Depuis 2022, la Préfecture de l’Isère connaît des dysfonctionnements importants, impactant directement les droits et la vie des personnes étrangères du territoire. Après le démantèlement, en juin 2023, du réseau de trafic de titres de séjour, sur lequel j’avais posé une question au ministère de l’intérieur et qui était présent au sein même de la Préfecture, cette dernière avait annoncé une modernisation complète de son service. Trois ans plus tard, le compte n’y est pas.
D’après l’étude menée en février 2025 par Bouge ta Pref 38 (coordination regroupant les associations venant en aide aux personnes étrangères à Grenoble), entre juin 2024 et février 2025, le nombre de rendez-vous accordés par la Préfecture de l’Isère a diminué de 25%, le temps d’attente pour l’obtention de ces derniers s’élevant entre 1 et 4 mois. Face à la quasi impossibilité d’obtenir un rendez-vous par la voie légale, de nouveaux réseaux de trafics se sont montés dans l’agglomération grenobloise.
Le parcours du combattant ne s’arrête pas là: une fois un premier rendez-vous obtenu, les personnes étrangères se heurtent à une deuxième difficulté de taille: l’obtention du titre de séjour demandé. En effet, la délivrance des titres de séjours est en constante diminution et nous observons qu’elle est progressivement remplacée par la délivrance de récépissés de 3 mois, plaçant ainsi les personnes dans une précarité administrative sans fin.
En faisant le choix, en mars 2024, de dématérialiser la prise de rendez-vous et de fermer son accueil physique aux usager.e.s, la Préfecture de l’Isère a créé une rupture de droits pour les personnes étrangères. En effet, ces dernières sont dans l’incapacité d’avoir accès à des informations fiables sur les démarches à effectuer et ne peuvent signaler un retard de traitement de leurs demandes ou un dysfonctionnement de la plateforme numérique sur laquelle elles sont déposées.
Comme l’a rappelé la Défenseure des droits dans son rapport annuel d’activités de 2024 publié le 25 mars dernier, les réclamations relatives au droit des étrangers sont devenues le premier motif de saisine de l’institution depuis 2022: “une réclamation sur trois reçues par l’institution a trait aux demandes d’octroi et surtout de renouvellement de titres de séjour”. Claire Hédon souligne aussi que “les difficultés rencontrées par les usagers ressortissants étrangers ont été nettement aggravées depuis le déploiement de l’Administration numérique pour les étrangers en France (ANEF), qui s’est imposée comme canal unique entièrement dématérialisé pour les demandes de titres de séjour et de renouvellement.”
Le manque de solutions, d’accompagnement et de moyens de substitution au numérique, place les personnes dans une impasse aux conséquences dramatiques: perte massive d’emploi, de logement, de prestations sociales, de droits, dégradation de leur santé, mentale et physique.
Si quelques améliorations récentes sont à saluer, l’accueil et le traitement réservés aux personnes étrangères par la Préfecture de l’Isère reste largement insatisfaisant.
Les défaillances de ce système et la dégradation de ce service public essentiel mobilisent constamment les acteurs et actrices du tissu associatif du territoire ainsi que de nombreuses et nombreux avocat.es et encombrent le Tribunal administratif de Grenoble, régulièrement saisi par des personnes n’arrivant pas à obtenir de rendez-vous.
Chaque mois, mon équipe reçoit également de nombreuses personnes frappées de plein fouet par ces difficultés: employé.es, étudiant.es, chercheur.es, retraité.es… La majorité d’entre elles résident et travaillent depuis plus de 10 ans en France.
Nos alertes répétées auprès de la Préfète de l’Isère portent souvent plus leur fruit que celles portées par les personnes concernées ou par les associations les accompagnant dans leurs démarches, ce qui illustre un problème d’inégalité d’accès au service public. J’avais d’ailleurs organisé une action symbolique à ma permanence en la transformant en « annexe de la préfecture » pour dénoncer ces dysfonctionnements et ce traitement inégalitaire.
Face aux dysfonctionnements chroniques de la Préfecture de l’Isère, les associations ont assigné la Préfète de l’Isère en justice pour “défaut d’accès au service public”. L’audience avait lieu au Tribunal administratif de Grenoble le lundi 24 mars dernier et j’étais présent pour leur apporter mon soutien. Le 31 mars dernier, le Tribunal administratif a rendu sa décision a enjoint à Madame la Préfète de l’Isère de “mettre en place des mesures alternatives aux procédures dématérialisées pour les demandes ne relevant pas du champ d’application de la procédure de téléservice obligatoire prévue à l’article R. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ce dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente ordonnance.” (>> Lire la décision n° 2501805)
Aux côtés des associations et des personnes concernées, premières victimes de ces défaillances majeures, je continuerai de demander le rétablissement d’un véritable service public, accessible et de qualité, garantissant le respect des droits et de la dignité des personnes étrangères. Je fais confiance aux services de la Préfecture pour poursuivre les efforts engagés et continuer à améliorer les conditions d’accueil.