Je suis signataire de la tribune : Protéger les sols : un impératif face à l’urgence climatique ! , publiée le 26 février 2019 dans Libération .
Texte de la tribune :
« Le sol possède les plus grandes biodiversité et biomasse terrestres de la planète mais c’est une ressource limitée et fragile. Il abrite des espèces animales et végétales dont l’activité garantit la fertilité des terres, la pureté de l’air, la qualité de l’eau et de notre alimentation, ainsi que la préservation de nos terroirs.
Améliorer le potentiel de stockage de carbone par la matière organique permettrait de lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Inversement, une infime perte de 0,1% du carbone des sols européens dans l’atmosphère équivaut à une émission de carbone de 100 millions de voitures supplémentaires !
Aujourd’hui nous assistons à une dégradation généralisée des sols à l’échelle mondiale dont les conséquences, différentes selon la localisation, sont partout dévastatrices. Chaque année, nous perdons 10 millions d’hectares de terres cultivées tandis que la population augmente, un non-sens absolu. En Europe, plus de la moitié des sols sont détériorés, artificialisés ou pollués par des intrants chimiques qui provoquent perte de matière organique, désertification, érosion… Les eaux boueuses qui partent dans les rivières sont devenues un phénomène auquel on ne réagit même plus. De plus, cette dégradation des sols européens a un coût financier évalué à 38 milliards d’euros par an.
Pourtant le sol est un milieu résilient, les solutions existent et les responsables politiques les connaissent. La science des sols a considérablement progressé ces dernières années et démontré que des pratiques agricoles différentes, respectueuses de l’activité biologique des sols, pouvaient changer la donne et garantir une sécurité alimentaire tout en luttant contre le réchauffement climatique.
Nous voulons relancer au niveau européen la création d’une directive-cadre sur les sols afin que l’Europe protège les terres comme elle protège l’eau et l’air. Cette initiative avait déjà été portée il y a quelques années, puis bloquée par certains Etats membres, dont la France, après huit ans de discussions. La France est le premier producteur agricole d’Europe, elle doit à présent prendre ses responsabilités, cesser de ralentir le processus et porter l’initiative réclamée par plus de 400 organisations européennes.
Pour agir, il faudra dépasser la pression des lobbys phytopharmaceutiques. La question des sols a été éludée lors du débat sur le glyphosate, peut-être parce qu’il n’y avait là aucune controverse possible : personne ne conteste que l’herbicide, même à des doses très inférieures à la dilution agricole, détruit une partie des bactéries du sol, dont des champignons indicateurs de leur santé. Agressée, la terre perd de sa fertilité, ce qui conduit les agriculteurs à utiliser davantage d’engrais. D’où l’enfermement dans un système devenu fou. Cela ne peut plus durer et seule l’échelle européenne sera pertinente pour accompagner nos agriculteurs vers une transition agroécologique tout en les protégeant d’une concurrence déloyale.
C’est pourquoi nous réclamons une vraie réforme de la PAC post-2020 qui garantisse cette transition agroécologique et nous nous opposons à une renationalisation déguisée de la PAC, prévue par l’actuelle commission européenne!
Nous voulons plafonner fortement les aides à l’hectare qui ont favorisé l’agrandissement des fermes et l’agriculture intensive. Il faudra orienter les aides vers l’emploi et rétribuer les services rendus à l’environnement afin d’accompagner le changement des pratiques agricoles.
La recherche française n’a plus les moyens légaux depuis 2014 de collecter au niveau national les informations des analyses du sol permettant de mesurer avec précision le degré de déstockage actuel du carbone. Faciliter par les aides de la PAC une analyse biologique des sols effectuée tous les 5 ans et transmise, avec garantie d’anonymat, aux unités de recherche permettrait d’enrichir la base de données nationale, d’améliorer la caractérisation des sols et d’actualiser une cartographie pertinente. Cette mission de service public ne pourra pas être assurée sans une augmentation substantielle des aides de l’Etat.
En France, l’artificialisation a fait disparaître depuis 2006 en moyenne 78 000 hectares par an de terres agricoles soit l’équivalent d’un département tous les sept ans. La principale cause est l’urbanisation avec la création de zones industrielles ou résidentielles, de routes et de centres commerciaux. Les Safer (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) ne parviennent plus à remplir leur mission de protection et une nouvelle loi foncière agricole est indispensable. Nous soutenons les propositions de Terre de liens et d’AGTER (Améliorer la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles) pour préserver et protéger la terre et demandons au gouvernement de ne plus tergiverser.
Par ailleurs, le gouvernement doit dénoncer et se retirer de la Nasan, Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition. Lancé en 2012 par le G8, ce soi-disant programme de développement agricole, dans lequel l’Europe a investi plus d’un milliard d’euros en plus de la contribution des Etats membres, prétendait vouloir sortir de la pauvreté 50 millions de personnes dans dix pays partenaires en Afrique en facilitant les investissements privés.
En réalité, ce programme ultralibéral, loin d’éradiquer la faim ou d’assurer une sécurité alimentaire, permet à quelques multinationales de prendre le contrôle d’une partie du secteur agricole africain, facilite les accaparements de terres, spolie de leurs droits des petits agriculteurs et contribue à la dégradation de la fertilité des sols. Le Parlement européen, alerté par les ONG, a voté pour une réorientation des financements et une plus grande transparence. Mais dans un total déni démocratique, les Etats européens n’en ont pas tenu compte.
Les sols sont notre bien commun. Protégeons-les enfin, l’urgence écologique nous l’impose ! »