Alors que les Alpes françaises se réchauffent deux fois plus vite que le reste du territoire et qu’un mois de couverture neigeuse a déjà été perdu depuis 50 ans, la montagne française change à grande vitesse. Pourtant, la fuite en avant du tout-ski continue : multiplication des canons à neige ultra-subventionnés, extension des téléphériques, construction massive de logements de tourisme occupés seulement quelques semaines par an…

Plutôt que de persévérer dans un modèle condamné, il est donc urgent de repenser l’aménagement et l’économie montagnarde, pour les rendre moins dépendantes du tourisme de sports d’hiver. Les transitions à réaliser en montagne sont immenses : développement d’autres formes de tourisme, transformation de “lits froids” en logements abordables pour les saisonniers et les habitants à l’année, reconstitution de filières agricoles… 

Intéressé de longue date par ces sujets, j’ai tenu à organiser une conférence fin août sur ces thématiques lors des Journées d’été des écologistes, avec trois intervenants fins connaisseurs de ces enjeux : 

-Valérie Paumier, présidente de l’association « Résilience montagne », qui lutte notamment contre la retenue collinaire de La Clusaz et les Jeux Olympiques d’hiver 2030 dans les Alpes françaises.

-Fiona Mille, présidente de “Mountain Wilderness”, association qui se bat pour un autre modèle de développement de la montagne et le démontage des installations de sports d’hiver désaffectées.

-Nicolas Pellerin, guide de haute-montagne et ancien secrétaire général du syndicat des guides de haute montagne, qui nous a notamment parlé de la transformation des paysages sous l’effet du changement climatique.

Nous avons commencé par dresser un panorama de la situation actuelle. Le ski est une véritable industrie, pesant environ 9 milliards d’euros par an, avec 55 millions de forfaits vendus chaque année. Pourtant, seule une minorité – aisée – de Français partent aux sports d’hiver et une part croissante de la clientèle est d’origine étrangère. Loin des objectifs de démocratisation des sports d’hiver du plan neige (1964-1977), la montagne coûte de plus en plus cher et est de plus en plus réservée à une classe supérieure internationale. 

Les récentes évolutions vont encore plus dans ce sens, avec de nouveaux projets de constructions de résidences et hôtels tournés vers le haut de gamme. La France compte déjà plus de 3 millions de lits touristiques en montagne, dont la moitié n’est utilisée que trois semaines par an. Environ 75% de ces lits sont dans des résidences vieillissantes qui n’ont pas ou peu été rénovées et sont donc des passoires thermiques.

Les impacts environnementaux du ski sont donc considérables : trafic croissant de touristes venus en avion, chauffage de vieilles résidences, bétonisation de la montagne, déforestation et appauvrissement des sols écrasés par les dameuses pour construire des pistes et désormais multiplication des canons à neige et retenues collinaires destinés à les alimenter. Alors que l’évolution du climat va inéluctablement condamner nombre de stations, notamment celles de faible et moyenne altitude, l’installation de canons à neige ne fait que repousser de quelques années des fermetures de stations. La Cour des comptes a d’ailleurs rédigé un long rapport à ce sujet récemment.

Malgré cela, la fuite en avant se poursuit, notamment avec le projet d’organisation des Jeux Olympiques d’hiver 2030 dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). D’après Valérie Paumier, celles-ci pourraient entraîner la création de 45.000 lits supplémentaires et accélérer nombre de projets de retenues collinaires (200 sont actuellement prévus), notamment grâce à une loi d’exception olympique. Au-delà de l’environnement, le coût financier se chiffrera en milliards d’euros, avec des retombées économiques très incertaines. Rappelons ici que les villes hôtes des Jeux d’hiver en France – Grenoble en 1968 et Albertville – ont mis plusieurs décennies à rembourser les dettes générées par ces Jeux. Enfin, ces Jeux vont renforcer l’image d’une montagne dédiée au ski, alors qu’il est au contraire important d’imaginer d’autres activités.

Tel a justement été le deuxième axe de notre conférence. Fiona Mille a notamment donné l’exemple de territoires de montagne qui mènent une transition et une diversification économique. Dans le Vercors, la reprise d’anciennes colonies de vacances et l’installation de maraîchers, en Ariège, la réouverture d’une filature sous forme de SCOP, la marque Made in Jura, qui a remis en avant l’artisanat de jouets, de meubles, d’horlogerie, l’installation d’herboristes en Ardèche… Autant d’exemples qui illustrent tout le potentiel de nos montagnes, au-delà du seul tourisme. Ailleurs en Europe, l’Autriche est un cas d’école, avec la création de nombreuses auberges, le développement de la sylviculture…

Nos territoires de montagne font donc face à un choix majeur. La première option est de persévérer dans un modèle qui, s’il a su développer la montagne et est une source de fierté, est désormais largement condamné. Malgré les canons à neige subventionnés par l’argent public, la baisse de l’enneigement se poursuivra dans tous les cas. Pire, nos montagnes pourraient prendre le chemin des parcs naturels des Etats-Unis, avec un système de “pass” très onéreux pour y accéder, ce qui réserverait ces magnifiques territoires aux plus favorisés. A l’inverse, nous plaidons pour un véritable partage de la montagne entre tous les usages et une économie diversifiée (tourisme quatre saisons, artisanat, agriculture et élevage, petit commerce…). Enfin, bien qu’elle se transforme, la montagne reste, comme l’a rappelé Nicolas Pellerin, un espace d’émerveillement et de découverte de la nature.