Retrouvez mon intervention au nom du groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires lors du débat demandé par le Gouvernement sur l’avenir de l’Ukraine et de la sécurité de l’Europe :

Monsieur le Président,

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mes chers collègues,

Il est des moments de l’Histoire qui sidèrent le monde, des moments où chacun se souvient où il était et ce qu’il faisait.

Le vendredi 28 février 2025 était indubitablement l’un de ces moments où l’Histoire s’écrit au présent.

Le 28 février, chacun a pu constater l’effondrement, en germe depuis des années, de l’ordre international issu de la guerre froide, du multilatéralisme, du droit international.

Le 28 février, chacun a pu mesurer le glissement de la plus vieille démocratie du monde vers l’autoritarisme et le fascisme. Certains refusaient de le voir, ils sont tombés de leurs chaises. D’autres, dont nous faisons partis, l’annonçaient, ils ont tout de même reçu la violence de cette scène comme un coup poing à l’estomac.

Le 28 février, chacun a pu pleurer les valeurs de démocratie et de liberté abandonnées par l’un des pays qui les avaient érigées en principe d’existence.

Permettez-moi de remarquer que les fascistes au pouvoir appliquent des politiques fascistes.

La leçon vaut pour notre pays : lorsque l’on banalise les partis et idées fascistes, lorsqu’on brocarde le droit et qu’on piétine la fraternité, on prépare l’effondrement d’une autre démocratie historique.

Les Etats-Unis d’Amérique seront-ils encore une démocratie en 2028 ? Quelle que soit la réponse, cela change désormais peu de choses pour l’Europe. Au mieux, Washington n’est plus notre allié, au pire elle nous sera hostile. Le vertige saisit en prononçant ces mots. Mais si l’humiliation du héros Volodymyr Zelensky orchestrée par les médiocres ventriloques de Poutine peut servir d’électrochoc à l’Union européenne, alors nous n’aurons pas tout perdu.

L’extraordinaire dignité du président ukrainien, comme son extraordinaire courage depuis le premier jour de l’agression russe doivent être notre boussole collective.

Notre boussole pour bâtir enfin, au pied du mur comme à la désolante habitude, l’Europe puissance à même d’assurer sa sécurité collective. Une Europe de la Défense, pour la défense de ses valeurs, pour la défense de ses intérêts.

Ne nous y trompons pas. Ce qui est attaqué par la Russie et désormais par les Etats-Unis c’est le principe même de l’Union européenne : une coopération d’Etats reposant sur le droit, la démocratie et la liberté. Ce qui est attaqué c’est le potentiel politique et économique de notre Union. Pour résister à la vague des impérialismes américains, chinois et russes, nous n’avons pas d’autre alternative que d’opérer un indispensable saut fédéral. Unie l’Europe est en mesure de peser dans ce nouveau désordre mondial pour tenter de préserver ce qui peut encore l’être du droit international. Désunie elle est condamnée à l’impuissance voire à la dislocation si les ambitions russes ne rencontrent pas de digue.

A tous nos compatriotes, dont nous entendons l’inquiétude face à cet engrenage militaire qui semble implacable, nous écologistes, famille politique portant le pacifisme au cœur de son histoire et son projet, affirmons que malheureusement aucune paix ne sera atteignable dans un monde régi par les rapports de force entre les empires et qu’il nous faut consentir à ce rapport de force pour préserver notre sécurité, nos valeurs et nos idéaux. Nous avons construit l’Europe pour éviter la guerre, mais il nous faut désormais préparer l’Europe face au risque de guerre.

La position française de renforcer l’autonomie stratégique du continent et la position historique des écologistes de bâtir une Europe de la Défense trouvent aujourd’hui un nouvel écho. Nous appelons néanmoins l’exécutif français à se garder de tout triomphalisme et à remiser notre penchant national pour la vanité. Cette même vanité qui a conduit à croire qu’on pouvait raisonner Poutine et Trump. La période commande la modestie.

Nous souscrivons à la nécessité de renforcer nos arsenaux, à l’exclusion des dépenses militaires des critères des Maastricht, comme à la volonté d’un emprunt commun. Mais nous insistons sur la nécessité d’intégrer d’avantage nos dépenses militaires notamment nos achats pour réaliser des économies d’échelle. En ce sens, la première mouture présentée par la Commission prévoyant plus de 80 % d’efforts réalisés par les Etats ne nous satisfait pas. Nous devons évaluer nos besoins pour y répondre plutôt que de raisonner avec le seul et imparfait ratio budget de dépense/PIB.

Alors que l’effort national pour la Défense atteint déjà 15 % du budget général et est amené à s’amplifier, nous demandons que « l’économie de guerre » brandie par le président, se matérialise par un patriotisme fiscal bien plus important des plus fortunés. Il ne sera pas supportable d’accroitre nos dépenses militaires à budget constant. Sacrifier nos services publics sur l’autel de notre Défense conduirait la France au même destin électoral que les Etats-Unis.

Développer notre arsenal militaire pour le laisser entre les mains de dirigeants fascistes est un écueil que nous devons impérativement éviter. Ce qui vaut pour la France vaut naturellement pour toute l’Union européenne, qui doit préserver et amplifier ses politiques sociales.

Nous entendons l’appel à élargir le parapluie nucléaire français au reste du continent, jugeons que ce débat est une composante importante de notre future architecture de Défense commune et partageons les propos du président de la République, comme de ces prédécesseurs, affirmant que les intérêts vitaux de la France sont nécessairement des intérêts européens.

Nous alertons cependant sur la nécessité de conserver le cadre du Traité de non-prolifération et ne pas nous livrer à une course aux ogives aussi dispendieuse que dangereuse. Nous affirmons enfin que de futures négociations de paix avec Russie devront réenclencher le processus de désescalade des arsenaux nucléaires.

Mais l’autonomie stratégique européenne n’est pas qu’une question militaire.

Elle nécessite de diminuer drastiquement notre dépendance aux énergies fossiles et au engrais azotés russes. En premier lieu le GNL, sur lequel le Sénat recommande un embargo – et l’uranium enrichi par la Russie. Au passage, Monsieur le Premier ministre, est-ce bien le moment de courir à l’incident diplomatique avec l’Algérie alors que nous cherchons à nous passer du gaz russe qui faut couler le sang ukrainien et du gaz azéri qui fait couler le sang arménien ?

L’économie de guerre est donc indissociable d’une écologie de paix. Il est impératif de préserver le Pacte vert et de sortir également les investissements écologiques des critères de Maastricht.

Il nous faut aussi poursuivre l’effort pour mettre à bas les vecteurs de désinformation, de propagande fasciste et d’influence russe au premier rang desquels le réseau social X.

Le défi de l’autonomie européenne est colossal mais nous avons les moyens de nos ambitions.

Pour l’heure, notre urgence c’est la défense de l’Ukraine.

A son peuple combattant, à son peuple sous les bombes, à son peuple en exil nous réitérons l’expression de notre plein et entier soutien et de notre pleine et entière admiration à défendre leur liberté et la nôtre.

Nous appelons au renforcement de notre soutien militaire et financier pour compenser le désengagement américain et à sa poursuite aussi longtemps qu’il le faudra.

Ne soyons pas leurrés par le triomphalisme de Poutine. La position russe n’est pas confortable et nous devons poursuivre son affaiblissement international comme national. C’est une condition sine qua none de la construction d’une paix durable.

En tout état de cause, nous exigeons qu’aucun accord de cessez-le-feu et a fortiori de paix ne soit conclu sans l’accord des représentants du peuple ukrainien et sans la participation de l’Union européenne.

Tout accord de cessez-le feu devra inclure la libération de tous les prisonniers de guerre et civils ukrainiens détenus dans les prisons russes et exiger le retour des enfants Ukrainiens déportés.

Nous réitérons notre exigence de traduire Vladimir Poutine devant la justice internationale et de respecter toutes les décisions de la Cour pénale internationale, notamment celle visant le Premier ministre israélien d’extrême droite. Aucun double standard n’est plus toléré. Or si l’Europe s’érige pour résister aux impérialismes c’est pour faire prévaloir le droit, la paix et pour être pour être un point de repère et un appui pour l’ensemble du monde libre.

La tâche est considérable. Les actes doivent suivre les mots dès le sommet européen de jeudi que nous espérons à la hauteur du moment historique.

Crédit photo : Richard Bell