Le SĂ©nat a adoptĂ© dĂ©finitivement mardi 12 mars, la proposition de loi visant Ă  renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations.  DĂ©posĂ© en juin 2018 par Bruno Retailleau, chef de file des RĂ©publicains au SĂ©nat, le texte a Ă©tĂ© adoptĂ© en premiĂšre lecture le 23 octobre par le  SĂ©nat. Les violences qui ont accompagnĂ© les manifestations des gilets jaunes ont amenĂ© le Gouvernement Ă  reprendre le texte avec une majoritĂ© divisĂ©e sur le sujet. En effectuant un vote conforme du texte renvoyĂ© par l’AssemblĂ©e nationale, la droite sĂ©natoriale a fait la dĂ©monstration une fois de plus de sa vision du maintien de l’ordre  au prix de nos libertĂ©s fondamentales et du fondement mĂȘme de notre dĂ©mocratie.  J’ai donc dĂ©noncĂ© avec mon groupe CRCE le caractĂšre liberticide de ce texte. Nous ne combattrons pas la violence par un recul de notre dĂ©mocratie. 

Seul rempart aujourd’hui Ă  cette dĂ©rive : le Conseil constitutionnel. D’ailleurs, Emmanuel Macron n’a pas attendu la fin des dĂ©bats pour  le saisir. On peut espĂ©rer voir les mesures les plus excessives ĂȘtre annulĂ©es. 

Mon intervention : 

Seul le prononcĂ© fait foi 

Les Ă©pisodes violents que connaissent certains mouvements sociaux ne justifient pas tout. En tant que lĂ©gislateurs nous avons le devoir de ne pas cĂ©der face Ă  l’urgence du moment, aux passions de l’instant. LĂ©gifĂ©rer, c’est faire la part des choses, c’est mettre de la distance entre l’actualitĂ© et la loi, au nom de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Les Unes de la presse et des JT passent et s’enchaĂźnent mais le droit, lui, reste.

Je vous alerte car ces lois de circonstance s’accumulent, se superposent affaiblissent peu Ă  peu notre Etat de droit. RĂ©pondre Ă  la violence par la violence, Ă  la rĂ©volte par des lois autoritaires, c’est rentrer dans le jeu de ceux qui dĂ©fient l’Etat, qui accusent notre dĂ©mocratie d’hypocrisie et de postures lorsqu’elle se revendique comme rempart des Droits Humains. Une dĂ©mocratie qui a recours Ă  des lois liberticides pour se dĂ©fendre prend le risque de perdre son fondement.

La manifestation est indissociable de notre Histoire. Elle a permis l’avĂšnement de la RĂ©publique en 1789 et celui de la dĂ©mocratie en 1848. Elle est le terreau des conquĂȘtes sociales notamment celles de 1936 ou 1968. Elle a accompagnĂ© la LibĂ©ration de Paris, les victoires de la France en Coupe du Monde ou le profond soutien Ă  la libertĂ© de la presse et Ă  la RĂ©publique en 2015. La manifestation est consacrĂ©e par l’article 10 de la DĂ©claration des Droits de l’Homme et du citoyen qui en fixe d’ailleurs la limite et encadrĂ© par la loi de 1935.

L’article 2 fait une interprĂ©tation beaucoup trop zĂ©lĂ©e de la notion de Â« trouble Ă  l’ordre public Â» mentionnĂ© par la DDHC et ne respecte vraisemblablement pas nos droits constitutionnels.

– En permettant de sanctionner « Ă  priori Â» des manifestations sur la base de simples soupçons, il ouvre le rĂšgne de l’arbitraire et piĂ©tine les libertĂ©s publiques.

– En confiant Ă  une autoritĂ© administrative plutĂŽt qu’à une autoritĂ© judiciaire la charge de dĂ©terminer une sanction, il contrevient Ă  la sĂ©paration des pouvoirs et aux garanties prĂ©vues par l’ordre judiciaire.

– En dĂ©signant subjectivement qui a le droit de manifester ou qui ne l’a pas, cet article est un redoutable outil pour rĂ©duire les opposition politique au silence, outil qui n’a pas sa place dans un rĂ©gime dĂ©mocratique.

Chers collĂšgues, dans les Lettres Persanes, Montesquieu disait ironiquement qu’il ne fallait « toucher Ă  la loi que d’une main tremblante Â». Il est parfois bon de prendre cette recommandation au pied de la lettre. D’ailleurs, mĂȘme la main de Jupiter tremble puisqu’inquiet, il envisage de saisir le Conseil constitutionnel pour « nettoyer Â» cette future loi de ses scories autoritaires. Le Parlement se grandirait Ă  Ă©viter le ridicule d’un tel scĂ©nario


Alors oui défendons la République et la démocratie.