Le 10 avril, le Sénat discutait d’une proposition de résolution pour un soutien à une opération sous le contrôle de l’ONU à Haïti. La situation catastrophique de ce pays et la déliquescence de son régime politique implique une réaction forte de la communauté internationale pour faire cesser le règne des gangs et acheminer l’aide humanitaire. Cependant, notre histoire avec Haïti, marquée par la colonisation, l’esclavage, l’imposition d’une dette illégitime et le soutien à la dictature des Duvalier, nous invite à être en retrait dans ce processus. J’ai donc soutenu la résolution, qui délègue ce rôle au Kenya, sous la supervision de l’ONU.
Vous retrouverez cette intervention ci-dessous en format vidéo et en format texte :
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
La situation d’Haïti est catastrophique sur tous les plans. En matière socio-économique d’abord, Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques depuis des décennies et 36% de la population survit avec moins de deux dollars par jour. Le pays est régulièrement frappé par des catastrophes naturelles, avec de très forts séismes en 2010 et en 2021, des ouragans et des inondations. A chaque catastrophe, les morts se comptent par milliers et les services publics se retrouvent en lambeaux. La santé des Haïtiens s’en trouve très impactée : la mortalité infantile et maternelle reste élevée, la faim est omniprésente et le choléra fait des ravages.
Face à une telle crise humanitaire, la vie politique haïtienne est dans un chaos total. Depuis 2020, le pouvoir législatif a cessé de fonctionner avec la fin du mandat de l’ensemble des députés, puis des sénateurs. L’année suivante, le Président haïtien Jovenel Moïse a été assassiné dans un contexte de guerre des gangs, de trafic de drogues et de corruption généralisés. Plusieurs millions de dollars étaient ainsi cachés dans la chambre du Président Moïse. Depuis deux ans, il n’y a plus aucun élu en fonction à Haïti. La légitimité du Premier ministre par intérim, Ariel Henry, nommé 48 heures avant ce meurtre, est extrêmement faible.
L’Etat haïtien est donc en déliquescence totale. Mais la nature a horreur du vide. Sans État, ce sont les mafias qui prennent le relais, assurant une sécurité toute relative en contrepartie d’un racket de la population. De nombreux groupes armés se disputent le territoire et s’affrontent pour le contrôle du trafic de drogue vers les Etats-Unis. La violence est endémique : l’an dernier, plus de 5600 personnes ont été tuées, plus de 2200 blessées et près de 1500 kidnappées. Port-au-Prince, la capitale, détient ainsi le macabre record de la ville la plus violente au monde. 1 million d’Haïtiens ont dû fuir leur logement face à ce climat de terreur.
Soyons clairs : cette situation ne peut plus durer. Le règne des gangs et le dénuement des Haïtiens mérite toute l’attention de la communauté internationale. La délibération du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies du 2 octobre 2023, qui a donné naissance à la Mission multinationale d’appui à la sécurité, la MMAS, est un premier pas positif.
Comme souvent dans l’histoire d’Haïti, la France et les Etats-Unis ont été les plus actifs dans ce processus. Les Etats-Unis apportent notamment un soutien financier, logistique, de renseignement, de personnel et de matériel militaire. Mais l’histoire des relations d’Haïti avec la France et les Etats-Unis est si tragique que ces deux nations ont perdu toute légitimité pour prétendre résoudre les problèmes de l’ancienne Saint-Domingue.
Longtemps sous domination française, la perle des Antilles s’est libérée du joug de l’esclavage à partir de 1791, puis est devenue indépendante en 1804. Cette libération portée par Toussaint Louverture et les Jacobins noirs a envoyé un message d’espoir au reste du monde colonisé et nous a rappelé que la Révolution française n’est pas complète si elle ne s’applique pas aussi aux esclaves et aux colonisés.
Malheureusement, la France monarchiste de Charles X obligea ensuite les esclaves à rembourser leurs anciens maîtres en menaçant Port-au-Prince avec la flotte royale. Cet épisode honteux de l’histoire française, dont nous commémorerons dans quelques jours le bicentenaire, est totalement oublié chez nous. Il ne l’est pas à Haïti, qui a consacré 80% de son budget au remboursement de cette dette illégitime pendant 122 ans.
Depuis, le soutien de la France et des Etats-Unis à la dynastie des Duvalier, de sanguinaires dictateurs qui ont ruiné le pays pour s’enrichir, a achevé de plomber notre réputation en Haïti. La France a également hébergé “Baby Doc”, le fils Duvalier, durant 25 ans, alors même qu’il était recherché pour crimes contre l’humanité. Avec un tel passif, autant dire que la population haïtienne n’attend pas grand chose de la France.
Ainsi, il est positif que la MMAS, chargée de rétablir la sécurité à Haïti, ait été placée sous le commandement du Kenya. A travers cette résolution, nous affirmons donc notre soutien à cette initiative, nécessaire pour mettre un terme au règne des gangs et permettre la bonne distribution de l’aide humanitaire. Néanmoins, comme nous l’ont rappelé les précédentes missions onusiennes déployées sur place, nous devrons rester vigilants à ce que les forces kényanes ne commettent pas d’exécutions sommaires, comme le craignent les observateurs.
Notre histoire avec Haïti nous invite donc à l’humilité et à apporter une aide utile. C’est justement ce que permet cette résolution, pour laquelle je tiens à remercier ma collègue Hélène Conway-Mouret. Elle nous permet d’envoyer un message de soutien fort au peuple haïtien, qui en a cruellement besoin. C’est donc dans cet esprit que nous avons cosigné cette résolution et que nous la voterons.
Je vous remercie.