Le Parlement a adopté hier, après une dizaine de jour d’examen, un deuxième projet de Loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020. Ce deuxième budget de crise, à peine un mois après le premier, porte l’effort de la nation pour faire face à la crise économique et sociale à plus de 100 milliards d’euros.
Il comporte des mesures indispensables comme le prolongement du chômage partiel qui concerne depuis hier plus de 10 millions de salarié.es (pour un montant de 24 milliards d’euros). Il renforce le Fonds de Solidarité pour les petites entreprises porté à 7 milliards d’euros (que le Sénat a tenté sans succès de monter à 9 milliards). Il alloue au Gouvernement une enveloppe de 20 milliards d’euros pour entrer au capital ou nationaliser certaines grandes entreprises considérées comme stratégiques afin de le sauver. Il créé un Fonds d’un milliard d’euros pour certaines entreprises en difficulté. Il prévoit 900 millions d’euros pour bonifier les minimas sociaux de 150 euros (plus 100 € par enfant à charge). Il abaisse à 5,5 % la TVA sur les masques les gels. Le Sénat l’a élargi et d’autres produits sanitaires indispensables (gants, surblouses, charlottes…). Il alloue une prime de 1500 euros exonérés d’impôts au personnels soignants des trente départements les plus touchés par la maladie.
Parmi les autres petits apports du Sénat : l’augmentation à 1000 euros du plafond fiscal pour les dons aux associations solidaires, l’augmentation à 7500 euros du plafond de défiscalisation des rémunérations des heures supplémentaires, renforcement de l’information du Parlement via le Comité de suivi… Les principaux apports du Sénat, notamment la mise à contribution des assureurs, l’annulation des cotisations sociales pour certaines entreprises particulièrement impactées (notamment les cafés/hôtels/restaurants) n’ont pas été conservés…
Ces mesures sont indispensables pour faire face à la crise et pour sauver ce qui peut l’être. Pour autant ce projet m’a semblé, ainsi qu’à l’ensemble de mon groupe, largement insuffisant. Ce qui pouvait être excusé au mois de mars, quand nous votions en urgence les crédits pour venir en aide aux entreprises et aux salariés, n’est pas suffisant un mois plus tard alors que se multiplient les réflexions et les discours sur le monde d’après.
C’est pour cette raison que mon groupe CRCE et moi-même avons choisi de ne pas apporter notre soutien à ce projet. Avec seulement 900 millions d’euros consacrés au plus démunis, le dispositif de solidarité est insuffisant et pire encore il laisse de nombreux publics au bord de la route : les étudiants et tous les précaires de moins de 25 ans, les chômeurs en fin de droit, les travailleurs des plateformes au chômage technique, etc… Nos amendements pour renforcer le dispositif, doubler à 300 euros la prime pour les précaires et l’élargir à tous les publics, a été rejeté. De la même manière, nos propositions pour porter à 100 % de salaires net le chômage partiel des salariés gagnant moins de 2,5 SMIC a été rejeté. Nous n’avons même pas obtenu 300 millions d’euros pour soulager les associations de solidarité alors que pour la première fois de son histoire, Emmaüs est dans obligation de faire appel à l’aide publique… L’Etat allonge plus de 100 milliards pour sauver l’appareil productif, mais il n’a pas 5 milliards de plus à mettre pour éviter la catastrophe sociale qui s’annonce.
Cela aurait peut-être été possible si on avait choisi de faire contribuer les hauts revenus à cet effort « de guerre » de toute la nation. Mais non… Nos amendements pour rétablir l’ISF, augmenter l’impôt sur le revenu des Français gagnant plus de 25 000 euros par mois, pour créer une TVA sur le luxe, une taxe à 75 % sur les dividendes ou pour renforcer la taxe sur les transactions financières ont toutes été rejetés… Tout l’effort est financé par la dette (le déficit budgétaire double à plus de 180 milliards d’euros) dont on nous expliquera demain qu’elle est insoutenable et qu’elle oblige à diminuer les services publics. Pire encore, de nombreuses mesures risques d’être prises sur le budget de la sécurité sociale dont le déficit risque de se creuser de plusieurs dizaines de milliards d’euros, ce qui n’annonce rien de bon pour l’hôpital public, l’assurance maladie ou nos retraites.
Nous n’avons pas eu plus de succès pour obtenir une bonification de la Dotation globale de fonctionnement de 5 milliards d’euros afin d’aider les collectivités locales, qui sont en première ligne pour faire face à la crise sanitaire. Rien n’est prévu pour compenser les pertes de recettes annoncées.
Pas plus de succès sur le volet environnemental avec le refus net par le Gouvernement et de la droite de conditionner les futures participations de l’Etat dans les grandes entreprises, à des engagements clairs et précis sur une stratégie « bas carbone ». La commission mixte paritaire a tout de même introduit une obligation (sans sanction…) de publication d’un rapport sur l’utilisation de ces fonds et leur compatibilité avec la stratégie nationale bas carbone. On reste loin d’une disposition indispensable pour atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris, auxquels la France s’est engagée à horizon 2030. Cet accord qui faisait pourtant l’unanimité, est aujourd’hui sacrifié sur l’autel des lobbies économiques et financiers.
GreenPeace dénonce « un chèque en blanc aux grands pollueurs des secteurs aérien, automobile, et pétrolier ». Nous ne demandions pourtant pas la lune seulement de conditionner la participation de l’Etat à l’élaboration d’une stratégie interne de réduction des émissions de gaz à effet de serre, alignée sur les objectifs de l’Accord de Paris avec publication « dans les douze mois » de l’empreinte carbone et d’un plan d’investissement pour concrétiser l’objectif. Le monde d’après ressemble à s’y méprendre au monde d’avant…
Finalement, notre groupe a fait adopter un seul amendement pour exclure les entreprises basées dans les paradis fiscaux. Cet amendement, malgré les promesses de Bruno Le Maire hier matin à la radio, n’a pas survécu à la Commission mixte paritaire…
D’union nationale, il n’est définitivement pas question et nous avons donc tenu a exprimé au Gouvernement (et à la droite sénatoriale qui partage ses vues) nos très grandes réserves quant à son action en votant contre ce deuxième budget de crise.