Suite aux propos absurdes du Président de la République sur la présence du loup et son impact sur les activités pastorales le 3 juillet dernier, j’ai rédigé, avec mes collègues écologistes Jacques Fernique, Yannick Jadot, Guy Benarroche et Daniel Salmon un courrier au chef de l’Etat. Alors que les discours pronant une lutte féroce, voire une éradication du loup, reviennent en force depuis quelques années, j’ai souhaité rétablir certains faits et appeler au contraire à un meilleur accompagnement des éleveurs. J’ai déjà eu l’occasion de travailler sur ce sujet à de nombreuses reprises et je continuerai de le faire, mais il nous fallait répondre à cette prise de parole, qui nous semble totalement en décalage avec la réalité.
Voici le courrier que nous lui avons transmis :
Monsieur le Président,
Jeudi 3 juillet dans l’Aveyron, vous avez prononcé un certain nombre de propos surprenants, voire complètement erronés s’agissant de la prédation du loup et de la cohabitation de l’espèce avec les activités pastorales.
Qu’il soit ici bien entendu que personne ne nie les difficultés qu’engendre la présence lupine pour les éleveuses et éleveurs. Difficultés qui viennent s’ajouter à de nombreuses autres : crise des vocations, difficulté d’installation, rémunération parfois insuffisante, calcul incohérent des subventions de la politique agricole commune (PAC), impact délétère des traités de libre-échange, partage de la montagne avec d’autres activités, gestion des ressources naturelles et en particulier de l’eau, etc.
La cohabitation entre ce modèle d’élevage extensif vertueux, indispensable à nos montagnes, et le loup, essentiel pour l’équilibre des écosystèmes notamment forestiers, reste encore à parfaire. Le sujet est suffisamment complexe pour ne pas autoriser de solutions simplistes.
Aussi nous recevons avec une grande circonspection votre bravade : « On ne va pas laisser le loup se développer et qu’il aille dans des massifs où il est en compétition avec des activités qui sont les nôtres ». Sachant que le loup est présent, de manière permanente ou en dispersion, dans tous les massifs de France, sachant que les Alpes concentrent la majorité de l’activité pastorale française tout en accueillant depuis trois décennies 80 à 90 % de la population lupine française, doit-on comprendre de votre propos que vous portez l’ambition d’un autre siècle d’éradiquer le loup du territoire national, en totale violation du statut d’espèce protégée que lui confère la Convention de Berne ?
Ce propos est d’autant plus problématique que la population lupine est en baisse depuis 2023 et que l’état de conservation de l’espèce n’est pas pleinement assurée. Nous vous rappelons que le seuil critique à partir duquel les scientifiques estiment que la conservation d’une population est démographiquement et écologiquement viable correspond à 500 adultes potentiellement reproducteurs sur le territoire national et non à 500 individus, comme cela a souvent été dit ces dernières années, y compris par les ministres successifs chargés du dossier (voir à ce sujet l’avis du Conseil national de protection de la nature sur les projets d’arrêtés de 2023 fixant le nombre de loups dont la destruction est autorisée chaque année).
Prétendre “confiner” les loups dans les massifs qui n’accueillent pas d’activité de pastoralisme n’a pas plus de sens. Un tel isolement est parfaitement impossible, à moins de transformer ces massifs en zoos, puisque le loup est une espèce qui occupe de vastes territoires et se déplace naturellement sur de grandes distances. C’est d’ailleurs cette spécificité écologique qui explique son retour naturel en France, par le massif des Alpes, à la fin du XXème siècle.
En effet, comme vous le savez parfaitement, aucune réintroduction de loup n’a été effectuée en France. Son retour est exclusivement dû à une dispersion naturelle, principalement depuis les populations italiennes. Vous avez pourtant affirmé le contraire en évoquant “un truc qu’on a réintroduit”. Il nous semble particulièrement grave de diffuser ainsi de fausses informations qui alimentent les thèses complotistes propagées par les opposants les plus virulents au loup, en particulier dans les partis et les syndicats d’extrême droite. Un tel propos n’est pas à la hauteur de votre fonction et nécessite un correctif immédiat de votre part.
De plus, l’efficacité des tirs dits “de prélèvement”, qui visent souvent à réduire le nombre de loups et non à répondre à des problématiques précises de prédation, font l’objet de débats parmi la communauté scientifique. La thèse réalisée par Oksana Grente, Understanding the depredation process in grey wolf (Canis lupus) and its interactions with lethal measures: focus on the French Alpine Arc, 2021, montre des effets très contrastés des tirs létaux sur la prédation. Dans sa note de position sur le projet de Plan National d’Actions 2024-2029 sur le loup et les activités d’élevage, le Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) estime que les tirs létaux doivent “nécessairement s’appuyer sur les connaissances objectives concernant l’effet de ces tirs sur les populations de loups et sur les niveaux de prédation qui en résultent pour les troupeaux”. Ce n’est toujours pas le cas. Pour le dire autrement, des tirs de prélèvement qui viendraient désorganiser une meute établie capable de chasser des animaux sauvages pourraient avoir un effet totalement contre-productif et accroître le nombre d’attaques au lieu de les faire diminuer…
Quoiqu’il en soit, éliminer des loups reste un exercice délicat. Le directeur de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS (devenu OFB), estimait qu’aux 37 prédateurs prélevés en 2017 correspondaient 1 240 autorisations de tir délivrées par les préfets. La question des autorisations de tir ne peut en aucune façon constituer la seule réponse du Gouvernement aux enjeux de la cohabitation. Ainsi, ce sont plus de 200 loups, sur une population d’un millier d’animaux qui ont été abattus en 2023 avec une efficacité toute relative sur les actes de prédation. Ce n’est nullement rendre service aux activités pastorales que de laisser penser que les seuls tirs de prélèvement constituent une protection suffisante.
À ce sujet, nous nous interrogeons également sur vos propos concernant les moyens de protection des troupeaux financés par l’État. Vous dénoncez leur coût pour les finances publiques et leur supposée absence d’efficacité, ce qui va à l’encontre des expertises menées sur le sujet et des retours de terrain. Devons-nous craindre de nouvelles coupes budgétaires alors qu’il conviendrait au contraire de renforcer les moyens du Plan National d’Actions sur le loup et les activités d’élevage ?
Il faut au contraire renforcer l’accompagnement public des éleveurs et éleveuses pour leur permettre de se protéger, en particulier en améliorant la prise en charge des chiens de protection (ainsi que leur accompagnement).
Il faut déployer dans chaque massif des « brigades loup » composées d’agents de l’OFB qui, si elles réalisent des tirs prélèvement, ont également pour mission d’améliorer la connaissance de l’espèce et son comportement sur le territoire.
Il est par ailleurs indispensable de développer des modes de protection alternatifs (en s’adaptant aux spécificités locales) et de tester de nouvelles techniques d’effarouchement, telles que les tirs non létaux.
Il faut soutenir et développer les expérimentations locales prévues par le PNA en faveur de la cohabitation comme celle du Parc naturel régional du Vercors qui demande, sans succès depuis huit ans, le soutien de l’État.
Il faut renforcer drastiquement la recherche sur l’éthologie du prédateur que l’on connaît insuffisamment et rappeler tous les bénéfices que sa présence procure aux ecosystèmes, notamment la régénération des forêts grâce à la régulation des surpopulations de gibier.
C’est le projet le plus équilibré, le plus efficace et le plus honnête à proposer à nos éleveurs et éleveuses. C’est le moyen le plus sûr pour sortir des postures en agissant sans attendre afin de préserver le pastoralisme.
Voilà, Monsieur le Président, le contenu d’une politique à même d’assurer une cohabitation entre le loup et le pastoralisme, politique qui doit s’accompagner d’un effort global sur les défis du pastoralisme.
Nous nous tenons à votre disposition pour vous apporter davantage de précisions et permettre d’avancer sur le sujet de manière constructive, sans fausses solutions ni caricatures éculées.
Nous vous prions de croire à l’expression de notre haute considération.
Image en une : Pixabay