Le 30 octobre, le Sénat adoptait, après l’Assemblée nationale, le texte de loi de programmation et de la recherche présenté par le gouvernement à 249 voix pour et 92 contre.  Le choix d’examen de ce texte, pourtant crucial, en procédure accélérée n’est pas digne des enjeux auxquels la recherche et l’enseignement supérieur doivent faire face.

Nous aurions pu nous réjouir d’une nouvelle loi ambitieuse pour nos laboratoires et nos universités annoncée par notre ancien premier ministre Edouard Philippe le 1er février 2019. L’enjeu est de taille : l’effort du budget de la recherche en France n’a pas évolué depuis plus de trente ans. La contribution publique à la recherche n’atteint actuellement pas les 0,8 % du PIB, quand elle devrait être à 1 %.

Manque de moyens, précarité universitaire et j’en passe, nous avions besoin d’une réforme juste et adaptée au secteur de la recherche. Mais le projet de loi défendu par  la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, est très loin des ambitions de départ.  

Mobilisée et en colère, la communauté scientifique et universitaire a d’abord condamné une fausse promesse budgétaire. La contribution publique aux dépenses de recherche et développement devait permettre d’atteindre enfin les 1% du PIB pour hisser notre pays à la hauteur de enjeux européens et internationaux.  

Un objectif avancé par le Gouvernement mais fondé sur de faux calculs. C’est ce qu’a montré la députée Valérie Rabault (socialistes et apparentés) en défendant une motion, confirmée par ailleurs par le CESE le 22 septembre : le budget de 25 milliards alloués sur dix ans est un leurre. Il ne prend pas en compte les années de sous-investissements qui précédent et l’inflation de celles qui nous attendent. De plus, cet effort financier ne débutera réellement qu’en 2023, soit lors d’une prochaine mandature.

Cette loi était aussi l’occasion de rompre avec des coupes budgétaires à répétition et le recours à outrance des contrats courts et instables. Pourtant, si elle prévoit bien de nouveaux types de contrat de recrutement pour les professeurs ou les directeurs de recherche, ils sont loin d’être avantageux. Le nom de ces nouveaux avatars de la précarité ? Les chaires juniors, sorte d’embauche conditionnelle après un CDD de trois à six ans. Des contrats doctoraux de droit privé ainsi que des CDI de mission scientifique censés remplacer les CDD à répétition complètent le tableau.

En réalité donc, ces « nouveaux contrats » ne sont qu’une copie des CDD précaires que l’on connaissait déjà. La précarité a simplement changé de nom.

Nous aurions tout de même pu espérer que, pour le moins, elle garantisse l’indépendance et la stabilité des centres de recherche. Mais, là encore, la formule choisie est loin d’être cohérente. En effet, à une augmentation des crédits récurrents attribués aux laboratoires et équipes de recherche lui est préférée une recherche ciblée sur des thématiques déterminées par des appels à projets.

Désormais donc, la recherche ne sera plus encadrée par le service public mais par des partenariats avec les entreprises et cela, pour répondre à leur besoin essentiellement. Et cette situation ne fera que croître la concurrence entre universités et centres de recherche aux dépends des universités de villes moyennes.

Cette loi est loin d’être passée inaperçue auprès du CESE, du Conseil d’Etat ou du Haut conseil à l’égalité qui ont tout trois, émis des réserves. Le CESE a insisté, notamment, sur le manque d’emplois prévus par cette loi. Quand celui-ci préconise la création de 5 000 emplois par an pendant cinq ans, le projet de loi, lui, en prévoit seulement 5 200 en 2030.

Enfin on peut regretter que, parmi toutes ces annonces, certaines ne soient tout bonnement pas détaillées. L’augmentation des salaires ou des dotations aux laboratoires (+10%) ne sont même pas inscrites dans la loi. Le budget de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) qui gère ainsi l’ensemble des appels d’offre, fait exception. 

Et ce n’est pas tout. Le projet de loi prévoit également toute une série d’ordonnances sur des thématiques dont le lien avec la recherche est plus que discutable. On retrouvera ainsi la question des OGM, les semences rendues tolérantes aux herbicides ou encore la propriété intellectuelle. Englober de cette façon l’ensemble de ces sujets dans une même loi est donc profondément anti-démocratique : ces thématiques doivent être discutées pour une décision juste et équitable.

La ministre a beau jeu de vouloir rendre à la recherche française l’excellence qu’elle mérite, nous sommes sceptiques.

Quant au débat parlementaire ? Le passage en procédure accélérée questionne ici l’existence d’un véritable débat démocratique. Il y a eu ici, une volonté claire de faire passer cette loi le plus vite possible avec, en prime, des « fins de non-recevoir » pour la quasi-totalité des amendements proposés par les groupes parlementaires opposés au texte. Pour notre groupe Écologistes – Solidarité et Territoires, ce sont ainsi 24 amendements qui ont été déposés et rejetés.

La majorité sénatoriale a réussi à aggraver le texte en faisant adopter deux amendements.

Le premier s’attaque à l’instance nationale qui gérait jusqu’ici efficacement les recrutements des enseignant.es chercheur.es. Cette instance, appelée Conseil National des Universités (CNU), permettait de traiter de manière équitable l’ensemble des candidatures sur tout le territoire. Les universités pouvaient ensuite se saisir des dossiers afin de recruter elles-mêmes les enseignant.es dont elles avaient besoin.

Cette instance a été tout bonnement supprimée, sans concertation du CNU, ou bien du CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche).

Deux conséquences à cela : les enseignant.es chercheur.es voient leur statut de fonctionnaire d’état grandement menacé ; la suppression du CNU sous-entend également un traitement inégal entre candidats et territoires au moment du recrutement. En effet, désormais, les universités, seules, décideront des conditions de recrutement.

Le second est encore plus préoccupant. La commission mixte paritaire, saisie le 4 novembre dernier afin que députés et sénateurs se mettent d’accord sur un texte commun, est venue, au dernier moment, adopter un nouvel article en élargissant l’application d’un amendement proposé par un sénateur UDI. Celui-ci pourrait rendre illégale toute occupation d’université, y compris dans le cadre d’un mouvement social puisqu’il condamne « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur […] dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ». Les risques encourus : un an d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende ; et si le « délit » est commis en réunion (ce qui est presque toujours le cas), la peine passe alors à trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.

Ce dernier rebondissement nous alarme et nous ne sommes pas les seuls : les sénateurs du groupe socialiste annoncent un recours devant le Conseil constitutionnel. Espérons que celui-ci annule cet article puisque, historiquement, nos universités ont toujours été un lieu de discussion, de surveillance et de contestation de décisions gouvernementales autoritaires.

Ainsi cette loi engage l’avenir de l’enseignement supérieur et la recherche  pour les dix prochaines années et les conditions de son application importent. Nous avons besoin d’une recherche solide qui, en France, nécessite effectivement des rectifications et une réforme à grande échelle. Au-delà, c’est d’un véritable débat parlementaire dont nous avons besoin, ainsi que d’un dialogue avec les professionnels du secteur. Pour le moment, ce sont concurrence, compétition, précarité et atteinte à la liberté d’expression qui se profilent. La vigilance reste de mise jusqu’au 17 novembre.