interdits en Europe. Un tel fossé dans les normes environnementales, sanitaires et de bien-être animal présente un risque sanitaire sérieux pour les consommateurs européens.
Il constitue aussi une concurrence déloyale pour nos producteurs agricoles alors que l’UE se fixe des ambitions fortes en la matière et impose des contraintes strictes de production.
« Naïveté coupable »
Cet accord de libre-échange, qui prévoit l’ouverture de quotas additionnels, sans droits de douane ou à taux réduit, de bœuf, de volaille, de maïs, de sucre et d’éthanol, se ferait fatalement au détriment des producteurs et des éleveurs européens, sur fond de distorsions de concurrence et de « naïveté coupable », avec l’absence de contrôles sur les produits importés. Certaines filières agricoles européennes en seraient lourdement fragilisées.
Cet accord qui va à l’encontre de tout ce que nous faisons pour sauver notre agriculture n’est pas acceptable !
Ce n’est pas équitable pour nos éleveurs de volailles alors que l’UE envisage de nouvelles règles pour limiter la taille de leurs élevages, tout en offrant dans le même temps, aux fermes-usines brésiliennes, parfois jusqu’à 50 fois plus grandes, un accès facilité à son marché. Alors qu’un poulet sur deux consommés en France est déjà importé, l’accord avec le Mercosur prévoit d’ouvrir encore plus la brèche avec un nouveau quota d’importation annuel, à droits de douane nuls, de 180 000 tonnes de viandes de volaille brésiliennes…
Ce n’est pas équitable non plus pour nos éleveurs bovins. L’UE encourage sur nos territoires un élevage au pâturage, tandis qu’elle favorise sur son marché les importations de viandes américaines provenant d’animaux engraissés aux antibiotiques activateurs de croissance, dans des feedlots [immenses parcs d’engraissement intensifs où les vaches sont confinées pour atteindre le plus rapidement possible leur poids d’abattage] qui dépassent régulièrement 10 000 bêtes. Alors que nous importons déjà plus de 30 % de la viande consommée en France, l’accord avec le Mercosur prévoit l’entrée de 99 000 tonnes de viandes bovines sud-américaines supplémentaires, chaque année.
Ce n’est pas non plus équitable pour les producteurs de maïs européens, qui doivent réduire l’utilisation de pesticides et qui sont mis en concurrence avec les maïs argentin ou brésilien traités avec des pesticides nuisibles à la santé humaine et à l’environnement, notamment l’atrazine, herbicide interdit depuis plus de vingt ans en France. L’accord avec le Mercosur prévoit l’importation, sans droits de douane, de 1 million de tonnes supplémentaires de maïs par an.
Efforts de notre agriculture
Ce n’est pas entendable pour nous tous, Français et Européens, qui serons condamnés à acheter et à consommer demain toujours plus de produits importés, tout en regardant disparaître notre agriculture, nos paysans, nos terroirs et nos paysages !
Au total, l’accord UE-Mercosur ferait peser un risque substantiel sur la sécurité des approvisionnements agricoles et la traçabilité alimentaire en Europe, portant de ce fait atteinte à la souveraineté alimentaire de l’Union et à la bonne information des consommateurs au sein du marché intérieur. Il est tout aussi contraire aux objectifs climatiques et de durabilité que s’est fixée l’UE et qui doivent guider notre politique commerciale. Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à cet accord.
Vous en conviendrez, Madame la Présidente, de tels enjeux économiques, sociaux, environnementaux et sanitaires ne sauraient être réglés avec quelques compensations financières transitoires. Alors que notre agriculture fait de véritables efforts pour satisfaire aux nouvelles exigences de la société, entraînant des coûts importants et des transitions parfois difficiles, ce dispositif financerait inévitablement la disparition d’un pan entier de nos sociétés en achetant le silence des derniers agriculteurs français et européens !
Nous n’imaginons pas que vous puissiez prendre l’initiative d’un vote au Conseil et au Parlement contre l’expression démocratique de la quasi-unanimité des parlementaires français.
Nous ne concevons pas non plus que la Commission et le Conseil s’assoient sur l’opposition de la France, grand pays fondateur de l’Union. Une telle situation générerait sans aucun doute une déflagration démocratique dans notre pays qui se trouve déjà sous la menace politique d’un populisme anti-européen.