Je suis intervenu cet après-midi lors du débat sur une proposition de loi sénatoriale scandaleuse qui vise à réintroduire les rabais sur les pesticides, réintroduire les néonicotinoïdes tueurs d’abeille, supprimer l’indépendance de l’Agence de sécurité environnementale et sanitaire, affaiblir la consultation du public, accaparer l’eau au profit de l’irrigation…
Je me suis opposé à cette proposition de loi rétrograde qui pense aider les agriculteurs mais ne ferait qu’aggraver la crise agricole avec de fausse solutions court-termistes, sans traiter aucun sujet de fonds : protéger les revenus des agriculteurs, lutter contre la concurrence déloyale, favoriser l’installation, adaptation au dérèglement climatique, protéger l’eau et la biodiversité etc
Merci Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Monsieur le Rapporteur,
Mes chers collègues,
Mes chers collègues Duplomb et Ménonville, je vais certainement vous étonner mais je suis d’accord avec vous. L’agriculture, le monde paysan vont mal !
– dix millions d’actifs en 1945, à peine 500 000 aujourd’hui,
– des revenus très inégaux et insuffisants,
– un endettement qui ne cesse de s’accroitre,
– une dépendance au produits phytosanitaires qui augmente,
– une concurrence déloyale orchestrée par les traités de libre-échange,
– des exploitations qui grossissent au détriment de la vitalité de nos communes rurales,
– une incapacité à s’adapter et se protéger face au changement climatique et au crises sanitaires qui se succèdent, etc
En quelques décennies nous avons rendu notre agriculture paysanne et locale dépendante, dépendante d’autres puissances, dépendante des marchés financiers, dépendante de la crise énergétique. De perte de repère en perte de sens nous nous sommes perdus.
Tel est le bilan de 70 ans de politiques agricoles au service de la productivité coute que coute, au service de l’agro-business, au service des firmes pharmaceutiques, au service des banques, des spéculateurs mais certainement pas au service de nos paysans, de la terre, de l’eau et de ce qui nous fait vivre.
Tel est le bilan d’orientations dictées depuis toutes ces années par le syndicat majoritaire plus attaché à développer les bio-carburants, l’exportation bas de gamme que de répondre au mal-être et à la détresse des agriculteurs.
Mes chers collègues Duplomb et Ménonville, je vais encore vous étonner mais je partage – ou plutôt je pensais partager – autre chose avec vous, le bon sens paysan.
A la fois l’humilité face à la nature, le respect de la terre et du vivant, l’exigence aussi et le rapport au terroir. Travailler la terre ce n’est pas rien. Faire du bon, avoir du sens en lien avec le pays devrait être notre boussole.
Mais permettez de vous dire, chers collègues Duplomb et Ménonville, qu’avec ce texte caricatural, loin du bon sens paysan vous vous transformez en Docteur Folamour de l’agriculture.
Pourquoi vous en prendre à ce point à la terre, à l’eau, au vivant, à l’essence même du métier de paysan ? Ce texte mériterait d’être dénoncé à la cellule Demeter pour agribashing et mise en danger de la vie d’autrui.
Hier vous vous attaquiez à 61 200 fermes en bio, 2,76 millions d’hectares en proposant et obtenant avec l’aval de la ministre la suppression de l’Agence bio. Encore un contre-sens et une insulte à des milliers de paysans. Même la FNSEA ne vous suit pas
Pensez-vous réellement que c’est rendre service à nos agriculteurs de réautoriser les promotions sur les pesticides et d’affaiblir l’ANSES ? Combien de temps allez-vous faire perdurer ce mensonge sur la dangerosité des pesticides ? Combien de temps assumerez vous d’exposer nos agriculteurs au cancer de la prostate, à Parkinson, à l’infertilité et à d’innombrables maladies ?
Le Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides traite plusieurs centaines de dossier par an. Ces images terribles d’agriculteurs découvrant chez le médecin que leur métier les empoisonne ne vous interpellent pas ?
Mes chers collègues, pourquoi vous en prendre à ce point aux apiculteurs en réautorisant les néonicotinoïdes ? L’Union nationale des apiculteurs français vous interpelle directement:
« Soutenir ce texte, c’est également porter un coup à l’apiculture française. Les apicultrices et apiculteurs français, qui ont de plus en plus de difficultés à subsister économiquement, seront fortement impactés par une telle réautorisation (…). L’apport de l’apiculture à l’agriculture représente jusqu’à 5 milliards d’euros rien que pour le service de pollinisation. »
Mes chers collègues, pensez-vous sincèrement qu’en autorisant l’épandage par drone vous rendez service à nos agriculteurs ? Pensez-vous les aider en aggravant leur dépendance à des technologies onéreuses à l’efficacité non démontrée et en aggravant leur endettement ?
Mes chers collègues, pensez-vous vraiment aider les paysans en favorisant l’effondrement de la biodiversité, l’empoisonnement et l’accaparement de l’eau ? Dans un monde où l’eau potable se raréfie, où les sécheresses se multiplient pensez-vous sérieusement que nous devons, que nous pouvons, continuer irriguer davantage ? Madame la Ministre, à quoi va servir la conférence sur l’eau promise par le Premier ministre si cette proposition de loi confiscatoire est adoptée préalablement ?
Mes chers collègues, pensez-vous aider les paysans en détruisant toute la démocratie environnementale et ce qu’il reste de concertation et de consultation du public préalable à l’installation de la plupart des activités économiques qui impactent inévitablement nos territoires et nos lieux de vie ?
Mes chers collègues, il est encore temps de faire appel à votre bon sens paysan. A celui qui écoute la nature, son évolution, celui qui sait s’adapter, ce bon sens qui fait que l’agriculture a traversé des millénaires en conservant une terre fertile que nous venons de mettre à mal quelques décennies. Il est encore temps de renouer avec la logique de René » Dumont: « Regardez bien votre vache, c’est un animal extraordinaire; elle a une barre de coupe à l’avant, et un épandeur à l’arrière. Si vous flanquez cet animal dans le milieu d’un pré, elle fait le travail toute seule. »