Le 15 octobre, j’ai réagi au discours de politique générale de Sébastien Lecornu. S’il a été plus adroit que ses prédécesseurs et concédé une suspension de la réforme des retraites, qui bénéficiera à 2 ou 3 millions de Français, le cœur de la politique macroniste reste intact. Le budget 2026, tant pour l’Etat que la Sécurité sociale, reste totalement régressif et constitue un motif de censure du gouvernement. Si le gouvernement souhaite passer l’automne, il doit revoir sa copie et appliquer la justice fiscale, notamment par l’instauration de la taxe Zucman.

Vous trouverez mon intervention en vidéo et sous format texte ci-dessous :

Monsieur le Premier ministre,

Hier vous avez débuté vos propos par ces mots « ceux qui ne changent pas, ceux qui s’agrippent aux vieux réflexes, aux postures, disparaitrons ». Cette lucidité contraste avec votre fidélité sans faille de Dernier samouraï du macronisme en décomposition.

Mais que de temps perdu…

Que de temps perdu pour faire comprendre au président de la République que depuis 2022, il n’avait plus de majorité absolue à l’Assemblée nationale.

Que de temps perdu à tenter de vous marier avec les Républicains, partenaire on ne peut moins fiable, qui vous jurait fidélité tout en faisant les yeux de Chimène à l’extrême droite.

Que de temps perdu pour faire adopter, en brutalisant tous les principes démocratiques, une réforme des retraites injuste, dont vous avez reconnu qu’elle avait heurté le pays et à demi-mot qu’elle avait été adoptée après un débat démocratique indigne de ce nom.

Vous annoncez sa suspension totale, une nouvelle conférence sociale et au besoin une nouvelle loi. Nous saluons cette première amende honorable après huit années de bulldozer macronien. Nous saluons cette victoire incontestable du mouvement social, de la gauche et des écologistes. Nous nous félicitons pour les quelques trois millions et demi de nos concitoyens qui viennent de gagner plusieurs mois d’une retraite bien méritée.

Néanmoins, Monsieur le Premier ministre, 15 mois pour faire partiellement accepter au président de la République le résultat des élections législatives qu’il a lui-même provoquées.

15 mois de perdus pour la transition écologique, victime de l’absence de vision, de l’absence de pilotage gouvernemental et du rabot budgétaire. 43 reculs écologiques en un an, voilà le prix de feu le socle commun avec en point d’orgue la scélérate loi Duplomp dont nous exigeons l’abrogation.

15 mois de perdus, dans un monde instable, menacé à court-terme par la sécession des riches et la nouvelle internationale fasciste – qui de plus en plus vont de pair – et à moyen terme par la catastrophe climatique et écologique.

15 mois d’une crise politique largement évitable, pour accepter que le seul résultat tangible des législatives était la prééminence du Front républicain contre l’extrême droite et sans les LR dont l’ambiguïté était condamnable, ambiguïté dont ils vont bientôt en sortir au détriment de la République.

Mais le compte n’y est pas encore. Le socle commun étant dessoudé, la force majoritaire de l’Assemblée nationale c’est le Nouveau Front populaire.

Vous êtes donc le troisième Premier ministre illégitime de suite et il est logique que nos collègues députés vous censurent au motif fondamental du respect de la démocratie.

Vous semblez cependant avoir compris l’importance de redonner au Parlement sa place centrale. « Le Gouvernement propose, nous débattrons, vous voterez ». A travers vos mots, ce que vous appelez une rupture est en réalité le fonctionnement normal de tout régime parlementaire. On l’a oublié sous la Ve République monarchique, tout particulièrement après ces huit dernières années de brutalité jupitérienne.

Vous renoncez enfin, comme les écologistes vous y invitaient à travers une proposition de loi de notre collègue Iordanoff, à utiliser le 49 alinéa 3. En effet, Il n’y aucune raison d’avoir peur d’une Assemblée nationale qui « ressemble aux Français » comme vous l’avez souligné justement.

Néanmoins, votre engagement n’aurait pas de sens si vous ne renonciez pas également à la possibilité de passer le budget par ordonnance si les débats parlementaires devaient durer au-delà du 31 décembre.

Demain, vous échapperez vraisemblablement à la censure de quelques voix mais c’est un sursis et vous le savez parfaitement. Si vous vous souhaitez vous inscrire dans la durée vous n’avez pas d’autre choix que de trouver des compromis avec la gauche et les écologistes.

Et ceux dès l’examen du budget. La copie du Gouvernement, à peu près identique à celle de votre prédécesseur, est inacceptable. Un nouvel exercice de Robin des Bois inversé qui prend aux pauvres pour donner aux riches. La justice fiscale y’est absente. Votre projet de taxation des holdings est une paille. Vous ne touchez presque pas aux niches fiscales des plus aisés, utilement listées par notre collègue Charles de Courson. Aucun budget ne sera adopté sans la taxe Zucman – que les écologistes ont fait adopter à l’Assemblée nationale en février – ou un dispositif de même ambition.

Nous n’avons rien non plus de concret sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens les plus fragiles, alors que 650 000 personnes ont basculé dans la pauvreté qui atteint un maximum historique. Rien pour notre jeunesse, oubliée des politiques publiques alors que sa situation ne cesse de se précariser, en particulier depuis la pandémie.

Le budget de la sécurité sociale est également honteux avec, entre autres, le doublement des franchises médicales et une augmentation ridiculement insuffisante de l’ONDAM. Pire encore, en refusant d’augmenter les recettes pour suspendre la réforme des retraites, vous allez encore affaiblir le soutien aux plus précaires, notamment les familles, et ronger notre hôpital public déjà à l’os.

Rien non plus pour la transition écologique alors que la France n’est déjà plus dans les clous de ses engagements climatiques. Ma Prime Rénov va éviter la mort mais à quel prix ? Comment ne pas faire une priorité absolue de cette politique consensuelle qui allie justice sociale, transition et adaptation écologique, création d’activité économique pour nos TPE/PME et souveraineté permettant de réduire notre dépendance aux hydrocarbures de Poutine ? Il est impératif de maintenir son montant a minima à 3 milliards d’euros.

Le Fonds vert pour le climat est divisé par 2 soit une division par 4 depuis deux ans. Avec la réduction de la CVAE, (qui ne profite pas aux petites entreprises), ce sont 2 milliards d’euros en moins pour les collectivités locales. Dans le même temps vous annoncez vouloir décentraliser des responsabilités avec des moyens budgétaires et fiscaux, ce qui achève de nous plonger dans la perplexité. Vous souhaitez responsabiliser les collectivités locales. Mais elles n’ont pas à payer l’endoctrinement macroniste, qui a laissé filer la dette plutôt de faire contribuer les plus aisés à l’effort considérable auquel la Nation a consenti face à la pandémie puis face au retour de la guerre en Europe.

Une dernière inquiétude : doit-on comprendre de vos propos d’hier et d’aujourd’hui que vous souhaitez supprimer la clause de compétence générale pour les communes ?

Vous l’aurez compris Monsieur le Premier ministre, nous serons exigeants lors de l’examen du budget, qui est en l’état un motif légitime de censure. Si votre Gouvernement veut passer l’automne, il vous faudra entendre la forte aspiration du pays à davantage de justice fiscale et écologique. Je formule le vœu que nous trouvions des compromis en ce sens y compris ici au Sénat avec nos collègues centristes, qui ne souhaiteraient pas être aspirés dans la fuite en avant des LR vers l’extrême droite.

Un mot enfin pour dire que la survie du Gouvernement ne règle en rien la crise profonde dans laquelle est engoncée la Ve République et la crise démocratique plus prégnante que jamais. Il nous faudra rapidement tout remettre à plat en commençant par le scrutin majoritaire, qui ne dégage plus de majorité et brutalise inutilement le débat public. Pour assurer une juste répartition des forces politiques, trouver les chemins du compromis et redonner sa place au Parlement, la proportionnelle est un impératif. La proposition de loi transpartisane déposée lundi est une base de travail pertinente.

Il faut également en finir avec le cœur de la crise de régime actuelle : l’irresponsabilité du président de la République qui est incompatible avec la séparation des pouvoirs.

Il faut enfin associer beaucoup plus directement nos concitoyennes et nos concitoyens aux décisions publiques.

Si le président de la République veut finir son mandat sur une note moins dramatique, il doit lancer le chantier de la refondation démocratique et constitutionnelle de notre pays. C’est un impératif pour éviter que cette crise ne débouche sur l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.

Crédits photo en une : Ecole polytechnique