Trente-cinq ans après la dernière loi régissant les transports collectifs, le Sénat se penche sur la très attendue loi d’orientation des mobilités. En tant d’années écoulées, les enjeux de la politique de transport ont largement évolués et attendent désormais une réponse politique d’envergure. Malgré quelques dispositions intéressantes sur le vélo, l’ambition transformatrice initiale se heurte à l’absence de financements des infrastructures de transports collectifs. Sans ces derniers, l’intoxication au « tout-bagnole », comme le disait André Gorz, a encore de beau jour devant elle.

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« Après une bonne année de péripéties, voilà enfin la très attendue loi d’orientation des mobilités. Nous aurions préféré l’examiner au printemps dernier, en même temps que la réforme ferroviaire, la chose nous aurait paru cohérente. Nous aurions préféré l’examiner dans sa version initiale à 220 articles, avant que les réunions interministérielles la vide de sa substance et particulièrement de ses financements…

Entre temps, le mouvement des gilets jaunes est venu rappeler l’enjeu primordial que constitue la mobilité pour nos concitoyens, dans notre pays dont l’urbanisme a été façonné par la voiture qui relie de plus en plus des zones dortoirs délaissées et des métropoles encombrées. André Gorz nous avait pourtant prévenu dès 1973 dans son visionnaire petit essai « l’idéologie sociale de la bagnole ». Nous n’en avons rien fait, nous avons continué à développer les zones péri-urbaines seulement accessibles en voiture et à laisser disparaitre les lignes ferroviaires et les transports collectifs. Votre politique n’est que la continuité de ce mouvement à une exception près : la prise en compte du fait qu’il est indispensable de sortir de l’ère de la voiture individuelle. Oui, mais comment ?

Et c’est la question à laquelle ne répond que très partiellement ce projet de loi. La raison en est simple et Gorz nous la donnait dès 1973 : « l’alternative à la bagnole ne peut être que globale. Car pour que les gens puissent renoncer à leur bagnole, il ne suffit point de leur offrir des moyens de transports collectifs plus commodes : il faut qu’ils puissent ne pas se faire transporter du tout parce qu’ils se sentiront chez eux dans leur quartier, leur commune, leur ville à l’échelle humaine, et qu’ils prendront plaisir à aller à pied de leur travail à leur domicile — à pied ou, à la rigueur, à bicyclette. »

Nous en somme très loin et je ne reprendrais pas l’excellente démonstration de la collègue Eliane Assassi pour rappeler que presque rien dans ce texte ne concerne les transports collectifs, qui demeure la colonne vertébrale des mobilités, si ce n’est l’ouverture RATP à la concurrence, qui fragilisera un peu plus nos capacités à entretenir et développer le réseau ferré francilien.

Rien pour le rail, rien pour le fluvial ou presque, ce texte renonce d’emblée à l’ambition qui devrait être la sienne de restructurer notre réseau de transports, alors que pèse sur nous l’épée de Damoclès du changement climatique…

Ce projet n’est pas dénué d’intérêt pour autant et particulièrement dans la version que vous propose la commission Aménagement du territoire et développement durable du Sénat qui l’a sérieusement musclé. Je salue à ce titre le travail de notre rapporteur qui n’a pas ménagé son effort et qui a pris soin d’associer l’ensemble des forces politiques à la rédaction de ce texte.

Ainsi le projet prévoit quelques dispositions intéressantes pour développer la pratique du vélo et des mobilités actives, qui mériteraient d’être complétées comme plusieurs groupes vous le proposeront durant les débats.

Aucun maire ne se plaindra de pouvoir réguler et mettre à contribution les entreprises de free floating qui inondent les trottoirs de vélos et de trottinettes électriques. Sur ce point également, il convient de conserver la rédaction du Sénat.

S’ils ne sauraient remplacer les transports en commun en zones urbaines, le co-voiturage et l’autopartage peuvent, en zones rurales, représenter des solutions de déplacement intéressantes pour limiter l’usage de la voiture personnelle. Ils sont également le seul débouché viable de la voiture électrique qui ne peut qu’être partagée pour remplir son ambition écologique. Là aussi, nous invitons le Gouvernement à aller plus loin à l’occasion du débat parlementaire.

Car pour lutter efficacement contre la pollution, dont on vient d’apprendre qu’elle tue en fait plus le tabac, 67 000 par an dans notre pays, il faut, sans mauvais jeu de mots, passer la seconde. Pour être efficace, le dispositif des Zones à Faibles Emissions (ZFE) doit être renforcé et élargi à toutes les communes de plus de 50 000 habitants. Il faut également réintroduire dans le texte la fin des véhicules thermiques d’ici 2040. Il faut aider les communes à développer leurs axes cyclables et les solutions non-polluantes pour les livraisons dans le dernier kilomètre.

Tout cela passe également par ce nouveau forfait mobilité dont nous saluons la création, mais qui, pour remplir soit objectif, doit être cumulable avec un abonnement de transports en commun et rendu obligatoire, afin que chaque salarié puisse en bénéficier. Voilà un moyen efficace pour développer l’intermodalité que nous appelons tous de nos vœux. Voilà un moyen efficace pour diminuer quelque peu le coût de la mobilité et apporter un début de réponse aux revendications des gilets jaunes. Sans doute aurait-il fallu pour ce faire attendre les conclusions du grand débat…

Nous avons tenté de les anticiper en vous proposant cette solution, mais également une prise en charge accrue des abonnements de transports en commun pour les salariés au SMIC.

Nous vous proposerons également de renforcer la démocratie dans la gouvernance des AOM en y associant les syndicats de personnels et les associations d’usagers, car ce que nous rappelle le mouvement social en cours, c’est que pour gouverner, il faut partir des besoins de la population dans TOUS les territoires, ce que les Gouvernements successifs ont eu tendance à oublier…

Adopter nos amendements ne comblera pas toutes les lacunes de ce texte, mais cela permettra de lui donner une densité supplémentaire et d’apporter davantage de réponses aux défis de la mobilité du XXIe siècle. C’est le minimum que nos concitoyens sont en droit d’exiger de la première grande loi relative aux transports depuis près de 40 ans.

Madame la Ministre, nous comptons sur vous pour entendre la voix des territoires, dont le Sénat se fera, comme toujours, l’écho.

Je vous remercie, »