A 144 voix contre zéro, le Sénat a adopté notre proposition de résolution demandant une interdiciton des produits issus du travail forcés de Ouïghours. Ces pratiques documentées depuis des années en Chine ont déjà été qualifiées de « génocide » et de « crimes contre l’humanité », il était donc indispensable de cesser de leur offrir des débouchés commerciaux. Face à un hémicycle où seuls deux sénateurs de la majorité LR était présent, j’ai défendu au nom du groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires, cette résolution, dont vous pouvez retrouver le discours ci-dessous.

Merci Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,

A l’initiative de notre collègue Mélanie Vogel, qui regrette de ne pouvoir être des nôtres aujourd’hui et que je vous prie de bien vouloir excuser, le groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires propose qu’à son tour, le Sénat s’exprime sur l’horreur, sur l’indicible crime contre l’humanité opérée méthodiquement depuis plus de 10 ans dans l’ouest de la Chine. Pour compléter la résolution votée à l’Assemblée nationale, nous vous proposons de manière plus opérationnelle de stopper l’importation des produits issus du travail forcé des Ouighours en France comme en Europe.

Mes chers collègues, grâce la mobilisation de tous les instants de la diaspora ouïghoure, relayée notamment par notre collègue député européen, Raphaël Glucksmann, vous savez, nous savons beaucoup du traitement inhumain dont est victime la minorité ouïghoure de Chine. Permettez-moi néanmoins de rappeler une nouvelle fois l’ampleur de l’horreur à l’œuvre dans le Xinjiang.

Depuis le début des années 2010, et surtout depuis l’accession au pouvoir de Xi Jinping ; la République Populaire de Chine adopte une stratégie d’assimilation culturelle violente envers les groupes minoritaires et particulièrement avec la minorité musulmane ouïghoure dans la région autonome du Xinjiang.

Cette politique d’épuration ethnique se traduit par l’interdiction de pratiques religieuses et culturelles, la destruction de lieux de cultes et de cimetières religieux ou encore la surveillance de masse. Les autorités chinoises font tout ce qui est en leur pouvoir pour diminuer la présence de l’Islam. Le Xinjiang se transforme en laboratoire de la politique d’assimilation répressive du Parti Communiste Chinois.

Sous couvert de lutte antiterroriste, le Gouvernement chinois criminalise toute expression des traditions ouïghoures. Sous couvert de lutte contre l’extrémisme religieux, le Gouvernement chinois s’octroie le droit d’incarcérer dans des camps de rééducation toute personne qui pratiquent la religion musulmane. La pratique du ramadan, la consommation de nourriture halal, une apparence jugée trop religieuse, ou encore l’enseignement coranique suffise à vous envoyer dans un camp de rééducation, où les détenus sont forcés d’abandonner leur religion. Et pour le prouver, les autorités chinoises les forces à boire de l’alcool, manger du porc ou encore prêter allégeance au Parti Communiste Chinois.

D’autres témoignages issus de ces camps, notamment de femmes kazakhes et ouïghoures, font froid dans le dos. Il y est fait état d’un abominable contrôle des naissances se traduisant par la pose contrainte de contraceptifs, des avortements et des stérilisations forcés. Les femmes récalcitrantes sont menacées de sanctions et de détention. Ces mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe représentent un élément caractérisant une entreprise génocidaire selon la définition juridique internationale du génocide de 1948.

Au milieu des années 2010, les arrestations « préventives » et les placements dans des camps se multiplient avec des prétextes de plus en plus dérisoires comme une simple discussion avec un résidant étranger. Les incarcérations se font naturellement en dehors du système judiciaire.

Des dispositifs de surveillance massifs sont mis en place pour traquer les musulmans : des fonctionnaires sont envoyés vivre dans les familles musulmanes pour surveiller leur mode de vie, ce qu’elles mangent ou comment elles éduquent leurs enfants. Une vaste politique de délation, rappelant les heures les plus sombres de l’histoire de l’humanité, est promue par les autorités chinoises. Les Ouïghours sont également traqués à l’étranger : les autorités chinoises leur demandent des informations sur le reste de la diaspora, en les menaçant de s’en prendre à leur famille restée en Chine s’ils refusent de répondre.

C’est en 2017 que les premières preuves de l’existence de ces camps émergent et que les premières réactions internationales se font entendre. Amnesty International et l’Organisation des Nations Unies estiment qu’il existe 1200 camps de rééducation au Xinjiang et 1 million de prisonniers. Un musulman sur 6 est concerné.

Quelques mois plus tard, l’on découvre que le Gouvernement chinois organise un système de travail forcé des Ouïghours. Dans un rapport des autorités chinoises qui date de 2020, nous apprenons que 2,6 millions de citoyens ouïghours du Xinjiang ont été placés dans des fermes et des usines. Un système organisé au plus haut niveau permet aux industriels passer des commandes de travailleurs aux autorités locales. Des recruteurs sont désignés, avec des quotas de travailleurs à atteindre. Ils se rendent au sein des foyers pour recruter des travailleurs. Tous les habitants turciques de plus de 16 ans sont susceptibles d’être forcés d’aller travailler et sont menacés de détention. Pendant quelques jours, ils sont formés à des tâches répétitives puis envoyés dans les usines. Ils sont entassés dans des dortoirs, ne peuvent pas démissionner, travaillent pendant un nombre incalculable d’heures, et ont de très bas salaires.

Ces dernières années, on a vu se construire dans la région du Xinjiang d’immenses complexes industriels, parfois au sein même des camps de rééducation. Le secteur du textile est le plus concerné. Parmi les marques concernées, on trouve Adidas, Zara, Nike, Uniqlo et bien d’autres. D’autres secteurs sont également mis en cause : l’automobile, les jouets ou encore les panneaux solaires. Disons-le clairement, c’est toute une partie de l’appareil industriel chinois, auquel nous avons délégué la production de tant d’objets de notre quotidien, qui repose sur le travail forcé comme en son temps la production industrielle soviétique. Notre attitude était alors toute autre.

Tous ces agissements ont une qualification : ce sont des crimes contre l’humanité. C’est ce que confirme le 31 août 2022, Michelle Bachelet alors haut-commissaire des droits de l’Homme. La haut-commissaire rend un rapport accablant, résultant de sa visite au Xinjiang. Les conclusions de ce rapport sont sans appel : il confirme toutes les révélations des associations de défense de droits humains.

Malgré les nombreuses réactions internationales, très peu des marques mises en cause ont répondu aux accusations, et celles qui ont arrêté de faire appel aux usines du Xinjiang se comptent sur les doigts d’une main.

Vous l’aurez compris, les indignations ne suffisent plus. Leur coût politique et économique est bien trop faible. En 2021, le commerce direct entre le Xinjiang et l’UE a même augmenté de 13,6 %. C’est tout un système économique mondialisé basé sur le profit et l’exploitation de la vie humaine qu’il faut combattre. Aujourd’hui, on sait que potentiellement un vêtement sur cinq portés sur la planète peut être entaché de travail forcé ouïghour. C’est vertigineux.

L’Europe doit prendre ses responsabilités. Nous avons le devoir de nous doter d’une politique commerciale exigeante, qui respecte les droits humains les plus basiques. Les initiatives dans ce sens se multiplient et la France, qui se veut le phare de la promotion des droits partout dans le monde, doit produire son effort et son effet.

En 2021, les Etats-Unis ont interdit d’importer des produits fabriqués dans la province chinoise du Xinjiang. « Tout produit fabriqué, même partiellement, au Xinjiang est issu du travail forcé et ne peut être importé, sauf si les entreprises sont en mesure de fournir des ‘preuves claires et convaincantes’ du contraire ».

Dans le même esprit, la Commission européenne a présenté au mois de septembre dernier un projet qui permettrait à terme d’interdire certains produits d’entrer sur le marché européen. En cas de soupçons autour d’un produit, les organismes en charge de la surveillance des marchés pourront lancer une enquête préliminaire. Au terme de cette enquête, le produit soupçonné pourra être banni du marché européen.

Comme l’explique notre proposition de résolution, nous souhaiterions que la France et l’Europe adoptent une position proche de celle des Etats-Unis. En effet, nous pensons que la charge de la preuve doit être inversée : ce sont les industriels qui doivent prouver de manière convaincante qu’ils ne se fournissent pas dans des usines qui font appel au travail forcé des Ouighours, ce ne sont pas aux pouvoirs publics ou lanceurs d’alerte d’en apporter les preuves.

Je précise au passage, qu’adopter la position américaine sur ce volet n’est pas du tout synonyme dans notre esprit d’un alignement complet avec les positions américaines dans la guerre commerciale, parfois quelque peu manichéenne, engagée contre la Chine. Au regard des bouleversements géopolitiques majeurs que nous connaissons ces dernières années, l’Europe et la France sont dans la nécessité impérieuse de redéfinir leur relation avec la Chine et de construire une politique chinoise qui nous soit propre. Au regard des valeurs portées par notre pays et notre union continentale, la fermeté absolue vis-à-vis des crimes contre l’humanité, doit pour nous constituer une composante essentielle de notre relation avec Pékin.

Alors que l’Assemblée nationale a adopté en janvier 2022 une proposition de résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l’humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours, comment pouvons-nous continuer à importer, vendre, et consommer des produits qui sont clairement fabriqués dans des conditions de travail forcé qui n’ont pas grand-chose à envier au Goulag ? Il est plus que logique et cohérent aujourd’hui de demander au Gouvernement d’adopter de vraies mesures efficaces pour cesser, selon les mots de notre collègue Mélanie Vogel, « d’offrir un débouché commercial aux crimes contre l’humanité ».

En mettant en place une politique qui rejette tout produit issu du travail forcé des Ouighours, le France ferait peser une vraie chappe de plomb sur la Chine, qui mise énormément sur le développement de la région du Xinjiang, région au cœur du projet de « nouvelle route de la soie » en lien avec sa position géographique au croisement de routes commerciales entre les continents européen et asiatique. Le seul rapport de force que comprend la Chine est économique et c’est à son portefeuille qu’il faut s’attaquer pour tenter de retrouver le sens de notre humanité.