Hier, la majorité sénatoriale, avec l’assentiment du gouvernement, a rejeté la proposition de loi des sénatrices et sénateurs du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste permettant d’engager la renationalisation des autoroutes.

J’étais le rapporteur de cette proposition de loi ambitieuse qui aspirait à corriger l’erreur historique du Gouvernement Villepin de 2006 et répondait à une double actualité.

La première : le renchérissement du coût de la mobilité pour nos concitoyens et la diminution de l’offre de transports collectifs, vivement soulignée par le mouvement des gilets jaunes.

La deuxième : la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP) souhaitée par le Gouvernement qui, comme celle des autoroutes, est symptomatique d’une politique de court-terme où l’on dilapide les biens de l’État pour dégager des liquidités.

Alors, lors de l’examen de la loi PACTE, que le Sénat avait ouvert la brèche avec son refus de privatiser ADP, s’appuyant sur l’erreur politique, financière et stratégique que fut la privatisation en 2006 des concessions par le gouvernement de Villepin, il nage aujourd’hui en pleine contradiction.

Pourquoi refuser de s’engager vers la renationalisation des autoroutes si l’on considère qu’il est nécessaire de préserver la maîtrise publique des infrastructures ? Pourquoi refuser de réaffecter les bénéfices des péages à l’agence de financement des infrastructures qui souffre pourtant d’un déficit de 500 millions d’euros par an ?

Tous les groupes s’accordaient pourtant à reconnaître que la situation n’est pas acceptable, que les sociétés concessionnaires d’autoroutes sont dans une situation que l’Autorité de la concurrence a qualifié de « rente. » Leur marge brute relevée par la Cour des Comptes est de 73 %, ce qui est phénoménal. L’argent des péages, en hausse de 14 % ces 10 dernières années permet aux actionnaires de recevoir des milliards d’euros de dividendes plutôt que de financer les autres infrastructures de transport du pays.

En tant que rapporteur, j’ai reçu tous les acteurs concernés par ce dossier : les sociétés concessionnaires, l’Autorité de régulation des Activités ferroviaires et routières (ARAFER), la Direction générale des infrastructures de transports et de la mer (DGITM), le cabinet de la ministre des Transports. J’ai compilé toutes mes observations et recommandations dans un rapport qui a nourri la réflexion du Sénat que vous pouvez consulter ICI

Tout le monde le sait et l’admet : ces contrats de concession sont tellement bien ficelés qu’ils ne sont pas re-négociables. Toute velléité de renforcer les obligations sur les concessionnaires se soldera mécaniquement par des hausses de tarifs pour les usagers. Le calamiteux précédent de 2015 en témoigne : Ségolène Royal a tenté de geler les tarifs de péages ce qui a entraîné une menace de poursuites judiciaires et aboutit à une prolongation de la durée des concessions…

Sur tous les bancs, nous avons entendu un seul argument : « trop cher, attendons la fin des concessions ». Certes ce rachat a un coût mais celui-ci premièrement se négocie, y compris devant les tribunaux pour dénoncer des contrats viciés et déséquilibrés. Mais quand bien même il faudrait racheter plein pot les concessions, la puissance publique peut s’en donner les moyens et investir les 50 milliards nécessaires. Ces 50 milliards auraient pu être financés via un emprunt (la France emprunte a des taux très faibles) et remboursé par les péages. Qui dit nationalisation ne dit pas gratuité des autoroutes pour les usagers. L’Espagne s’est engagée dans cette voie, preuve de la faisabilité d’une telle démarche.

Au lieu de cela, on nous invite à attendre la fin des concessions. Or, il n’est nullement possible de décréter aujourd’hui que l’Etat reprendra nécessairement la main à l’issue des concessions (qui s’échelonne de 2031 à 2086). Attendre revient à s’exposer à une nouvelle renégociation, à un nouvel avenant au contrat qui prolonge encore et toujours la durée des concessions. Encore une fois, le précédent de 2015 plaide contre cette option.

De plus, nationaliser sans attendre aurait permis à l’Etat de reprendre la main sur les tarifs autoroutiers et de pouvoir les moduler selon des objectifs de justice sociale. Nationaliser sans attendre aurait permis à l’Etat de reprendre la main sur l’infrastructure et d’envisager son développement dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire plus respectueuse de l’environnement.

Au lieu de cela, le Sénat a choisi le statu quo tout en le déplorant. Pourtant, nous examinons en ce moment même la loi d’orientations des mobilités dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle manque cruellement de financements… La nationalisation des autoroutes aurait pu combler en partie ce manque. Quelle occasion manquée !