Lors de la première lecture de la loi au Sénat du 16 au 18 mars dernier, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a vigoureusement exposé son opposition à cette proposition de loi liberticide. En ouverture du débat, je me suis prononcé en faveur de la motion de rejet préalable déposé par nos collègues communistes.

En effet, on pouvait espérer qu’une loi intitulée « sécurité globale » s’attelle :

– à améliorer les conditions de travail et la formation des policiers et à lutter contre le mal-être de nombreux agents ;
– à reconstruire la confiance abimée entre la France et sa police ;
– à exiger une police exemplaire qui protège en luttant avec fermeté contre toutes les dérives, même marginales, de violence, de racisme ou de sexisme.
– à créer une autorité indépendante de contrôle de la Police pour lutter contre l’impunité ;
– à revoir une doctrine de maintien de l’ordre qui trop souvent tue et mutile des manifestants ;
– à réinvestir les quartiers populaires en créant une véritable police de proximité.

Rien de tout cela. A la place, on nous propose :

– un désengagement massif de l’Etat qui se défausse de ses responsabilités sur les polices municipales et la sécurité privée, désengagement qui porte en germe un renforcement dramatique des inégalités territoriales ;
– une course à l’armement qui s’apparente à une véritable fuite en avant sécuritaire ;-
une dérive orwellienne de surveillance de masse, qui avec le funeste article 24 notamment, piétine les droits des individus et les libertés publiques au premier rang desquels la liberté d’informer et le droit de manifester.

Le renforcement des compétences des polices municipales, symptôme du désengagement de l’Etat :

Nous nous sommes opposés au transfert de nouvelles compétences de police judiciaire au polices municipales. Si nous comprenons que le développement de police municipale est une solution pour de nombreux maires qui font face au désengagement de l’Etat, nous considérons que cela ne peut pas représenter une solution satisfaisante.

L’usage de la force, « le monopole de la violence légitime » est une compétence régalienne de l’Etat qui ne peut se diviser entre d’innombrables décideurs. Un tel éclatement des compétences de police est source d’inégalités entre les territoires en fonction de leur ressources et de leur capacité à créer et doter une police municipale. La formation des policiers municipaux est disparate et hautement insuffisante (quelques mois seulement contre deux ans pour les policiers nationaux). Pour les polices armées les entrainements au tir sont trop rares. Le transfert de compétence sans moyens suffisant et sans formation adéquate est une fuite en avant dangereuse. Par ailleurs, de nombreux syndicats de police dénoncent à juste titre la différence de statut et de solde entre les policiers nationaux et les policiers municipaux. Le principe de bon sens à travail égal, salaire égal devrait pourtant s’appliquer. Ces syndicats demandent plutôt de créer une branche de la police nationale dédiée à des missions locales.

Je suis notamment intervenu dans le débat pour m’opposer à la possibilité pour les polices municipales d’interpeller des personnes en état d’ivresse. Ce n’est pas un acte anodin de priver quelqu’un de sa liberté, même temporairement et cela doit rester une compétence de l’Etat. Par ailleurs, ces missions sont potentiellement dangereuses et nécessitent une formation adéquate, inexistante aujourd’hui pour bien maitriser les techniques de modération et de désescalade et éviter que les situations se s’enveniment.

Loin de ce modèle de police municipale armée autonome d’inspiration américaine, nous considérons que les polices municipales doivent rester des polices de proximité, assurant la tranquillité du quotidien, luttant contre les incivilités et travaillant en lien étroit avec une police nationale justement répartie sur le territoire en fonction des besoins, pour apporter une fine connaissance du terrain.

Dans la méme logique, nous nous sommes également opposés au recours massif à la sécurité privée, une autre forme de fuite en avant.

Nos combats contre la surveillance de masse :

Plusieurs articles de ce texte renforçait le recours à la vidéosurveillance et à l’utilisation des techniques de reconnaissance faciale par les « caméras-piétons » des policiers, les caméras embarquées des véhicules de police et, plus problématique encore, par les drones.

S’agissant de l’article 21, portant sur les caméras-piétons, nous avons exigé un strict encadrement de leur usage à travers deux amendements. D’une part, nous avons affirmé que ces caméras devaient avoir pour objectif premier la prévention des violences policières. D’autre part, nous proposions d’interdire l’utilisation de logiciels de reconnaissance faciale et les interconnexions automatisées de données pour ces caméras-piétons, comme pour les caméras embarquées (article 22 bis) des véhicules de police (le Sénat l’ayant interdit pour les drones) Plus largement, nous avons proposé un moratoire pour interdire durant deux ans toute utilisation de logiciel de reconnaissance faciale dans l’espace public le temps de l’expertise et surtout le temps d’un débat public digne de ce nom :

De même, nous nous sommes prononcés contre l’article 22 prévoyant l’utilisation de drones pour des opérations de surveillance. Faute d’avoir pu supprimer l’article, j’ai tenté, sans plus de succès, de sanctuariser les images de domiciles et d’espaces privés en dehors de leur utilisation par les pompiers et la protection civile. J’ai également tenté de faire interdire l’usage des drones pour surveiller les manifestations :

J’ai aussi dénoncé l’usage des drones pour surveiller les frontières. En rappelant l’exemple de la frontière franco-italienne, j’ai expliqué qu’il s’agit d’une surenchère inutile, coûteuse, inhumaine et dangereuse :

Cela m’a valu une passe d’arme avec le ministre de l’Intérieur qui n’apprécie que les parlementaires écologistes tentent de faire respecter le droit à la frontière franco-italienne.

Les débats au Sénat ont été désespérants et auront uniquement permis d’interdire l’utilisation des techniques de reconnaissance faciale pour les drones. Pour le reste, la droite et le centre agissent de concert et sans aucune hésitation pour nous faire glisser petit à petit vers la dystopie orwellienne. Big brother n’est plus très loin…

Le Sénat réécrit l’article 24 :

L’article 24 qui bride de manière scandaleuse la liberté d’informer a été réécrit par le Sénat. Le nouveau dispositif insère dans le Code pénal une nouvelle infraction dans la section relative à la protection de la vie privée, la provocation à l’identification d’un policier, gendarme ou policier municipal, ou d’un membre de leur famille. La rédaction de ce nouveau dispositif proposé est juridiquement bancale et tellement floue qu’elle laisse toujours une latitude importante pour réprimer tout comportement visant à dénoncer des actes commis par les forces de l’ordre et donc à limiter la contestation au profit d’un pouvoir de police fort et indiscutable.

Aussi, nous avons demandé, par l’intermédiaire de ma collègue Madame Esther Benbassa, la suppression de l’article 24 et avons soutenu la proposition du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste de transformer celui-ci en empêchant les policiers de s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission.          

Lutte contre les violences policières :

Alors que ce texte ne prévoit rien pour lutter contre les violences policières et reconstruire la confiance entre la population et sa police. Nous avons essayé d’amener le débat sur ce terrain.

Nous sommes opposés ’ à l’extension du port d’armes par les forces de l’ordre hors-service. Nous avons aussi demandé l’interdiction de l’usage des lanceurs de balles de défense pour les opérations du maintien de l’ordre. J’ai enfin interpellé le ministre pour demander l’interdiction des plaquages ventraux (qui n’est pas du ressort de la loi et donc du Parlement) ; il n’a pas daigné me répondre…

* * *

Le Sénat majoritairement à droite a naturellement rejeté la quasi-totalité de nos propositions et a encore aggravé le caractère liberticide de cette loi et nous avons résolument voté contre cette proposition de loi. Je vous assure de notre détermination à poursuivre ce combat et, avec nos collèges de gauche, nous saisirons vraisemblablement le Conseil constitutionnel à l’issue de la navette parlementaire.