Le 23 mai, j’ai eu l’honneur d’accueillir avec mes collègues Akli Mellouli et Yannick Jadot une délégation du peuple Kichwa au Sénat, conduite par Marisa Garcia, la dirigeante du peuple. Ce peuple autochtone péruvien (région de San Martin) était en visite en France pour faire connaître son combat contre les violations de leurs droits humains fondamentaux dans le parc national de Cordillera Azul.

Ce parc créé en 2001 par le gouvernement péruvien, distingué par un prix de l’Union internationale de conservation de la nature (IUCN) expulse en effet les peuples autochtones de leurs terres ancestrales au nom de la préservation de la biodiversité. Les Kichwa vivent pourtant en harmonie avec la faune et la flore locale depuis des siècles et leur présence ne pose donc pas de problème à la bonne santé de l’écosystème. Pourtant, les gardiens du parc repoussent violemment le peuple Kichwa à l’extérieur de la zone protégée de 13.000 km2, qui compte 130 villages.

Ce parc a par ailleurs été choisi par Total Energies pour « compenser” ses lourdes émissions de gaz à effet de serre et verdir son image à travers le mécanisme de crédits carbone. L’entreprise a en effet acheté pour 85 millions de dollars de crédits carbone dans le parc. Outre le fait qu’il ne s’agit pas de nouvelles plantations venant compenser des émissions, ce qui est un cas flagrant de greenwashing, cet achat a conduit à déposséder le peuple Kichwa de ses terres ancestrales.

Le gouvernement péruvien, malgré les droits qu’il garantit officiellement aux peuples indigènes, laisse faire et ignore les requêtes des Kichwa pour récupérer des actes notariés leur permettant de disposer de ces terres. Total Energies, malgré les alertes des Kichwa, n’a pas réagi. Pire : la répression peut être particulièrement violente, comme en témoigne la disparition dans des conditions très douteuses d’un des leaders Kichwa en 2023.

Avec mes collègues, nous avons donc apporté tout notre soutien au peuple Kichwa dans sa « résistance du cœur vert » et débattu autour de la notion de crédit carbone. Non seulement ces outils posent question car ils servent souvent d’excuses pour continuer à polluer massivement, mais ils contribuent en outre à expulser des peuples autochtones et à financiariser la nature. Avec mon collègue Yannick Jadot, rapporteur de la commission d’enquête sur TotalEnergies, nous avons aussi fait le lien avec ce que vivent d’autres peuples, notamment en Ouganda. Cette convergence entre peuples autochtones et activistes écologistes s’est d’ailleurs matérialisée par leur présence commune à une manifestation contre l’assemblée générale du groupe Total le lendemain à la Défense.

Le cas du peuple Kichwa n’est malheureusement pas isolé. J’ai ainsi eu l’occasion d’intervenir dans des dossiers similaires, notamment pour deux parcs naturels en Afrique, via des questions écrites au gouvernement, ainsi que d’accueillir une délégation du peuple Sarayaku. Concernant le peuple Kichwa, nous avons évoqué la possibilité de soutenir leur lutte en invoquant le devoir de vigilance des multinationales, récemment adopté par le Parlement européen, dont une partie prévoit la protection des droits des peuples autochtones.

Enfin, l’exemple des Kichwa démontre que, même avec les meilleures intentions du monde, le mécanisme de crédits carbone aboutit bien souvent à des résultats néfastes pour les peuples autochtones, et les entreprises qui y ont recours ont généralement peu de marges de manœuvre, si ce n’est de retirer leurs financements. Dans le cas de Total Energies, son absence de réponse aux demandes des Kichwas démontre son désintérêt pour leur sort. Mais pour d’autres entreprises ou citoyens sincères, la compensation ne remplacera jamais la non-émission. Pour prolonger mon travail sur ces thématiques et visibiliser ces luttes souvent occultées, je réfléchis aussi à organiser un colloque autour des peuples indigènes et des crédits carbone au Sénat.