Alors que la démocratie est menacée par un nouveau fascisme, inspirons nous, avant qu’il ne soit trop tard, de l’enthousiasme qui accompagna le rétablissement de la République après la Libération. Le 7 novembre, j’ai pris la parole au Sénat à l’occasion des 80 ans de la séance inaugurale de l’Assemblée consultative provisoire. Vous pouvez retrouver mon discours ci-dessous en vidéo et sous format texte.

Merci Monsieur le Président pour l’organisation de cette séance commémorative d’une grande importance.

Merci Monsieur le Premier ministre de votre indispensable présence.

Le contexte politique pesant de cette semaine donne à notre séance une tournure plus solennelle encore. Hier, tombait le verdict dramatique de l’élection présidentielle américaine. Son peuple souverain a choisi, pour conduire les destinées de sa Nation, un homme, qui parmi tous ses outrages, s’est rendu complice, si ce n’est coupable, d’une tentative de coup d’Etat contre un Parlement souverain. Le scrutin de mardi est venu rappeler que les démocraties sont mortelles et que, souvent, elles se donnent elles même la mort.

Alors que nous craignons l’effondrement de l’une des plus grandes et des plus vieilles démocraties du monde, d’une démocratie qui en a inspiré tant d’autres à travers l’Histoire, il est de bon augure pour notre moral de commémorer le rétablissement d’une République démocratique.

Je dis bien “République” et j’exprime ainsi une nuance avec certains des orateurs précédents. Je ne crois pas que le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) et l’Assemblée consultative provisoire (ACP) n’aient rétabli que la “légalité républicaine”, je crois qu’ils ont pavé le chemin du rétablissement de la République tout entière.

Les héritiers du gaullisme et les constitutionnalistes débattront encore longtemps de cette question, mais je suis de ceux qui considère que la IIIe République est morte le 10 juillet 1940, que malheureusement, la France légale était à Vichy et que les agissements de ce régime demeurent “une souillure de notre histoire et une injure de notre passé” pour reprendre les termes du discours historique de Jacques Chirac à l’occasion de la commémoration du Vel d’Hiv en 1995.

Par conviction personnelle sans doute, par nécessité politique certainement, le général De Gaulle n’a pas souhaité proclamer la République au balcon de l’Hôtel de Ville comme Gambetta en son temps. Il considérait qu’elle n’avait jamais cessé d’être et il a tout fait, en pleine guerre, pour en rétablir du mieux possible les institutions. Dès l’instauration du Comité national français, premier Gouvernement de la France libre, le 24 septembre 1941, la création d’une Assemblée consultative est prévue ultérieurement par l’ordonnance, pour “fournir au CNF une expression aussi large que possible de l’opinion nationale”.

Je ne suis pas convaincu que le général De Gaulle était un grand défenseur du parlementarisme, mais il était indubitablement un grand défenseur de la République, dont le principe constitutif est la séparation des pouvoirs, notamment législatif et exécutif. Adjoindre à son Gouvernement, un organe consultatif aussi représentatif que possible, à défaut d’être législatif, faute d’être issu du suffrage universel, était impératif. C’est notamment cette construction institutionnelle originale, cette “surprenante aventure” pour reprendre les termes d’Emile Katz-Blamont, secrétaire général de l’ACP, qui a permis au général de convaincre Roosevelt de ses intentions républicaines et à la France d’éviter l’occupation par les troupes alliées.

Mais ce n’est pas le seul mérite de cette assemblée, constituée à Alger dans des conditions rocambolesques avant de siéger dans cet hémicycle après la Libération de Paris, de cette assemblée composée d’illustres membres, qui ont usé ces fauteuils avant nous ; héros de la Résistance (René Capitant, Gilberte Brossolette, les époux Aubrac et tant d’autres), parlementaires ayant refusé le vote des pleins pouvoir à Pétain (Paul Giacobbi, Henri Queuille, Vincent Auriol, etc) et représentants syndicaux illustres comme Ambroise Croizat.

J’ai cité Gilberte Brossolette, car l’autre spécificité de cette assemblée fut d’accueillir, à partir de 1944 et pour la première fois, des déléguées féminines, un an avant que les premières femmes parlementaires ne soient élues à l’Assemblée constituante le 21 octobre 1945. Si elle n’en fût pas membre, permettez-moi d’avoir également une pensée pour Madeleine Riffaud, héroïne de la résistance parisienne, qui nous a quittés hier.

Durant deux ans, dans un esprit de concorde républicaine entre les représentants des partis et mouvements de résistance de gauche et de droite, unis contre l’extrême droite de Vichy, l’Assemblée provisoire a accompagné le Comité français de libération nationale puis le GPRF dans la mise en oeuvre du programme du Conseil national de la Résistance.

Conduite des opérations militaire et de la politique de Défense, réorganisation des pouvoirs publics, avis budgétaires, créations des comités d’entreprises et surtout préparation des grandes réalisations du GPRF après la victoire : nationalisation de grandes banques et entreprises stratégiques, instauration de la sécurité sociale, encadrement des prix des denrées alimentaires, préparation de la Constituante, etc

Monsieur le Premier ministre, mes cher collègues, alors que la démocratie est menacée par un nouveau fascisme, inspirons nous, avant qu’il ne soit trop tard de cette période politique enthousiasmante, où les forces républicaines ont fait front pour reconstruire une République plus démocratique, pour conduire une politique économique résolument administrée, pour instaurer une politique sociale historiquement ambitieuse que nous chérissons encore aujourd’hui et pour accompagner judicieusement un vent de modernisation de la société.

Les leçons de l’Histoire sont toujours précieuses.