En juin, le média Le Trombinoscope, qui suit de près l’actualité parlementaire, m’a proposé d’écrire une tribune sur ma vision du ferroviaire. J’ai souhaité tourner celle-ci de façon utopique, afin de faire entrevoir à quoi pourrait ressembler notre réseau ferré si davantage de moyens lui étaient accordés. Voici ma tribune :

Mars 2032. Malgré le froid matinal, la gare de Clelles-Mens est bondée. De nombreux voyageurs attendent le TER pour Grenoble, qui passe toutes les 30 minutes grâce au RER métropolitain. D’autres vont vers le Sud, destination Gap, Briançon ou Die. Certains ont leur vélo avec eux, d’autres le déposent au parking vélo de 100 places. D’autres enfin ne prennent pas le train, mais déposent ou récupèrent des colis au bureau de poste de la gare, ensuite transportés dans un wagon dédié.

Autour d’eux, la gare est en plein travaux : chaque nuit, des ouvriers de SNCF Réseau travaillent d’arrache-pied pour doubler et électrifier la ligne et moderniser la signalisation. D’ici quelques années, le trafic pourrait doubler. Il faut dire que les tarifs sont attractifs : seulement 2€ pour Grenoble-Gap et même gratuits pour les jeunes, les personnes âgées et à faibles revenus. Et il faut aussi faire de la place pour les trains de fret et les trains de nuit, dont le trafic est en forte hausse.

Difficile d’imaginer qu’il y a 10 ans, cette ligne était fermée ! La SNCF, alors une société privée, sacrifiait les petites lignes pour se concentrer, comme ses concurrents, sur les liaisons TGV, plus rentables. Bien sûr, les habitants des zones délaissées et les syndicats de cheminots ont protesté, avec l’appui d’associations et d’élus. Si la ligne a été rouverte fin 2022, les investissements restaient minimes, la fréquence limitée, les retards nombreux et les tarifs élevés. Les gouvernements successifs ne voyaient plus d’avenir hors du TGV et invoquaient les contraintes budgétaires pour ne pas financer la rénovation du réseau et l’achat de trains, tout en surinvestissant dans le routier.

Et puis le nouveau choc pétrolier est arrivé avec la guerre entre Israël et l’Iran à partir de 2025. Avec un baril à minimum 180 dollars depuis, la voiture est devenue un luxe, tandis que la France se ruinait à acheter des hydrocarbures au Moyen-Orient. Le RN a proposé d’exploiter le gaz de schiste, mais la sécheresse historique de 2026 a convaincu les Français de la nécessité de préserver l’eau. La gauche unie a finalement gagné en promettant d’investir massivement dans l’isolation énergétique des bâtiments et les transports publics, rendus quasi-gratuits grâce à la taxe Zucman sur les grandes fortunes.

Le succès de la renationalisation du rail au Royaume-Uni, débutée en 2025, avait montré la voie. Si le pays qui était allé le plus loin dans la privatisation faisait marche arrière, ne fallait-il pas l’imiter ? La gauche française s’est donc empressée de faire de même. Malgré la pression du lobby automobile et des concurrents de la SNCF, l’Union européenne a accepté la renationalisation, rapidement suivie par d’autres pays.

Le gouvernement a alors débloqué 100 milliards sur 10 ans pour le rail et mis les bouchées doubles : les effectifs de SNCF Réseau ont presque doublé et ceux pour la conduite, la maintenance des trains et les services en gare ont bondi de 30%. Les salariés de l’automobile au chômage ont mis leur savoir-faire au service d’Alstom, dont les commandes ont explosé.

Le trafic routier a fortement baissé et les grands travaux routiers ont été stoppés et les voies de dépassement de la RD1075 dans le Trièves sont devenues des pistes cyclables. Les économies réalisées sont allées vers le réseau ferré, qui atteindra bientôt 32.000 kilomètres, soit 5.000 de plus qu’il y a dix ans. Les voitures restent nécessaires pour certains trajets, mais elles sont désormais en autopartage et remplies par le covoiturage. Quant aux ZFE qui avaient suscité de nombreuses oppositions, elles sont une réalité, puisque les alternatives existent : des trains à l’heure et à un prix correct. Et qui permettent de contempler les paysages incomparables de la ligne Grenoble-Gap ou de dormir paisiblement !

Crédit photo en une : Jvillafruela