J’intervenais mercredi en discussion générale pour présenter la position du groupe CRCE (Communiste Républicain Citoyen et Écologiste) sur la proposition de loi de désenclavement des territoires du groupe RDSE (Rassemblement démocratique social et européen). La première version de ce texte, qui répondait à l’enjeu de l’enclavement des territoires par la multiplication d’aéroports locaux ne correspond pas à notre vision de l’égalité des territoires. Celle-ci ne doit pas se résumer à relier des zones dortoirs à des métropoles qui concentreraient tous les services mais à une politique active de revitalisation des écosystèmes locaux. La seconde mouture du texte qui remplace l’avion par le train nous paraît plus cohérente mais l’absence de moyens prévus pour rendre cette promesse opérante nous empêche d’approuver un texte qui propose une telle ambition dans son titre mais une vision aussi réduite de l’enjeu dans son expression.
Mon explication de vote :
« Il est évident que nous partageons le constat initial de ce texte lorsqu’il pointe l’accroissement de la fracture territoriale et l’enclavement de certains territoires ruraux confrontés à un manque d’attractivité et une disparition des services publics. La mobilisation depuis des mois des gilets jaunes exaspérés notamment par l’injustice territoriale témoigne de cette paupérisation qui frappe les zones périurbaines les villes petites et moyennes. Ils voient leurs commerces disparaître les uns après les autres ; la vacance grandissante des logements qui ne trouvent pas de locataires et l’accessibilité aux services publics locaux se réduire comme peau de chagrin. Tout cela nourrit un sentiment très fort d’abandon des pouvoirs publics.
Face à l’expression d’un tel attachement à l’égalité des territoires, on en viendrait presque à se demander pourquoi notre éminent collègue a participé à un Gouvernement qui part ses mesures a, pas à pas, aggravé la fracture territoriale ?
Car, et c’est le moins que l’on puisse dire, le bilan du Gouvernement en la matière n’est pas bon. La réforme ferroviaire va immanquablement conduire à l’abandon d’un certain nombre de lignes du quotidien jugées trop peu rentables. La réforme de la justice menace les petites juridictions. Sans attendre la réforme de la santé, l’accès au soin se réduit, on pense notamment aux maternités qui ferment les unes après les autres. Pire encore, l’épée de Damoclès de la suppression de 70 000 Fonctionnaires territoriaux pèse sur les collectivités locales.
A la lumière des enjeux évoqués, vous comprendrez dès lors qu’au-delà de son objectif ambitieux, le contenu de cette proposition, notamment dans sa version initiale nous a semblé à la fois lacunaire et totalement inadaptée.
Lacunaire, car les solutions contre l’enclavement se limitent au prisme de l’accessibilité physique des territoires. S’il s’agit évidemment d’un des éléments de l’enclavement, il n’est ni exclusif, ni suffisant. Bien sûr, ces territoires souffrent de l’absence de transports et surtout de d’ailleurs de solutions de mobilités internes, mais si de nombreux Français se relaient sur les ronds-points tous les samedis depuis des mois, c’est aussi parce qu’ils souffrent durement de la fermeture des écoles, des hôpitaux, des bureaux de poste et autres maternités…
Aucune mention n’est faite dans ce texte des impacts de la mise en concurrence des territoires ; des politiques de réduction de la dépense publique ou de celles qui ont conduit à libéraliser les services publics et réduire leur présence territoriale par la privatisation… Les services publics sont pourtant essentiels pour résorber la facture territoriale.
Le rôle primordial des documents d’urbanisme (PLUI, SCOT,…) qui tracent les orientations à long terme en cohérence avec des projets de territoires souhaités localement n’est pas plus évoqué.
Inadapté car l’égalité territoriale ne se résume pas à relier des zones dortoirs à des métropoles qui concentreraient tous les services. Ce n’est pas notre vision de l’aménagement du territoire. Ce prisme est tellement réducteur qu’on en viendrait presque à se demander à se demander si cette proposition de loi a un autre objet que de faciliter la vie de quelques responsables politiques et acteurs économiques qui font des allers-retours fréquents vers la capitale ou les métropoles régionales.
Alors que la question climatique se pose avec une acuité toute particulière, comment peut-on, comme cette proposition de loi n’envisager la mobilité que par les airs et par la route en omettant le rail ? Construire des aéroports tous les 200 km est une vision de l’aménagement du territoire des années 1970 que n’aurait pas renié Pompidou. De cette époque, nous avons hérité d’une soixantaine d’aéroports peu utiles et déficitaires qu’on maintient sous perfusion d’argent public quand on laisse mourir les lignes de chemin de fer… Dans l’Isère que je connais bien, le Département vient de voter une subvention de plus de 2 millions d’euros pour maintenir à flot l’aéroport de Grenoble-Alpes-Isère. A-t-on vraiment envie de flécher les dépenses publiques vers un mode de transport aussi peu rentable qu’écologiquement polluant ?
Par ailleurs, avec quel argent comptiez-vous le faire ? Pas l’ombre d’une piste de financement n’est avancée dans la proposition de loi. La fracture territoriale ne se résorbera pas par le simple amas de bonnes volontés et des textes de loi inapplicables mais avec des moyens concrets. Elle implique de revitaliser les territoires par la création d’emplois ; par une véritable politique de soutien à l’agriculture, à l’artisanat ; par une reconquête industrielle et par la relocalisation des sites de production. Penser l’aménagement du territoire nécessite d’inscrire au cœur des politiques de mobilité les enjeux de report modal de la route vers le rail et il nous semble incroyable qu’il n’en ait pas été fait mention une seule fois dans ce premier jet de proposition de loi. Car ce sont les lignes de chemin de fer régionales qui repeuplent les campagnes, pas les autoroutes qui les traversent comme des tunnels ou les aéroports.
Nous saluons néanmoins les évolutions positives du texte en Commission, et je tiens ici à remercier notre rapporteur et notre collègue Ronan Dantec dont les amendements remplacent le critère de distance avec un aéroport par celui de la proximité avec une gare desservie par une ligne à grande vitesse. Ce changement fait sens. Il en va de même pour la réécriture de l’article 2 qui était flou et laissait penser que l’État pourrait déroger aux normes environnementales de construction des infrastructures dans certains territoires enclavés, ce qui ne pouvait constituer une solution acceptable.
Cela ne nous suffira cependant pas à voter en faveur d’un texte qui propose une vision aussi réductrice d’un enjeu aussi majeur. Aussi nous nous abstiendrons.
Je vous remercie. »