Le 10 juin dernier, le Sénat étudiait une proposition de loi du sénateur Les Républicains Rémy Pointereau visant à renforcer les pouvoirs de dérogation des préfets. D’après les soutiens de ce texte, cela permettrait de simplifier l’action des élu.es locaux.les, en permettant de passer outre certaines réglementations mal pensées voire absurdes, qui empêchent des projets locaux d’aboutir.

Ayant nous-mêmes été maires de communes de moins de 1000 habitants, nous mesurons les difficultés qu’engendrent certaines aberrations administratives. Celles-ci sont d’autant plus handicapantes pour les petites communes, dont le personnel administratif et les moyens financiers sont très réduits. Accroître les pouvoirs de dérogation du préfet peut donc apparaître comme un bon moyen de contourner les difficultés bureaucratiques. Si nous ne sommes pas opposés à la dérogation par principe, il nous semble que celles-ci doivent être encadrées, afin de ne pas permettre le passage en force de projets contestés et néfastes pour les territoires. Nous avons donc voté contre cette proposition de loi permettant des dérogations trop larges et souhaitons vous en expliquer les raisons.

Les préfets disposent depuis 2020 d’un pouvoir de dérogation aux normes réglementaires afin de les adapter aux circonstances locales. Ce pouvoir de dérogation est encadré mais son périmètre est d’ores et déjà large : subventions publiques, aménagement du territoire, politique de la ville, urbanisme, environnement, emploi et encore gestion du patrimoine, pour ne prendre que quelques exemples. La dérogation  doit être justifiée par un motif d’intérêt général et des circonstances locales et doit viser à alléger des démarches administratives, réduire les délais de procédure ou favoriser l’accès aux aides publiques.

La proposition de loi adoptée par le Sénat vise à aller plus loin et à élargir le périmètre du pouvoir de dérogation aux normes des préfets, en ouvrant la possibilité de déroger à toute norme réglementaire, y compris à des normes relevant d’établissements de l’Etat en dehors des compétences du préfet (ARS, ONF, OFB, ADEME…), dès lors que la dérogation facilite la réalisation d’un projet local. Autrement dit, en votant ce texte, les parlementaires permettent en réalité à une autorité non-élue d’ignorer les règles qu’ils ont eux-mêmes voté. La recentralisation ne doit pas être la solution et, en complément des dispositifs de dérogation déjà en vigueur, nous défendons le droit d’expérimentation, introduit en 2021 par la loi dite “3DS”, qui reste trop peu utilisé.

Il aurait été préférable de faire le bilan du droit existant avant de l’étendre : le pouvoir de dérogation est en réalité assez peu utilisé jusqu’alors par le corps préfectoral. Outre l’engagement de leur responsabilité, il les soumet  à de fortes pressions, notamment de la part de grandes entreprises ou d’élus de grandes collectivités souhaitant passer outre certaines réglementations. Ces pressions peuvent aussi opposer l’intérêt général et les intérêts particuliers ou privés. Un scandale comme celui des eaux en bouteille de Nestlé pourrait ainsi se reproduire grâce à cette proposition de loi, qui pose un vrai risque démocratique. Ces dispositions ne faciliteront en rien le travail des élus et ajouteront des pouvoirs supplémentaires aux préfets qu’ils ne réclament pas.

La possibilité de déroger aux normes environnementales, sans limite, sur décision du préfet, est une menace à notre avenir climatique. Les dérèglements climatiques ont des impacts de plus en plus concrets sur nos vies, avec la multiplication des canicules, les scientifiques nous alertent dans un récent rapport sur notre incapacité à contenir le réchauffement à 1,5°C d’ici 2100. De nouvelles dérogations au code de l’environnement entravent un peu plus notre capacité à tenir nos engagements internationaux en matière de préservation du climat et d’adaptation aux dérèglements climatiques. Nous ne pouvons décidément pas nous permettre de renoncer à la neutralité carbone d’ici 2050. A minima, nous avons donc demandé l’exclusion des normes environnementales du texte et demandé l’instauration d’un comité réunissant les élu.es locaux.les pour encadrer ce pouvoir de dérogation, proposition qui était d’ailleurs dans la version initiale du texte.

Deux points budgétaires importants ont aussi été abordés lors de l’étude de ce texte : la possibilité de versement du Fonds de Compensation pour la Taxe sur la Valeur Ajoutée (FCTVA) en cours d’année pour les communes qui le demandent et la possibilité pour les communes de percevoir jusqu’à 100% de subventions sur certains projets. Nous sommes favorables à ces deux outils permettant d’aider les maires à financer leurs projets dans un contexte de finances locales toujours plus contraintes. Néanmoins, ces mesures ont des effets budgétaires importants pour l’Etat, qui n’ont jamais été abordés et qui mériteraient une discussion parlementaire à part entière. Nous regrettons donc la superficialité avec laquelle ces enjeux ont été traités par les soutiens du texte, qui ne cessent en parallèle d’appeler à la rigueur budgétaire. Nous avons donc saisi cette occasion pour demander une vraie vision budgétaire pour les collectivités, articulant davantage d’autonomie fiscale, une indexation de la DGF sur l’inflation et une planification pluriannuelle de leurs ressources.

Restant à votre écoute pour échanger sur vos attentes et vous accompagner dans votre mission essentielle au service de nos territoires et de notre démocratie, nous vous prions, Monsieur le Maire, de recevoir l’expression de nos salutations les plus respectueuses.

Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère

Ghislaine Senée, sénatrice des Yvelines

Photo en une : Christophe Finot